lundi 27 janvier 2020

EMMANUEL MACRON : ILLÉGALITÉ, ILLÉGITIMITÉ ET IMPOSTURE. (2E PARTIE)

EMMANUEL MACRON : ILLÉGALITÉ, ILLÉGITIMITÉ ET IMPOSTURE. (2E PARTIE)

Illégitimité de l’exercice du pouvoir par Emmanuel Macron.

La disparition de la séparation des pouvoirs.
Nous avons vu dans une première partie que dans un système de démocratie représentative, pour qu’une majorité électorale puisse imposer son point de vue à la minorité, il était nécessaire que les représentants élus soient parvenus au pouvoir dans des conditions régulières et après un scrutin que l’on peut qualifier incontestablement de « sincère ». Et que cela soit reconnu comme tel par le corps social. C’est ce qui construit la première branche de la « légitimité » des gouvernants. Nous avons vu que l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron à ce point illégale et irrégulière pouvait s’apparenter à une forme de coup d’État. Raison pour laquelle s’est installée dans l’opinion publique et dès le début de son mandat l’idée que cet homme « n’était pas sa place ».
Mais ensuite pour gouverner, toujours dans une démocratie représentative, même si l’on est régulièrement parvenu au sommet de l’État, il est aussi nécessaire de construire et de préserver en continu sa légitimité et celle de tout le dispositif dans lequel on exerce le pouvoir. C’est la deuxième branche de la légitimité et le moins que l’on puisse dire, de ce point de vue, celle de Macron est simplement anéantie.
Rappelons que démocratie représentative, est un système institutionnel minutieux et pragmatique qui doit organiser une domination de la majorité ACCEPTÉE par la minorité.  Quelles sont les conditions impératives de cette acceptation ? D’abord, nous l’avons vu, que les représentants de la majorité prennent le pouvoir après une élection régulière dont la sincérité ne peut être mise en doute. Ensuite que ce pouvoir ait une DURÉE LIMITÉE, pour que ce qui a été fait durant le mandat, puisse être remis en cause après l’élection suivante en cas de changement. Et enfin que le pouvoir s’exerce dans un cadre strict qui est celui d’une Constitution et d’une organisation des pouvoirs publics qui prévoient séparation, équilibres et contrôles. Évitant ainsi les excès et validant en continu l’acceptation de la minorité battue lors du scrutin. Élaborée par Locke et Montesquieu la théorie de la séparation des pouvoirs vise donc à séparer les différentes fonctions de l’État, afin de limiter l’arbitraire et d’empêcher les abus liés à l’exercice de missions souveraines. C’est cette organisation des pouvoirs publics qui s’applique chez nous depuis l’avènement de la IIIe République.
Nous allons voir que de la même façon que son arrivée au pouvoir était illégale et par conséquent illégitime, Macron exerce celui-ci dans un cadre qui n’a plus grand-chose à voir avec la légalité institutionnelle d’une démocratie représentative.
Une constitution en lambeaux
Ayant perdu toute sa cohérence la pauvre Constitution du 19 octobre 1958 est dans un triste état. Amoindrissement drastique de la souveraineté du pays au profit de l’UE, réformes visant systématiquement à en trahir l’esprit, volonté permanente de réviser notre texte fondamental qui est pourtant l’outil fondamental du fonctionnement de nos institutions, c’est une surenchère permanente. Notre Constitution devenue un vague torchon que la classe politique considère comme le réceptacle de toutes ses démagogies et les gouvernants un colifichet inutile. Des 92 articles initiaux, après une bonne trentaine de révisions (!) il n’en reste aujourd’hui que 30 dans une Constitution qui en compte désormais 108. Et n’a plus grand-chose à voir avec le texte proposé par Charles de Gaulle et adopté par le peuple français avec 82 % des voix en octobre 1958. Emmanuel Macron n’est pas seul responsable de cette catastrophe, tous les successeurs du fondateur de la Ve République s’y sont mis gaiement. Cependant, avec sa volonté de réforme il a clairement montré qu’il entendait finir le travail. « Il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante » disait Montesquieu, alors que dire de la Loi Fondamentale ?
L’abaissement drastique de la valeur normative de la Constitution a ainsi permis à Emmanuel Macron de mettre en place un nouveau système à valeur de nouveau régime qui entretient des rapports très lointains avec un système légitime de démocratie représentative.
Le « pouvoir législatif » incarné par un parlement croupion enrégimenté par le pouvoir exécutif
La catastrophe institutionnelle provoquée par l’adoption du quinquennat voulue par Jacques Chirac combinée avec l’inversion du calendrier décidée par Lionel Jospin a complètement transformé le pouvoir législatif en France. On avait beaucoup reproché à la Constitution de 1958 d’avoir trop renforcé le pouvoir exécutif et affaibli le pouvoir législatif après les excès du régime d’assemblée de la IVe République. C’était assez vrai, mais cela avait apporté outre la stabilité, un nouvel équilibre dont les trois cohabitations ont démontré qu’il pouvait fonctionner. Cette réforme irresponsable a provoqué la transformation de ce qui devrait être un pouvoir séparé en un outil technique donné au président élu pour faire ce qu’il veut. Les élections législatives de juin 2017 ont vu un taux d’abstention colossal de près de 60 % des inscrits. L’Assemblée nationale n’a donc plus aucune représentativité politique, sociologique, sociale économique digne de ce nom. Deux exemples qui démontrent l’inanité du système : les ouvriers et les salariés d’exécution des services sont autour de 40 % de la population active de notre pays ils ont… zéro représentant à l’Assemblée. Marine Le Pen candidate du Front National à la présidentielle de 2017 a recueilli au deuxième tour près de 11 millions des voix. Son parti dispose de… six députés, situation malsaine sur le plan démocratique. Alors certes, ce sont les abstentionnistes qui ont eu tort, comme les Français acceptant la forfaiture du référendum de 2005, élisant ensuite les artisans du forfait, et acceptant sans barguigner le coup d’état de mai 2017. Mais cette passivité, à laquelle ils semblent enfin avoir renoncé n’a pas donné à tous ces événements la moindre légitimité démocratique.
Une Assemblée nationale non représentative ce serait déjà grave, mais le problème c’est sa composition. Pour LREM, recrutés sur CV par Jean-Paul Delevoye (!) y voisinent commerçants faillis, aventuriers, opportunistes sans principe, incompétents notoires et parfaits ahuris dont la seule caractéristique est d’obéir au doigt et à l’œil aux gardes chiourmes nommés par Macron pour les surveiller. Et les punir si jamais ils renâclent.
 Ce parlement croupion humiliant pour la France, est fort utile à Emmanuel Macron qui l’a complètement enrégimenté. Il n’est que de voir comment sont fixés les ordres du jour, proposés des textes liberticides adoptés sans aucune discussion véritable pour mesurer l’ampleur du désastre. Et si jamais le Sénat qui n’a pourtant aucun pouvoir directement normatif s’avise de rechigner, en totale violation de la séparation des pouvoirs Macron lui-même suivi de ses aboyeurs crétins se permet de l’insulter.
Le constat est aujourd’hui sans appel, non seulement la France ne dispose plus d’un pouvoir législatif digne de ce nom, mais l’organe dévalué qui en tient lieu a été absorbé par le pouvoir exécutif.
Législatif et exécutif ne sont plus séparés dans notre pays.
Le ralliement à l’exécutif du pouvoir judiciaire
La question du « troisième pouvoir » se complique un peu en France dans la mesure où le « pouvoir judiciaire » le troisième de la trilogie de la séparation s’exerce chez nous au travers de quatre ordres de juridictions constitutionnel, judiciaire, administratif, financier. Coiffés chacune par une forme de Cour suprême. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué…
C’est le seul « ordre judiciaire » celui coiffé par la Cour de cassation qui est qualifié dans la Constitution « d’Autorité judiciaire ». Mais ce sont les quatre qui exercent chacun pour sa part la mission de contrôle global que l’on peut qualifier de « pouvoir judiciaire ». Qui est là justement pour assurer les équilibres voulus par le principe de séparation des pouvoirs. Et c’est le ralliement de ces quatre ordres de juridiction au macronisme qui pose désormais un problème considérable.
La terrible défaillance de la justice judiciaire
Celle-ci est malheureusement très documentée aujourd’hui. Pour des raisons sociologiques idéologiques, économiques et politiques, l’appareil judiciaire et la magistrature ont massivement rallié le pouvoir macroniste et se sont mis spontanément à son service. Même si on peut sentir quelques frémissements dans les juridictions d’appel depuis quelques semaines et espérer peut-être un certain ressaisissement, la confiance de l’opinion publique dans cette justice est tout simplement détruite. Et pour longtemps.
La mise au service d’Emmanuel Macron s’est faite de quatre façons :
•            l’instrumentalisation de la justice pénale à l’égard des opposants politiques, François FillonMarine Le PenJean-Luc Mélenchon, et Gérard Collomb en savent quelque chose, on n’y reviendra pas.
•            La protection des amis du président soit carrément par des refus de poursuites, soit par une mansuétude grossière. D’Alexandre Benalla à Richard Ferrand, en passant par Muriel Pénicaud, Patrick Sztroda, Alexis Kohler, Ismael Emelien, Lionel Lavergne, François Bayrou, Isabelle Goulard, etc. etc.
•            Le pire de tout par la mise en œuvre sans aucun état dame d’une répression de masse sans précédent contre le mouvement social des gilets jaunes qui a vu se multiplier procédures et gardes à vue illégales, procédures de comparution directe abusives ayant abouti en un semestre à plus de 3000 condamnations et à plus de 1000 peines de prison ferme (!) Parfois complètement absurde. Cette violence judiciaire a été exécutée avec un zèle intraitable sans probablement avoir besoin d’être encouragé par le pouvoir en place.
•            Enfin l’autre catastrophe de cette violence policière totalement débridée et qui a complètement effaré les observateurs étrangers, et dont des centaines de vidéos témoignent de la violence. Ce dévoiement gravissime n’a pu être possible que parce que la justice judiciaire est l’organe qui doit contrôler l’usage du « monopole de la violence physique » par l’État n’a pas voulu remplir cette mission. Cette défaillance qui est aussi une honte essentiellement la responsabilité magistrats du parquet couvrant systématiquement les excès.
Le Conseil constitutionnel
Prévu par la constitution de 1958 comme un organe chargé de vérifier la conformité avec la constitution des lois votées par le Parlement. Ce contrôle ne pouvait avoir lieu qu’avant leur promulgation, et ne pouvait être déclenché que par le président de la république, le président de l’Assemblée nationale ou le président du Sénat. Une réforme giscardienne avait élargi le pouvoir de saisine à 75 parlementaires. Une autre réforme absurde voulue par Nicolas Sarkozy permet désormais à tout citoyen de saisir le Conseil constitutionnel de recours contre les lois postérieurement à leur promulgation, faisant peser sur tout l’ordre juridique national un risque imprévisible. Depuis une trentaine d’années, le Conseil s’est malheureusement arrogé un pouvoir de contrôle très élargi sur la loi votée souverainement par les représentants du peuple français, et c’est ainsi qu’au travers d’une jurisprudence très abondante un pouvoir législatif parallèle s’est progressivement mis en place au prétexte d’une défense des principes constitutionnels. Le problème étant que la question n’est plus d’apprécier la conformité d’une loi avec les principes qui organisent la République dont la protection est l’objet même d’une Constitution mais de vérifier sa compatibilité avec une espèce de fourre-tout appelé « bloc de constitutionnalité » dans lequel on a fini par mettre tout et n’importe quoi. Le législateur français est donc sous tutelle d’un organisme dont composition est entre les mains du président de la république, du président de l’Assemblée nationale et du président du Sénat. La fin de la fausse alternance avec la fusion entre droite et gauche réalisée par Macron fait que le Conseil constitutionnel est politiquement très homogène, présidé par Laurent Fabius rejoint tout récemment par Alain Juppé remplaçant Lionel Jospin. Ils n’ont rien à refuser à Emmanuel Macron digne représentant de la caste de la haute fonction publique d’État à laquelle ils appartiennent tous les deux. On imagine le danger pour la souveraineté du peuple en cas de véritable alternance. Pour l’instant, Emmanuel Macron n’a rien à en craindre et peut tranquillement continuer à faire adopter en cadence des textes complètement liberticides sans que cela perturbe ceux que l’on appelle à tort des « sages ».
Le Conseil d’État
Particularité française, le conseil d’État coiffe l’ordre de juridiction chargée de juger et de contrôler la sphère publique. Les juridictions administratives contrôlent la régularité des actes de l’exécutif de l’État central et des collectivités locales. En appliquant le droit administratif français création en grande partie prétorienne, c’est-à-dire issu d’une jurisprudence interprétative abondante. Après avoir construit pendant près de deux siècles une certaine autonomie et ainsi conquis autorité et prestige, il semble malheureusement que le conseil d’État y ait désormais renoncé. Cette est institution massivement composée de représentants de la haute fonction publique d’État issu de l’ENA (comme Édouard Philippe par exemple), qui en général ont fait des allers-retours avec les cabinets ministériels en fonction de l’alternance. C’est pour cela que, soit dans l’institution, soit dans les cabinets gouvernementaux, ils ont été les fourriers de la confiscation de la souveraineté de la république au profit de l’Union Européenne. Le Conseil d’État a été un artisan de l’imposition à l’ordre juridique français de tous les dispositifs nécessaires à l’instauration du néolibéralisme, en transposant en droit interne les concepts du droit européen et notamment celui qui nous corsète aujourd’hui de « concurrence libre et non faussée ».
Mais ce qui est plus grave, on a vu depuis quelques années des décisions juridiquement très discutables comme autant de services aux pouvoirs en place.
Il y a eu le très surprenant renversement de jurisprudence pour permettre à Bertrand Delanoë de faire un cadeau de 160 millions d’euros de fonds publics avec la construction aux frais de la ville du stade Jean Bouin. Un arrêt rendu en urgence pour réformer en deux mois un très étrange arrêt rendu en deux mois pour valider la vente illégale de l’aéroport de Toulouse par Emmanuel Macron à un consortium chinois. Et tout aussi récemment le refus d’interdire l’usage du LBD. On s’en tiendra là car malheureusement, la liste pourrait être longue.
La Cour des Comptes
Cette juridiction particulière contrôle normalement les comptes de l’État et coiffe elle aussi un ordre de juridiction où les Chambres Régionales des Comptes ont les collectivités locales en charge. La soumission de cet organisme à la secte de l’Inspection Générale des Finances dont le repère est à Bercy est notoire en particulier depuis la présidence du socialiste Migaud nommé par Nicolas Sarkozy. Ses cibles sont en général celle que le pouvoir leur désigne. Et on peut lui faire confiance pour relayer toutes les obsessions sur les critères de Maastricht et sur le problème de la dette. En revanche quand il s’est agi de chiffrer la fraude fiscale, les collègues de François Hollande se sont dits incapables de le faire ! On s’en tiendra là, inutile de charger la barque de la caricature.
La question du quatrième pouvoir, celui de la presse
La presse est considérée depuis fort longtemps comme un contre-pouvoir dans une démocratie représentative. C’est la raison pour laquelle sa liberté et ses privilèges sont protégés. Cela explique aussi le statut qui fut mis en place la libération pour la faire échapper à l’emprise des grands pouvoirs économiques. Cette période est définitivement terminée. La grande presse française est entre les mains de neuf oligarques qui tiennent la presse écrite et audiovisuelle. Le rôle qu’ils ont joué à l’avènement d’Emmanuel Macron est suffisamment clair pour que personne ne puisse avoir de doute concernant leur soutien à Emmanuel Macron qui est directement leur représentant.
Toutes les études démontrent l’aversion et la défiance de l’opinion publique populaire pour cette presse, considérée comme aux ordres du pouvoir. Son attitude pendant la crise des gilets jaunes et au moment des luttes contre la réforme de la retraite n’a pas été susceptible leur faire changer d’avis.
Et comme au ralliement de tous les organes juridictionnels de contrôle s’est ajouté celui des plus importantes Autorités Administratives Indépendantes et en particulier du CSA chargé du contrôle de l’audiovisuel. Qui ne voit aucun inconvénient par exemple à ce qu’en violation de la loi, le service public refuse le pluralisme pour relayer servilement la propagande de l’exécutif.
Il n’y a plus en France de quatrième pouvoir digne de ce nom.
Conclusion
Cette description démontre que sous Emmanuel Macron, il n’existe plus en France de réelle séparation des pouvoirs et de mécanismes d’équilibres et de contrôles. Le dispositif nécessaire à une démocratie représentative le fonctionne plus. Il n’est donc n’est pas excessif de considérer que les trois, voire les quatre pouvoirs qui devraient être séparés ont fusionnés sous l’autorité et dans l’intérêt du chef de l’exécutif. Cette situation inouïe range la France dans la catégorie des pays où il n’y a pas de séparation des pouvoirs. La fusion du « bloc élitaire » concept avancé par Jérôme Sainte-Marie qui a été réalisé par Emmanuel Macron a mis fin à la « fausse alternance » de deux blocs droite et gauche qui se succédaient au pouvoir depuis 1980. Les deux épiciers concurrents, se fournissant au même grossiste selon l’heureuse formule de Philippe Séguin permettaient cependant, un certain équilibre et cahin-caha, préservait un peu la séparation des pouvoirs.
C’est terminé.
Or que nous dit l’article 16 de la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 :
« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».
Par conséquent, le cadre juridique et institutionnel dans lequel Emmanuel Macron exerce son pouvoir n’est plus constitutionnel. C’est la condition de légalité constitutionnelle nécessaire à sa LÉGITIMITÉ qui manque cette fois. En conséquence, à cause cette façon de gouverner et du régime qu’il a mis en place, il ne dispose pas non plus de la reconnaissance sociale nécessaire à la légitimité.
Par son arrivée au pouvoir illégal et l’exercice de celui-ci qui l’est tout autant, Monsieur Macron est doublement illégitime à occuper la charge de président de la république française. Il nous a imprudemment proposé sa définition de la dictature : « Une dictature, c’est un régime ou une personne ou un clan qui décide des lois. » Désolé Monsieur Macron, mais c’est exactement ce qui se passe aujourd’hui en France. Les Français ne pensent peut-être pas vivre dans une dictature mais ils savent désormais leur président illégitime et ne l’acceptent plus.
Ils aspirent à retrouver leur démocratie représentative républicaine.
Et pour cela il est nécessaire qu’Emmanuel Macron et sa bande s’en aille.

samedi 25 janvier 2020

EMMANUEL MACRON : ILLÉGALITÉ, ILLÉGITIMITÉ ET IMPOSTURE.


EMMANUEL MACRON : ILLÉGALITÉ, ILLÉGITIMITÉ ET IMPOSTURE.

25 JANVIER 2020RÉGIS DE CASTELNAU  1 COMMENT
La France et le problème Macron.
La République française à un gros problème avec celui qui lui sert de président. Celui-ci est désormais perçu massivement par le peuple comme complètement illégitime à en occuper ce poste à diriger le pays.
Cette situation explique le rejet dont il est l’objet et ce au-delà de la politique mise en œuvre, la corruption qui l’entoure, sa nullité politique, ses traits de caractère insupportables et son arrogance personnelle. Toutes ses interventions quelles qu’elles soient, sont immédiatement disqualifiées avec une rage surprenante. Et il apparaît maintenant d’évidence qu’il ne pourra pas gouverner sans le recours à une répression féroce à l’aide de sa justice, sa police et les lois liberticides que son Assemblée nationale croupion adopte en cadence. Interpellé sur les dérives de son régime Emmanuel Macron a voulu imprudemment nous donner une petite leçon en lançant à la volée « essayez la dictature et vous verrez! », en définissant en parallèle dictature et démocratie. Le problème est que sa description de la dictature colle à son système. Et celle de la démocratie entretient avec le macronisme des rapports étonnamment lointains. Quand par exemple il dit : « Une dictature, c’est un régime ou une personne ou un clan décident des lois », on a envie de lui répondre « mais Monsieur Macron c’est exactement ce qui se passe avec votre Assemblée nationale croupion complètement caporalisée et qui n’a aucun état d’âme à piétiner nos libertés publiques à votre demande. Et quand les sénateurs essaient d’utiliser leurs maigres prérogatives de contrôle, vous et vos hommes de main les insultez et les menacez. »
Avant d’examiner comment et pourquoi la légitimité de l’actuel président de la république est complètement anéantie, il convient de s’expliquer sur ce que devrait être cette légitimité républicaine qui lui fait désormais complètement défaut.
Évidemment, on en revient une fois encore à Max Weber qui en a défini la dimension politique. Pour lui, le concept de légitimité se rapporte à la notion de reconnaissance sociale. C’est socialement et non juridiquement que se définit la légitimité. Même si dans une démocratie, le pouvoir (Macht) réside dans la domination (Herrschaft) rationnelle et légale, la légitimité vient d’abord du respect de la loi, condition première nécessaire mais pas suffisante. Or, dans les faits le régime Macron est formidablement éloigné cette exigence. Inconstitutionnalité et illégalité à tous les étages, et les psalmodies régulières de ses soutiens, passant leur temps à invoquer une soi-disant légalité formelle de son arrivée au pouvoir n’y changeront rien. D’abord parce que c’est faux, puisque que cette élection a été manipulée et truffée d’illégalités. Et que les Français clairement ou confusément le savent ce qui explique depuis un an leur rejet massif du locataire de l’Élysée. Mais ensuite ce rejet provient aussi de ce qu’après l’élection la légitimité démocratique doit se valider jour après jour par un exercice du pouvoir régulé dans un dispositif institutionnel fonctionnant normalement. Or, ce n’est clairement pas le cas du système Macron. Et empêche la reconnaissance sociale de ce pouvoir minoritaire comme l’ont encore démontré les élections européennes où le parti du président présenté par sa propagande comme vainqueur (!) a royalement culminé à 11 % des inscrits…
Comment Emmanuel Macron est-il arrivé au pouvoir ?
L’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron au poste principal de la Ve République est le fruit d’une assez extraordinaire manipulation. Qui a bénéficié de circonstances et d’un alignement des astres qui ne sont pas près de se reproduire. Une des causes profondes s’enracine en mai 2005 avec le référendum qui rejetait le traité constitutionnel européen. C’était un véritable défi lancé au bloc élitaire qui dans toutes ses composantes s’était mobilisé pour le oui. On sait ce qu’il en a été du respect de la souveraineté populaire avec la forfaiture de mars 2008 où François Hollande apporta à Nicolas Sarkozy les voix du parti socialiste au Congrès sans lesquelles le forfait démocratique de la ratification du traité de Lisbonne n’aurait pas été possible. Le rejet de la classe politique s’en trouva renforcé, mais les Français jugèrent quand même bon (!) pour chasser un Sarkozy détesté, d’élire à la présidence en 2012, le principal artisan de la trahison. On sait ce qu’il advint de ce mandat lamentable au bout duquel comme nous le dit Emmanuel Todd dans son dernier ouvrage : « François Hollande n’a même pas pu se présenter à l’élection de 2017. Il a été comme vomi par le pays »   
Compte tenu du score du Front National aux élections européennes de 2014, il fut dès lors évident que Marine Le Pen figurerait au deuxième tour de la présidentielles 2017 son concurrent ayant alors toutes les chances de devenir président. La haute fonction publique d’État choisit alors l’un de ses représentants pour être ce candidat et qui proposé aux grands intérêts et oligarques français fût adoubé. Le 23 avril Emmanuel Macron avec 16 % des électeurs inscrits se retrouva qualifié pour le deuxième tour, où présenté comme un rempart contre un fascisme imaginaire, il l’emporta facilement. On retrouvera les détails nécessaires de cet étonnant hold-up dans trois ouvrages que l’on recommandera ici : « Les réseaux de secret de Macron » de Marc Endeveld et « Opération Macron » d’Eric Stemmelen qui décrivent les méthodes assez stupéfiantes d’Emmanuel Macron et de sa bande et le formidable soutien financier médiatique dont il a bénéficié de la part du Capital français. On ajoutera également pour l’analyse qu’il fait des spécifités politiques du bloc que le nouveau président de la république a su agréger autour de lui, l’ouvrage de Jérôme Sainte-Marie « Bloc contre bloc ». Mais bien sûr, la mise en orbite de ce satellite radicalement inconnu jusqu’alors n’aurait pas pu se faire sans l’opération judiciaire lancée au beau milieu de la campagne électorale contre le candidat de la droite que tout le monde donnait comme futur président. Nous avons analysé cet incroyable épisode où des magistrats et des journalistes dévoyés ont prêté la main à une opération directement destinée à fausser la principale élection de la Ve République. Il faut une fois de plus confirmer qu’il ne s’agit pas particulièrement de défendre François Fillon qui fut d’ailleurs pendant toutes cette période assez lamentable mais de souligner à nouveau le caractère complètement anormal sur les plans juridiques et judiciaires de ce qui s’est produit.
Et il n’est pas excessif de considérer que pour imposer Emmanuel Macron à la présidence de la république une conjonction d’intérêts a bien organisé une forme de coup d’État. L’objection selon laquelle cette qualification ne pourrait être retenue parce que son élection serait extérieurement et formellement légale, ne tient pas. D’abord historiquement il est des coups d’état incontestables mais qui ont respecté la légalité formelle, comme celui de Bonaparte le 18 brumaire par exemple. Ensuite parce que si l’on décortique un peu les conditions dans lesquelles cette élection présidentielle de 2017 s’est déroulée, on peut en conclure qu’elle est complètement illégale. En rappelant qu’illégalité juridique ne veut pas dire nullité. C’est-à-dire que si l’on peut constater qu’une élection s’est déroulée illégalement, seul le juge régulièrement saisi peut le prendre en compte et prononcer les annulations et les sanctions nécessaires. Or, non seulement aucune procédure n’a été diligentée, mais certaines des institutions de contrôle ont carrément refusé d’accomplir leur mission.
Une élection illégale ?
Pourquoi l’élection Emmanuel Macron serait-elle illégale ? Pour plusieurs raisons, que l’on n’exposera pas ici en détail mais en rappelant qu’en France il existe une réglementation stricte dans le Code électoral dont le respect impératif permet d’assurer la sincérité du scrutin. Ces règles concernent essentiellement le financement des campagnes et la communication en période électorale. Le financement de la campagne d’Emmanuel Macron a bénéficié de façon incontestable de financements plus que suspects, à commencer par l’utilisation des moyens de l’État et des collectivités locales au soutien du candidat ce qui est radicalement prohibé. Il y a eu ensuite toute une série d’apports de particuliers qui comme l’a relevé le député Marleix ressemblaient à des rémunérations de service et à de la corruption. Il y a eu ensuite dans le domaine de la communication une invraisemblable et massive propagande de la presse audiovisuelle et écrite entre les mains des oligarques français, provoquant un déséquilibre majeur dans le débat démocratique et altérant ainsi la sincérité du scrutin. Il y a plus.
Ce qui relevait de la pure et simple promotion commerciale est non seulement interdit, mais les coûts que représentaient ce déferlement auraient dû être réintégrés dans le compte de campagne d’Emmanuel Macron. Ce qui aurait fait évidemment exploser le plafond. Dans n’importe quelle élection locale, la constatation de telles infractions vaudrait aller direct vers l’annulation, l’inéligibilité voire les procédures pénales. Et bien sûr, avec l’affaire Fillon l’instrumentalisation grossière de la justice à des fins qui n’étaient pas les siennes a décisivement contribué à l’altération de la sincérité du scrutin.
On me répondra, mais puisque c’est si clair, comment se fait-il qu’aucun contrôle n’ait pu jouer, que les autorités chargées de les opérer soient ainsi restées les bras croisés ? Tout simplement et clairement parce qu’elles ont complètement rallié la solution que représentait Emmanuel Macron. Les magistrats du pôle financier et les journalistes à la manœuvre pour disqualifier Fillon l’ont probablement plutôt fait pour écarter celui qui pour eux représentait l’horreur d’un candidat de droite catholique. Mais la conséquence de l’arrivée de Macron ne leur posait aucun problème. Quant aux autres, Conseil Constitutionnel et Conseil d’État, ce sont des amis du nouveau président. Pour la Commission Nationale des Comptes de Campagne, d’une pudeur de violette durant toute la période, les méchantes langues ont relevé l’augmentation copieuse (57 % !) de la rémunération de son président dans les semaines qui ont suivi …
On pourra nous chanter sur tous les tons les tautologies ineptes brandies sur les plateaux par les éditocrates et les faux politologues : « Emmanuel Macron est légitime parce qu’il est légitime », on se heurtera au mur des faits : les Français pensent et ressentent aujourd’hui massivement Macron comme illégitime parce qu’il est arrivé au pouvoir au terme d’un processus illégal et irrégulier. Comme nous l’avons vu, dans un système de démocratie représentative, la légitimité politique d’occuper un mandat et d’appliquer son programme nécessite que soient réunies deux conditions cumulatives. Tout d’abord une arrivée au pouvoir légale et régulière par un scrutin dont la « sincérité » ne peut être mise en doute. Ensuite que cette arrivée bénéficie d’une reconnaissance sociale de la part des gouvernés. Il faut rappeler que l’existence de la première peut ne pas suffire pour garder la légitimité politique. Guy Mollet et ses amis l’ont appris à leurs dépens, qui portés régulièrement au pouvoir en 1956 et ayant amené la France au bord de la guerre civile, furent contraint de le céder à la légitimité du général de Gaulle. Qui s’empressa d’ailleurs de donner à sa prise du pouvoir le cadre juridique et légal indispensable. Parce qu’évidemment l’absence de la première condition, celle de la légalité nécessaire, entraîne de facto la disparition de la deuxième.
Ainsi pour gouverner, si la condition de légalité initiale nécessaire à la légitimité est remplie (ce qui n’est pas le cas pour Macron comme nous venons de le voir), pour pérenniser la deuxième, celle de la reconnaissance sociale, il est quand même nécessaire de construire et de préserver la légitimité pas seulement la sienne mais celle de tout le dispositif dans lequel il l’exerce.
Et de ce point de vue, dans l’accomplissement de son mandat, l’illégalité d’Emmanuel Macron est constamment au rendez-vous. Réduisant à néant une légitimité déjà extrêmement fragile.
Ce sera l’objet d’une deuxième partie


jeudi 16 janvier 2020

Quelle « violence légitime » ?


par Frédéric Lordon, 14 janvier 2020
Le Monde diplomatique
Quelle « violence légitime » ?



Ils auront matraqué des personnes âgées frappé des handicapés en chaise roulante, tiré au LBD sur des ados, agenouillé des classes entières, lancé des grenades à l’intérieur des appartements, tué une vieille dame — et puis bien sûr visé les yeux, lancé les GLI-F4 en cloche, arraché des mains. Ils auront tout fait — la police de Macron. Maintenant la haine de la population est sortie, et elle ne rentrera pas de sitôt dans le tube. Sa légitimité est constituée, entière, incontestable. La population hait la police et personne ne pourra lui dire qu’elle n’a pas raison.

Les violents dans les institutions de la violence


Qu’on trouve surreprésentés des individus violents à l’embauche des institutions de la violence, il ne devrait y avoir là rien pour étonner. Toute la question est celle de savoir ce que les institutions de la violence font de leurs violents. La combinaison de la nullité burlesque de Castaner et de la complète étrangeté de Macron au monde réel, associées à la situation du régime ne tenant plus que par la force armée, ont conduit à tout lâcher là où il était impérieux de tout tenir. C’est que la prérogative exorbitante d’exercer la violence ne peut aller sans la contrepartie d’une responsabilité et d’une surveillance exorbitantes. Si le macronisme restera dans l’histoire comme la bascule dans l’État policier, c’est parce qu’à la prérogative exorbitante, il aura au contraire ajouté les autorisations exorbitantes : faites ce que vous voulez.
Il faut se représenter la décharge biochimique qu’entraîne dans des têtes violentes cette parole à peine murmurée : faites ce que vous voulez. C’est la décharge de la pulsion à laquelle d’un coup il est donné libre cours. On ne reprend pas facilement le bouillonnement sadique après l’avoir libéré. Chez les sujets dont nous parlons, l’expérience de la licence absolue, comme un Salò à ciel ouvert, licence de brutaliser, d’insulter, d’humilier, d’exercer par la violence un pouvoir unilatéral sans borne, puisque l’impunité est devenue une garantie implicite, cette expérience est de celle dont on ne revient pas facilement. La police est partie, et maintenant il va falloir la rattraper. Le régime avait l’usage mais aussi la garde d’individus potentiellement dangereux, dont il exploitait à ses fins les pulsions ; dans la panique pour sa propre survie, il a tout lâché ; il a maintenant abandonné la société politique à un corps étranger, irrésistiblement pris dans un devenir-milice, qui ne vit plus que d’une vie totalement autocentrée, et totalement préoccupée de ses assouvissements. « Maintenant sous Macron, on a tous les droits ». La police n’a pas besoin de circulaires pour mesurer l’ampleur de ses autorisations.
On dit que la répétition des week-ends jaunes « épuise » les policiers, « les prive de leur vie de famille ». Pour certains au moins c’est une énorme blague. Un article du Canard Enchaîné début 2019 avait mieux restitué la disposition d’esprit policière à l’approche des actes « gilets jaunes » : « C’est la fête du slip ». Chez les baqueux, on pousse des cris de jungle à chaque impact de LBD. Partout ça jouit à en hurler de bonheur. On pense à ce CRS interviewé dans La Série Documentaire de France Culture consacrée à la police : « Je suis chanceux, chanceux, vous ne pouvez pas savoir à quel point je remercie, tous les jours en allant au travail, je dis merci, merci, merci ». La jouissance a saisi les corps : on se souvient du bonheur physique d’un des CRS gazeurs de jeunes écolos sur le pont Sully cet été, impérial, poivreuse en main, parfaite décontraction, totale certitude d’un pouvoir sans limite. C’est le même corps exultant de violence qui jouit à littéralement détruire une femme syndicaliste dans la manifestation du 9 janvier.
Mais l’on sait à quel niveau l’on est descendu quand c’est le moins pire qui est presque le pire : ainsi de ce croche-patte d’un CRS à une femme à peine arrêtée, sans doute objectivement moins violent qu’un œil crevé, et pourtant tréfonds d’ignominie qui dit tout de la position psychique présente de la police. Et de sa déchéance morale plus encore : ces gens sont sans honneur, sans dignité, sans face. Ils sont hors-tout, et c’est à eux qu’on a donné les armes. Cet été, aux Rencontres d’Eymoutiers, un « gilet jaune », la tranquillité de la classe moyenne en personne, racontait comment, pour protéger sa femme de la violence policière, il s’était interposé, donc retrouvé en garde-à-vue, et entendu dire : « Elle est belle ta fille, il ne faudrait pas qu’il lui arrive quelque chose ». La police française est dans la fange.

L’effondrement des forces de rappel

L’est-elle toute ? On veut bien croire qu’il reste dans l’institution quelques atterrés de l’intérieur, mais à l’évidence minoritaires, et, à de rarissimes exceptions près, réduits au silence. C’est que la catastrophe se mesure maintenant à ce qu’on entend « dans les étages », quand on remonte dans la hiérarchie, là où normalement devraient se faire connaître les forces de rappel. Et où tout a cédé identiquement. On pense notamment, si l’on peut appeler ça « les étages »…, à ces syndicalistes policiers, illustration parfaite de la vie autocentrée de ce corps, coupé de tout le reste de la société, muré dans le déni massif et l’autojustification acharnée, à l’image du secrétaire d’Unité SGP Police FO qui, après l’acte « gilet jaune » du 11 février où un manifestant (de plus) avait eu une main arrachée avait eu pour tout commentaire : « J’ai envie de dire, c’est bien fait pour sa gueule ». On pense aussi à ces syndicalistes qui, sur les réseaux sociaux, font ouvertement la chasse aux journalistes qui rendent compte de leurs exactions, Gaspard Glanz et Taha Bouhafs entre autres, pionniers les plus courageux et les plus exposés, mais sans que la vindicte policière ne s’arrête désormais aux « journalistes indépendants » (en fait des journalistes tout court), puisqu’elle s’en prend maintenant tout aussi agressivement aux journalistes de la presse mainstream.
Voilà pour le « premier étage ». Mais plus on monte, moins on trouve ce qu’on espérerait trouver. C’est un commissaire qui a poussé à l’intervention où Steve a trouvé la mort. C’est un autre commissaire qui, avec le recul, ne voit rien à redire à la manœuvre de ses troupes qui ont mis des dizaines de lycéens à genoux mains sur la tête à Mantes-la-Jolie. L’image a stupéfié le monde, mais lui ne voit aucun problème, et si c’était à refaire… Voilà le message glaçant : ces gens sont prêts à tout faire, et à tout refaire. Il n’y a plus rien en eux, même pas la force de résonance historique d’une image, qui puisse frayer son chemin jusqu’à un reliquat de conscience morale, susciter la moindre reprise, un début d’hésitation à l’ampleur symbolique des actes qu’ils commandent, et endossent. Sur le terrain on jouit, dans les étages on pense qu’on est bien fondé.
Tout le monde maintenant, sauf peut-être Anne Sinclair, connaît les propos du préfet Lallement.
Les confirmations, comme la pourriture du poisson, venant toujours par la tête, le plus effrayant est à situer tout en haut. Dans le bureau du préfet de police de Paris, il y a un individu comme on n’en avait pas vu depuis Papon — rappel que l’histoire ne passe jamais complètement. L’opinion ne s’y trompe pas quand tous les faits, gestes, attitudes, dégaines, rictus, sourires du préfet Lallement la renvoient irrésistiblement à des évocations de l’Occupation, c’est-à-dire génériquement à une époque sommet de la violence pulsionnelle d’institution. Le sentiment de licence est tel que l’usuelle limitation de l’expression au registre corporel, protectrice puisqu’on ne peut rien lui faire dire formellement, a cédé à son tour, et livré passage à l’explicite : « nous ne sommes pas dans le même camp »« les partis contestataires ». Tout le monde maintenant, sauf peut-être Anne Sinclair, connaît les propos du préfet Lallement. Là où d’habitude c’est le black bloc qui défonce, ici la ruine de la vitrine aura été autoadministrée. En deux phrases confirmant tous les sourires tordus, la fiction de « la police gardienne de l’ordre républicain » a volé en éclats.
Au vrai, on ne sait plus trop quoi faire depuis longtemps de ces signifiants, « république », « républicain », dont le seul usage résiduel pertinent est peut-être à trouver dans le fait qu’ils demeurent, envers et contre tout, opératoires dans certaines têtes, médiatiques notamment, où ils peuvent encore faire levier pour prendre conscience, par différence, de l’état actuel de la police : devenue milice hors de contrôle, elle a logiquement cessé d’être « républicaine ». Un préfet qui pense par « camps » et traque les « partis contestataires » est tout ce qu’on veut sauf « la république ». Pour tous ceux qui continuent de croire à la fiction de la « république », il devrait y avoir au moins là l’occasion formelle de constater ce que le chef de la police a fait de leur idéal : un débris piétiné dans un sourire à faire peur.

De la « violence légitime »…

Il reste cependant une différence entre le « bas » et le « haut ». Si « en bas » on cogne en silence (ou bien par cris), « en haut », on fait des phrases. Une surtout : « le-monopole-de-la-violence-légitime ». Tragique destin de l’œuvre de Max Weber, réduite à l’état de grumeaux de pensée Sciences-Po, pathétiquement mâchonnés par des hauts-fonctionnaires ou des éditocrates sans esprit. Par des hommes politiques aussi, et pas des moindres — mais ils sortent souvent des mêmes fermes d’élevage. De Lallement, Morvan (ex-DGPN), Jullien (directrice IGPN) à Macron et Philippe (mais sans passer par Castaner dont le grelot ne rend du son qu’agité au Macumba), c’est la même idée obstinée, le même entêtement buté, dernier rempart justificateur à quoi il faut impérativement tout accrocher pour que tout ne sombre pas dans l’indignité pure. « L’État détient le monopole de la violence légitime ». Il s’ensuit 1) que toute autre violence est illégitime et 2) que la violence d’État n’est jamais illégitime — puisqu’elle est légitime. On en est là de la « réflexion »… Alors il ne peut pas y avoir de « violence policière », puisque la police est l’État et que la violence d’État est légitime. Voilà le fond de casserole incrusté, qui sert de pensée à ces individus.
On peine pourtant à croire que quiconque puisse voir un argument sérieux dans une pure pétition de principe, démonstration entièrement circulaire qui présuppose ce à quoi elle veut aboutir. Et qui, d’évidence, ne comprend rien à ce que c’est que la légitimité. C’est que la légitimité n’est pas une propriété substantielle, qui se transporterait dans le temps comme ça, inaltérée, acquise une fois pour toute. La réalité est tout autre : on est légitime… tant qu’on est reconnu comme légitime. Tel est le fin mot de la légitimité : elle n’est qu’un effet d’opinion, une circularité, certes, mais qui doit être impérativement soutenue par la croyance collective — et pas juste par un simple décret. Si bien que la légitimité ne dure que ce que dure la reconnaissance. Et pas une seconde de plus. Si la croyance collective est détruite, la légitimité est détruite à son tour. Or les croyances et les opinions n’attendent pas les délais réglementaires de cinq ans pour se réviser, elles évoluent avec ce qu’elles ont sous les yeux. Et avec ce que le macronisme leur a donné à voir en deux ans, c’est peu dire qu’elles sont parties ailleurs.
Pendant ce temps les hommes de pouvoir et leurs valets de pied intellectuels continuent de tenir l’attribution électorale du pouvoir comme l’unique brevet de légitimité, intangible, valable sans autre condition pour la durée du terme. Le pouvoir — à l’image de sa police — peut donc faire ce qu’il veut, sans que sa « légitimité » n’en souffre la moindre altération. Aussi toute contestation en légitimité est-elle systématiquement écartée par l’argument électoral : « il a été élu dans les formes, il est légitime ». Mais l’élection n’est qu’une procédure, l’un des éléments seulement auxquels s’accroche la croyance en la légitimité — du reste une procédure aux propriétés légitimatrices abyssalement décroissantes, sauf dans l’esprit de la minorité de tête d’épingle qui y croit encore. Et seuls des demi-débiles pour chaînes d’information en continu peuvent s’entêter dans un raisonnement aussi défectueux, du reste ridiculisé par l’histoire — ou alors il faudra considérer comme illégitimes tous ceux qui en Allemagne ont contesté le pouvoir du chancelier Hitler (au passage : marche aussi pour ceux qui en Russie, contesteraient celui de Poutine).
L’État ne peut donc dire sa violence légitime… qu’à la condition de se maintenir dans la reconnaissance comme légitime. Or ni le gouvernement qui en ce moment incarne l’État, ni la police qui en est le bras armé permanent mais désormais dévoyée au-delà de la honte, ne peuvent plus soutenir cette prétention. Qui ne se suffit pas d’une phrase sortie en bouillie d’un cours de Sciences-Po ni même de la seule forme de l’élection, mais se rejuge en permanence dans les têtes, à des actes.

Qui est légitime ?

Les fanatiques du « monopole de la violence légitime » vont bientôt avoir l’occasion de se rendre compte de leur erreur. Car la croyance collective est en train de se déplacer. Y compris dans ses composantes les plus inertes, les plus rivées à l’ordre, les moins capables de révision : les médias mainstream. Le Monde, l’organe directeur des consciences de la bourgeoisie poseuse, avait commencé depuis cet été à travailler sérieusement sur des cas de violences policières — fort bien au demeurant. Avec une sage lenteur, l’éditorial fait accéder ces articles au stade de la généralité. Il aura tout de même fallu une année entière pour que le-journal-de-référence finisse par tomber les peaux de saucisson, et se montre à la hauteur de son « devoir d’informer » — un an ! Et ceci en n’étant toujours pas capable d’articuler la conclusion politique qui s’ensuit pourtant : en France, le droit politique fondamental en quoi consiste de manifester dans la sûreté a été détruit. En France, il n’est plus possible de manifester sans mettre en péril son intégrité physique, et même jusqu’à sa vie ! On attend toujours qu’un grand média soit capable de dire cet état de fait accablant, qui ramène le gargarisme démocratique des « élites » à une bouffonnerie, et la prétention d’incarner « le libéralisme » contre « l’illibéralisme » des Orban & co à un motif d’hilarité.
À voir le tweet, lui aussi hilarant, d’Anne Sinclair, scandalisée par la vidéo du croche-patte policier, on prend, juste après avoir ri, vertigineusement conscience de l’état de séparation sociologique dans lequel elle vit, et ses semblables prescripteurs avec elle. « Cette vidéo sur laquelle je tombe par hasard, si elle est authentique est hallucinante et scandaleuse… ». Il aura donc fallu « le hasard », en janvier 2020, pour qu’Anne Sinclair entr’aperçoive ce dont la police est capable. On en conclut que, depuis un an, un an d’éborgnements, de mutilations, de matraquages, elle n’avait rien vu. L’éditorialiste du Monde sans doute, lui non plus n’avait rien vu. Dans son cas, il aura probablement fallu que ses journalistes, eux-mêmes secoués par David Dufresne, aillent en manif « pour voir », en reviennent effarés, et lui racontent, pour que l’idée commence à faire son chemin dans son esprit, et débouche — au bout d’un an. Alors on comprend comment marche « la presse démocratique », et l’on comprend l’invisibilisation massive dont les violences policières ont si longtemps fait l’objet. Ce que les médias ne voient pas, cela n’existe pas — or, ils ne voyaient pas…
Mais la force de frappe des réseaux sociaux, la ténacité de quelques journalistes hors-système ont fini par faire craquer la carapace de cécité et de silence. On « en parle ». Certes toujours sans en donner le sens politique déplié, ni en tirer quelque conséquence — comme prendre la tête d’une alarme, ainsi qu’il reviendrait normalement à une presse un peu démocratique. Mais « on en parle ». Et petit à petit les donneurs de leçons commencent à rejoindre l’opinion commune — pour sa part, formée depuis décembre 2018, et comme toujours bien en avance sur eux… Alors peut-être les leçons données vont-elles changer de tonalité, de destinataire aussi. Et (re)découvrir enfin, les avis atterrés des instances internationales, pour qui il y a déjà un moment que la légitimité de « la violence légitime » est sérieusement en question.
Pendant ce temps, Macron continue son soliloque halluciné. « La haine, la violence et l’irrespect, on a le droit de le faire dans une dictature », phrase tout à fait étonnante en soi, qu’il faudrait soumettre simultanément à des linguistes et des politologues, dont il ne voit pas en tout cas que, projectivement, elle ne parle que de lui, de son gouvernement, de sa police et du régime dans lequel il est en train de nous faire entrer. Avec la démolition pure et simple du langage, le renversement projectif est l’une des propriétés les plus inconscientes et les plus systématiques de la langue macronienne. Dont la vérité d’à peu près tous les énoncés peut être restaurée par la simple opération de la mise sens dessus dessous. Ainsi l’obsession pour les « radicalisés » et la « radicalisation » est-elle le reflet inversé d’un bloc de pouvoir qui, depuis ses sommets gouvernementaux jusqu’à ses trolls, a franchi tous les caps de la radicalisation — dont la rage à imposer au corps social qui n’en veut pas une réforme entièrement taillée d’après les intérêts de la finance n’est jamais que la dernière illustration.

De même la fixation sur le terrorisme externe est-elle devenue l’opportunité d’un terrorisme interne — d’État. Un ancien de la préfectorale, ayant eu à connaître des opérations de maintien de l’ordre, était dans la rue le 9 janvier ; interrogé par Arrêt sur images, c’est lui qui, entre autres sauvageries, a filmé le tir de LBD à bout portant. On n’a pas exactement affaire à un ennemi des institutions. Qui n’en raconte pas moins que, traumatisé par ce qu’il a vu, il doit s’asseoir en pleurs sur le trottoir. Puis livre le fin mot de l’affaire : « Le but était de terroriser ». Terrorisme extérieur, terrorisme intérieur…
C’est qu’à un moment, il faut bien prendre les mots au sérieux, et les décoller de leurs usages habituels où les pouvoirs aiment les enfermer. « Sont interdits les actes ou les menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi les populations civiles », indiquent à propos du terrorisme les protocoles additionnels de la Convention de Genève. On cherche ce qui dans l’entreprise systématique menée à grande échelle par la police et le gouvernement, entreprise d’intimidation, d’effroi et de découragement par la menace physique de l’exercice normal des droits politiques fondamentaux ne tombe pas sous cette définition. Et pour tout dire, on ne trouve pas. Qui sont les radicalisés ? Qui sont les criminels ? Qui sont ceux qui terrorisent ?
Et qui est légitime ?
Frédéric Lordon