lundi 12 août 2013

Voile à l'université : encore un sondage très ambigu



Voile à l'université : encore un sondage très ambigu
09 août 2013 | Par
Michaël Hajdenberg (Médiapart)
Selon un sondage IFOP placé en Une du
Figaro, 78 % des Français seraient opposés au port du voile à l'université.
Valls embraye. Les médias entretiennent le débat sur une possible interdiction. Mais une fois de plus, la
construction du questionnaire explique en partie le résultat. Décryptage.
Attention, prévient l’IFOP dans la note méthodologique de
son sondage du jour. Au vu du nombre de personnes
interrogées, il y a une marge d’erreur dans les résultats de son enquête, qu’elle évalue, selon des critères
scientifiques, à 2,5 points.
Si ça se peut, nous dit en substance l’institut de sondage, ce ne sont pas 78 % des Français qui sont opposés au port
du voile à l’université, comme le titre
Le Figaro. Mais 75,5 % ou 80,5 %.
À y regarder de plus près, et comme toujours avec les sondages (voir
notre dossier à ce sujet), il se pourrait
cependant que la marge d’erreur soit beaucoup plus importante. Ou plus exactement qu’on fasse dire aux
« Français » quelque chose qui ne reflète pas précisément leur pensée.
En début de semaine déjà, le débat sur ce thème était parti d’un rapport du Haut conseil à l'intégration dont le
contenu avait été préalablement enterré... (
lire notre article à ce sujet). Cette fois, grâce à un chiffre choc, Le Figaro
maintient dans l’agenda public une question qui, a priori, ne génère pas nécessairement d’insomnies parmi la
population, ni même parmi le lectorat du journal.
Sollicité par le quotidien en réaction, le ministre de l'intérieur, Manuel Valls, estime que la récente proposition du
Haut conseil à l’intégration d’interdire le voile à l’université est
« digne d’intérêt ». S’il pensait le contraire,
oserait-il dire à 80 % de la population qu’elle s’intéresse à des sujets sans intérêt ?
Manuel Valls devrait pourtant prendre cette étude avec prudence. Car, grand classique du sondage, la question dicte
en partie les réponses. L'interrogation posée n’est pas :
– Personnellement, êtes-vous favorable, opposé ou sans opinion sur la nécessité de faire une loi qui interdirait le
port du voile ou du foulard islamique à l’université ?
Mais :
– Personnellement êtes-vous favorable, opposé ou indifférent au port du voile ou du foulard islamique dans les
salles de cours des universités ?
La différence est de taille. Qui est favorable au port du voile dans l’absolu ou à l’université ? La question n’a pas
plus de sens que de dire : Êtes-vous favorable au port du crucifix à l’université ou dans la rue ?
À l’évidence, selon qu’on demande « Êtes-vous pour le fait de fumer dans la rue ? » ou « Êtes-vous pour interdire
la possibilité de fumer dans la rue ? », les réponses seront différentes.
En clair, on peut être contre le port du voile dans l’absolu (et pour des raisons diverses) mais contre le fait de
l’interdire. Or plusieurs médias font le raccourci :
Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion publique à l’IFOP, convient, lui, qu’il existe une différence
entre les deux types de questions :
« Ce n’est pas un sondage sur une possible interdiction. Mais on mesure le fait
qu’il y a une forte opposition à cette pratique. Le résultat serait probablement différent si la question portait sur
une éventuelle interdiction. Mais nous avons repris les termes des questions posées sur le voile par l’IFOP depuis
le début des années 1990 pour pouvoir comparer avec le port du voile dans la rue ou à l’école. Cependant, au vu
des résultats, je pense qu’on aurait une large majorité, y compris à gauche, pour l’interdiction. »
Peut-être. Mais comment savoir ? Selon le sondage, seuls 4 % des Français sont « favorables » au voile à
l'université. Rappelons que les musulmans
représentent environ 7,5 % de la population française.
De façon générale, parmi les 956 Français qui répondent, combien savent qu’à l’heure actuelle, ce port est
autorisé ? Et combien savent exactement de quoi on parle ? Dans les termes de la question, il est précisé port du
« voile »
ou du « foulard islamique ». Comme s’il s’agissait de deux choses différentes. Interrogé à ce sujet, Jérôme
Fourquet répond de nouveau que la terminologie historique de l'institut a été reprise. Semblant hésiter, il explique :
« Pour moi, voile et foulard islamique, oui, c’est pareil. Et je pense que pour les personnes interrogées aussi. On
donne les deux formulations, je pense, pour permettre la compréhension la plus répandue. »
Même si Jérôme Fourquet pense que les résultats seraient les mêmes, il serait intéressant de comparer les scores en
enlevant le mot « islamique ». De faire le test avec juste le mot « foulard ». Ou seulement le « voile ». Car en
présentant ces deux éléments, combien de sondés imaginent – à tort – qu’on leur parle de la burqa, ce voile intégral
qui ne laisse voir que les yeux et qui est déjà interdit dans l’espace public ?
La question se pose d’autant plus quand on entre dans les détails du sondage pour savoir qui est favorable ou non
au port du voile. Déjà, on découvre qu'ils sont... 0 % parmi les électeurs de Nicolas Sarkozy lors de la dernière
présidentielle à se dire « favorables » au port du voile à l’université… Étonnante unanimité.
Mais la surprise est encore plus grande à gauche : à en croire l’étude, seuls 8 % des électeurs de François Hollande
lors de la dernière présidentielle seraient « favorables » au port du voile à l’université. 5 % des électeurs de Jean-
Luc Mélenchon. 3 % des électeurs de François Bayrou. Tous les autres seraient défavorables (ou indifférents) à
cette pratique qui n’a jamais posé de problème majeur si l'on en croit la ministre de l'enseignement
supérieur
Geneviève Fioraso ou les présidents d'université.
Voilà qui ne surprend pourtant pas outre mesure Jérôme Fourquet.
« Regardez comment Valls a réagi au quart de
tour, et la façon dont il a été acclamé l’an passé à La Rochelle. L’opinion publique, notamment à gauche, s’est
considérablement durcie sur ces questions au cours des dernières années. »
De là à en faire un enjeu majeur ?
« Je ne dis pas que les électeurs de gauche sont taraudés par cette question tous
les matins. Ce n’est pas forcément leur priorité »
, explique Jérôme Fourquet. Sauf qu’une fois de plus, le sondagesuscite l’opinion. Et permet de faire de gros titres.

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