petit guide
contre les bobards médiatiques
Les discours officiels sur la Grèce :
Pourquoi ils sont faux ?
Quelles leçons pour la France et l’Europe ?
Malgré l’ingérence et la pression des dirigeants de l’Union Européenne, le peuple grec a
décidé de prendre courageusement son destin en main et d’en finir avec les politiques
d’austérité qui ont plongé le pays dans la misère et la récession. Dans les pays victimes de
la Troïka, mais aussi dans de nombreux autres pays européens, cette victoire est perçue
comme un formidable encouragement à lutter pour mettre un terme à des politiques
profitables aux marchés financiers et désastreuses pour les populations.
Mais déjà les grands médias relaient l’idée absurde selon laquelle l’annulation de la dette
grecque « coûterait 600 euros à chaque contribuable français ». À mesure que les
négociations vont se durcir entre la Grèce et la Troïka, la propagande va s’intensifier et notre
travail d’éducation populaire sur la question de la dette publique va devenir de plus en plus
décisif. Ces réponses aux idées reçues sur la dette grecque ont vocation à y contribuer.
Idée reçue n°1 : Annuler la dette grecque: 636 € par Français ?
Le discours officiel sur la Grèce
« Il n'est pas question de transférer le poids de la dette grecque du contribuable grec au
contribuable français » (Michel Sapin, ministre de l’Économie, Europe N°1, 2/02), « une
ardoise de 735 € par Français » (Le Figaro, 8 janvier), 636 € selon TF1 (2 février).
Pourquoi c’est faux ?
La France est engagée à la hauteur de 40 milliards € par rapport à la Grèce : une petite
partie a été prêtée à ce pays dans le cadre de prêts bilatéraux, le reste (environ 30 milliards
d'euros) étant apporté en garantie au Fonds européen de solidarité financière1
(FESF), lequel
a emprunté sur les marchés financiers pour prêter à la Grèce.
Dans les deux cas ces prêts sont déjà comptabilisés dans la dette publique française (environ
2000 milliards €). Leur annulation n’augmenterait donc pas la dette.
La France devra-t-elle débourser ces sommes en cas d’annulation de la dette grecque ? Non,
car en fait, la France, comme la plupart des pays, ne rembourse jamais vraiment sa dette.
Lorsqu’un emprunt vient à échéance, la France le rembourse en empruntant de nouveau. On
dit que l’État fait « rouler sa dette ».
La seule chose que perdraient les contribuables français, ce sont les intérêts versés par la
Grèce, soit 15 € par Français et par an2
.
La BCE pourrait résoudre facilement le problème de la dette grecque. Elle pourrait rayer d’un
trait de plume les 28 milliards qu’elle détient. Elle pourrait racheter aux institutions publiques
(États, FESF) les titres grecs qu’ils détiennent, et les annuler également. Ou bien les
transformer – comme le demande la Grèce – en obligations perpétuelles, avec un taux
d’intérêt fixe et faible, et pas de remboursement du capital. De toute façon une banque
centrale ne court aucun risque financier puisqu’elle peut se refinancer elle-même par
création monétaire.
Quelles leçons pour la France et l’Europe ?
En France aussi la dette publique est insoutenable et ne pourra pas être remboursée. Les
taux d’intérêt sont très faibles aujourd’hui ? Oui, mais c’est parce que la France mène une
politique d’austérité qui plaît aux marchés financiers. C’est aussi parce que les investisseurs
financiers ne veulent plus courir le risque d’investissements dans le secteur productif. Pour
en finir avec cette politique en France et en Europe, il faudra aussi alléger le poids des
dettes, d’une façon ou d’une autre : restructuration, remboursement partiel par un
prélèvement exceptionnel sur les grandes fortunes, annulation partielle... toutes les
hypothèses doivent être étudiées et faire l’objet de choix démocratiques.
1Le FESF, Fonds européen de solidarité financière, créé en 2010, vise à préserver la stabilité financière en Europe
en fournissant une assistance financière aux États de la zone euro. Cette aide est conditionnée à l’acceptation de
plans d’ajustement structurel. Il a été remplacé par le Mécanisme européen de solidarité (MES) en 2012.
2Ivan Best, La Tribune, 5 février
Idée reçue n°2 : Quand on doit, on rembourse ?
Le discours officiel sur la Grèce
« La Grèce devra rembourser sa dette » (Michel Sapin, 2 février) « Une dette est une dette.
Rembourser est un devoir éthique pour un État de droit » (Marine Le Pen, 4 février)
Pourquoi c’est faux ?
Sauf rares exceptions, un État ne rembourse pas sa dette : il ré-emprunte pour faire face aux
échéances. Au budget de l’État figurent les intérêts de la dette, jamais le remboursement de
la somme empruntée (le principal). Contrairement à un particulier, l’État n’est pas mortel, il
peut s’endetter sans fin pour payer ses dettes. C’est la différence avec l’emprunt d’une mère
de famille qui, elle, est obligée de rembourser sa dette.
Mais quand les marchés financiers ne veulent plus prêter à un État, ou exigent des taux
d’intérêt exorbitants, et que l’Etat n’a plus accès à la création monétaire de la Banque
Centrale de son pays, les choses se gâtent. C’est pourquoi en 2011, quand les banques ont
pris peur devant les difficultés de la Grèce, la BCE et les États européens ont du lui prêter.
C’est ce qui leur permet aujourd’hui d’exercer un brutal chantage en menaçant de couper les
crédits à la Grèce si son gouvernement maintient les mesures anti-austérité promises aux
électeurs: hausse du SMIC et des retraites, ré-embauche des fonctionnaires licenciés, arrêt
des privatisations.
De nombreuses expériences historiques de pays surendettés (Allemagne 1953, Pologne
1991, Irak 2003, Équateur 2008, Islande 2011, Irlande 2013…) ont pourtant abouti à la
même conclusion : quand la dette est trop lourde (190% du PIB pour la Grèce !), il faut
l’annuler et/ou la restructurer pour permettre un nouveau départ.
Chacun sait – même le FMI et la BCE - que l’actuel fardeau de la dette est trop lourd pour la
Grèce. Une renégociation est nécessaire, portant sur une annulation partielle, sur les taux
d’intérêt et l’échéancier. Il faut pour cela une conférence européenne sur la dette comme ce
fut le cas en 1953 pour la République Fédérale Allemande.
Pour être efficace cette conférence doit pouvoir prendre appui sur les travaux d’une
commission internationale et citoyenne d’audit de la dette grecque. Cet audit déterminera
quelles est la part légitime de la dette, dont il convient de s’acquitter, même avec taux
d'intérêt et des délais renégociés, et la part illégitime, qui peut être contestée.
Est légitime la dette contractée légalement pour financer des investissements ou des politiques
profitables à la population. Est illégitime la dette qui n’a pas servi les intérêts de la population,
mais a bénéficié à des minorités privilégiées. Selon la jurisprudence internationale, une dette
peut même avoir un caractère odieux ou être illégale, selon la façon dont elle a été contractée.
Quelles leçons pour la France et l’Europe ?
En France aussi, une démarche large d’audit citoyen est nécessaire pour sensibiliser l’opinion
et montrer qui sont les véritables bénéficiaires du système de la dette. Le premier rapport
d’audit citoyen publié en mai 2014 a montré que 59% de la dette française pouvait être
considérée comme illégitime, de par son origine (taux d’intérêt excessifs, cadeaux fiscaux).
Restructurer la dette française dégagerait des ressources pour les services publics, la
transition écologique… Nous allons organiser une conférence européenne des mouvements
sociaux sur la dette, afin de généraliser la démarche.
Idée reçue n°3 : Les Grecs se sont goinfrés, ils doivent payer ?
Le discours officiel sur la Grèce
La Grèce, c’est une « administration pléthorique, 7% du PIB contre 3% en Europe », une
« difficulté à lever l’impôt et à maîtriser les dépenses » (Claudia Senik, économiste)
Pourquoi c’est faux ?
Selon l’OCDE, les fonctionnaires représentaient en Grèce 7% de l’emploi total en 2001, et
8% en 2011, contre 11% en Allemagne et 23% en France (incluant la sécurité sociale). Les
dépenses publiques de la Grèce représentaient en 2011 42% du PIB contre 45%
(Allemagne) et 52% (France).
Pourquoi donc, avant même la crise financière et la récession, la dette publique grecque
était-elle déjà de 103 % du PIB en 2007 ? Une étude récente [1] montre que la flambée de
la dette grecque ne résulte pas du tout d’une gabegie de fonctionnaires et de prestations
sociales. Les dépenses sont restées globalement constantes en % du PIB, de 1990 jusqu’à
2007. Comme en France, ce sont les taux d’intérêt excessifs et les cadeaux fiscaux qui ont
gonflé la dette [2]. Mais en plus, les diktats de la Troïka (Commission européenne, BCE et
FMI) ont fait plonger le PIB grec de 25 % depuis 2010, ce qui a provoqué mécaniquement
une hausse de 33 % du rapport entre la dette et le PIB !
Les taux d’intérêt exigés par les prêteurs entre 1990 et 2000 ont été extravagants : en
moyenne 7,5 % (taux réel corrigé de l'inflation), pour une croissance du PIB de 2,5 %. D’où
un effet « boule de neige » : l’État grec s’est endetté pour parvenir à payer ces intérêts
exorbitants. Si le taux d’intérêt réel était resté limité à 3 %, la dette publique grecque aurait
représenté 64 % du PIB en 2007 au lieu de 103 %.
Concernant les recettes publiques, pour remplir le critère de Maastricht sur le déficit
maximum de 3%, la Grèce a très fortement augmenté les impôts dans les années 1990 : de
28% à 42% du PIB. Mais dès l’entrée dans la zone euro en 2001, les riches grecs ont fait la
fête. Ainsi entre 2004 et 2008 la Grèce a réduit les droits de succession, diminué par deux
fois les taux d’imposition sur le revenu et décrété trois lois d’amnistie fiscale pour les
fraudeurs [3]. Les recettes fiscales sont retombées à 38% du PIB. Si elles avaient gardé leur
niveau de 2000, la dette publique grecque aurait représenté, en 2007, 86 % du PIB au lieu
de 103 %.
Au total, avec des taux d’intérêt «raisonnable» et un simple maintien des recettes publiques,
la dette grecque aurait été deux fois plus faible en 2007. Autrement dit on peut considérer
que la moitié de la dette grecque était illégitime à cette date : elle a découlé d’une ponction
opérée par les créanciers, nationaux ou étrangers, et d’une baisse des impôts au bénéfice
principal des plus riches. L’explosion de la dette depuis 2007, quant à elle, est entièrement
due à la récession infligée par la Troïka. Elle est donc encore plus illégitime.
Quelles leçons pour la France et l’Europe ?
Le Collectif pour un audit citoyen de la dette publique a déjà montré que les mêmes
mécanismes (taux d’intérêt excessifs et cadeaux fiscaux) expliquent 59% de la dette
publique française. En France aussi on pourrait en finir avec les politiques d’austérité si l’on
remettait en cause le fardeau de cette dette, par une annulation partielle et / ou des
mesures de restructuration.
[1] voir http://goo.gl/ZoxQSU qui reprend la méthodologie du rapport du Collectif pour un audit citoyen de la
dette.
[2] Que faire de la dette ? Un audit de la dette publique de la France, mai 2014, http://goo.gl/V1xVzv
[3] Études économiques de l’OCDE, Grèce 2009.
Idée reçue n°4 : On a aidé les Grecs, ils doivent nous remercier?
Le discours officiel sur la Grèce
« La Grèce doit cesser d'être un puits sans fond » (Wolfgang Schäuble, ministre allemand
des finances, 12/02/2012)
Pourquoi c'est faux ?
De 2010 à 2013 la Grèce a reçu 207 Milliards d'euros en prêts des États européens et des
institutions européennes assortis de plans de réformes. Il s'agirait « d'aides à la Grèce ».
Une étude d’ATTAC Autriche3
décortique les destinations des 23 tranches de financement
imposées à la Grèce de 2010 à 2013. 77 % de ces prêts ont servi à recapitaliser les banques
privées grecques (58 Mds €) ou ont été versés directement aux créanciers de l’État grec (101
Mds €), pour l’essentiel des banques européennes et américaines.
Pour 5 euros empruntés, 1 seul est allé dans les caisses de l’État grec !
Le mensuel Alternatives économiques (février 2015) complète l'analyse : de 2010 à fin 2014,
52,8 Mds € de ces prêts ont servi à payer les intérêts des créanciers. Seuls 14,7 Mds € ont
servi à financer des dépenses publiques en Grèce.
Ces 207 Mds € ont donc beaucoup « aidé » les banques et les créanciers mais très peu la
population grecque. Celle-ci, en revanche, doit subir l’austérité imposée par la Troïka (BCE,
Commission FMI) lors de la négociation de ces prêts. De plus, l’État grec doit payer les
intérêts sur l’intégralité de ces plans d’aide. Il est endetté encore pour 40 ans, jusqu’en
2054 ; 30 Mds € sont à verser en 2015.
Qui sont les véritables créanciers de la dette grecque et qui décide de son utilisation ?
Pour une dette totale de 314 Mds €, les créanciers sont : le Fonds européen de stabilité
financière (FESF, maintenant remplacé par le MES, 142 Mds) , les autres États européens (53
Mds), le FMI (23 Mds), le secteur privé (39 Mds), la BCE (27 Mds) et d’autres créanciers
privés (31 Mds).
Le Mécanisme Européen de Stabilité (MES), entré en vigueur en 2012, gère désormais les
prêts aux États de l'UE. Il contracte des prêts sur les marchés financiers et décide de leur
affectation (principalement le sauvetage des banques privées). Les acteurs des marchés
financiers se financent auprès des banques centrales, dont la BCE, à des taux très inférieurs
à l’inflation. Le siège du MES est au Luxembourg, paradis fiscal bien connu.
À aucun moment, l’État grec n’a la main sur les fonds souscrits par le MES. En plus des
réformes imposées par la Troïka, les Grecs payent pour des prêts qui ne leur ont pas été
versés et qui pour l’essentiel profitent au secteur de la finance !
Quelles leçons pour la France et l’Europe ?
Les « aides » bénéficient en fait aux banques et sont payées au prix fort par les populations.
Entre satisfaire les besoins fondamentaux (nourriture, logement, protection sociale, santé et
éducation) ou engraisser les principaux créanciers, le choix va de soi : la priorité n’est pas le
remboursement, mais l'audit des dettes publiques et la clarté sur l'usage des fonds des soidisant
« sauvetages ».
3 https://france.attac.org/nos-idees/mettre-au-pas-la-finance-les/articles/plans-de-sauvetage-de-la-grece-77-desfonds-sont-alles-la-finance
Idée reçue n°5 : La Grèce doit poursuivre les réformes engagées ?
Le discours officiel sur la Grèce
Selon Wolfgang Schäuble, ministre allemand des finances, « la Grèce est tenue de continuer
sur la voie des réformes déjà engagées, sans aucune alternative, quel que soit le résultat du
futur scrutin » (Le Monde 4/01/2014). Ce que François Hollande a confirmé après la victoire
de Syriza : « des engagements ont été pris et doivent être tenus » (27/01).
Pourquoi c’est faux ?
L’austérité imposée n’a pas d’autre objectif que de dégager des capacités de remboursement
pour les créanciers. Or, l’échec est criant ! Oui, la Grèce a besoin de réformes économiques,
sociales et politiques. Mais pas celles de la Troïka – toujours moins d’État, toujours plus de
marchés et d’inégalités – qui ont lamentablement échoué. Contre les logiques financières de
court terme, trois pistes complémentaires doivent permettre la réappropriation par le peuple
grec de son avenir :
(i) Un plan ambitieux de reconquête de l’emploi et de développement économique qui
redessine le système productif vers la transition écologique. Ce plan serait bénéfique,
contrairement aux affirmations de la Troïka, car 1 euro d’investissement public aura des
effets multiplicateurs sur l’investissement privé et l’activité économique aujourd’hui
totalement déprimés. Les pouvoirs publics doivent maîtriser le financement de l’activité : par
exemple avec la création d’une banque publique de développement, un investissement
massif dans l’économie sociale et solidaire, le développement de monnaies complémentaires,
la promotion des banques coopératives.
(ii) La priorité à la cohésion sociale et économique contre la compétitivité et la flexibilité. La
Troïka a imposé une baisse généralisée des revenus ainsi que la suppression de droits
sociaux élémentaires qui ont contracté l’activité sans pour autant réduire la dette. L’État doit
donc retrouver son rôle de régulateur et d’accompagnement pour maintenir la cohésion et
prendre en compte les besoins socio-économiques du pays. Le partage du travail permettrait
la création d’emplois et soutiendrait la demande. Le chômage pourrait baisser rapidement.
Ces réformes passeraient par une autre répartition des richesses.
(iii) La refonte de la démocratie et la réforme de l’État au service des citoyens et de la justice
sociale. La souveraineté de l’État passe par une fiscalité progressive, la lutte contre la
corruption, la fraude et l'évasion fiscales. Ces réformes permettront de redonner des marges
de manœuvre budgétaire pour financer le plan de relance, et pour lutter contre les
inégalités4
et la pauvreté. Les privilèges détenus par l’oligarchie grecque, comme les
armateurs, doivent donc être abolis.
Quelles leçons pour la France et l’Europe ?
L’austérité a échoué, mais des réformes ambitieuses, radicalement différentes, sont possibles
et nécessaires. Un audit des dettes publiques des pays européens pourra identifier des pistes
pour leur allègement décisif. Il faut une politique économique volontariste pour renouer avec
une dynamique d’investissements d’avenir vers la transition écologique. Ceci suppose la
redistribution des richesses et la reconquête de la souveraineté démocratique sur l’économie,
en particulier en stoppant les privatisations. Ces réformes doivent être coopératives et non
soumises à la logique de la guerre économique.
4 Une plus grande justice sociale est source d’efficacité, ce que même l’OCDE démontre :
http://tinyurl.com/kqgmq35
Idée reçue n°6 : L'austérité, c'est dur mais ça finit par marcher ?
Le discours officiel sur la Grèce
« L’austérité, ça paye ! La Grèce repart en trombe. Selon les dernières prévisions de
Bruxelles, la croissance sera cette année de 2,5 % en Grèce et 3,6 % l'année prochaine, ce
qui fera d'Athènes le champion de la croissance de la zone euro! Le chômage commence à
refluer de 28 à 26 %. Bref, au risque de choquer: la détestée troïka a fait du bon boulot!»
(Alexis de Tarlé, JDD, 8 février)
Pourquoi c’est faux ?
Les Grecs seraient-ils stupides d’avoir mis fin à une politique qui marchait si bien ? En 2014,
le PIB de la Grèce est inférieur de 25,8 % à son niveau de 2007. L’investissement a chuté de
67%. Quel bon boulot ! Le taux de chômage est de 26% alors même que nombre de jeunes
et de moins jeunes ont dû quitter leur pays pour trouver un emploi. 46% des Grecs sont audessous
du seuil de pauvreté, la mortalité infantile a augmenté de 43%. Quant aux
prévisions de Bruxelles, à l’automne 2011 elles annonçaient déjà la reprise en Grèce pour
2013. Finalement, le PIB grec a chuté de 4,7% cette année-là.
Tous les économistes honnêtes le reconnaissent maintenant. Les politiques d’austérité
imposées par les institutions européennes ont été catastrophiques pour la Grèce et
l’ensemble de la zone Euro.
Les classes dirigeantes et la technocratie européenne ont voulu utiliser la crise pour réaliser
leur vieux rêve : réduire les dépenses publiques et sociales. Sous les ordres de la Troïka et la
menace des marchés financiers, les pays du Sud de l’Europe ont dû mettre en œuvre des
plans drastiques de réduction des déficits publics qui les ont menés à la dépression. De 2009
à 2014, la réduction des dépenses a été de 11% du PIB pour l’Irlande, 12,5 % du PIB pour
l’Espagne et le Portugal ; 28 % pour la Grèce. Les déficits ont certes été réduits, mais avec
un coût social et économique monstrueux.
Et la dette a continué d’augmenter ! Pour la zone euro, elle est passée de 65% à 94% du
PIB entre 2008 et 2014. L’austérité n’a pas payé, elle a au contraire enfoncé le continent
dans la crise. En réduisant les impôts des hauts revenus et des sociétés, les États ont creusé
les déficits, puis ont emprunté aux riches pour financer ces fameux déficits. Moins d’impôts
payés d’un côté, plus d’intérêts perçus de l’autre, c’est le bingo pour les plus riches !
Quelles leçons pour la France et l’Europe ?
On demande aux Grecs de payer chaque année 4,5 points de la richesse nationale pour
rembourser leur dette; aux citoyens européens, on ne demande « que » 2 points. L’effet est
partout le même : toujours plus de chômage, et toujours moins de ces investissements
publics qui pourraient préparer l’avenir.
C’est la leçon du calvaire grec. Y mettre fin concerne tous les pays d’Europe car il faut
stopper la récession que l’austérité crée partout, et tirer les leçons de la crise pour s’engager
dans un autre modèle de développement. Si austérité il doit y avoir, elle doit frapper les plus
riches, ces « 1% » qui accaparent la richesse sociale et ont bénéficié du système de la
dette. Il faut réduire les déficits et la dette, grâce à une fiscalité plus progressive et une
restructuration des dettes publiques.
Idée reçue n°7 : Une cure d'austérité, c'est pas la mort ?
Le discours officiel sur la Grèce
Christine Lagarde, directrice du FMI : « Non, je pense plutôt aux petits enfants d'une école
dans un petit village au Niger (...), ils ont plus besoin d'aide que les gens d'Athènes » (en
réponse à la question d'un journaliste : « quand vous demandez des mesures dont vous
savez qu'elle vont empêcher des femmes d'accéder à une sage-femme au moment de leur
accouchement, ou des patients d'obtenir les médicaments qui pourraient sauver leur vie, estce
que vous hésitez ? » (The Guardian, 25/05/2012).
"Nous devrons tous perdre de notre confort", (George Papandreou, Reuters, 15/12/2009)
Pourquoi c’est faux ?
En fait de réduire les dépenses de « confort », la Troïka a imposé une réduction de 40% du
budget de la santé en Grèce. Résultat, « plus d’un quart de la population ne bénéficie plus
de couverture sociale, les hôpitaux publics sont débordés et exsangues. La rigueur
budgétaire a désorganisé le système de santé publique et entraîné une crise humanitaire »
(4 janvier 2015 JDD international).
La tuberculose, la syphilis ont réapparu. Les cas de sida se sont multipliés par manque de
moyens pour la prévention. Une étude parue dans le journal médical britannique The Lancet5
tire un bilan terrible : la mortalité infantile a augmenté de 43% entre 2008 et 2010, la
malnutrition des enfants de 19%. Avec les coupes budgétaires dans la prévention des
maladies mentales, les suicides ont grimpé de 45% entre 2007 et 2011. De nombreux
centres pour le planning familial publics sont fermés, ceux qui restent fonctionnent avec un
personnel réduit.
Selon Nathalie Simonnot, de Médecins du Monde, « un forfait de cinq euros à la charge des
patients a ainsi été instauré pour chaque consultation à l’hôpital public…Pour un retraité qui
touche 350 euros par mois, c’est un coût énorme, surtout que la plupart du temps il faut
faire plusieurs consultations (…) Les médecins demandent aux patients d’acheter eux-mêmes
pansements, seringues et gazes parce que certains hôpitaux sont en rupture de stock ».
Des témoignages de ce genre concernaient naguère l’Afrique. La politique de la troïka, des
gouvernements grecs, ont créé un désastre sanitaire qui rend vital un changement de
politique, notamment pour la santé. Si les choses ne sont pas encore pire, c’est grâce aux
centaines de bénévoles des dizaines de dispensaires grecs, à Médecins du monde, à la
solidarité internationale, qui ont limité les dégâts pour ceux qui n’avaient plus accès aux
soins. Le nouveau gouvernement grec a raison de vouloir par exemple réembaucher dans les
centres de santé les 3000 médecins qui ont été licenciés par la Troïka.
Quelles leçons pour la France et l'Europe ?
On sait maintenant que « l'austérité tue »6
. Les responsables des politiques d'austérité se
rendent coupables de véritables crimes quand ils imposent des coupes massives dans les
dépenses de santé, comme cela a été le cas en Grèce, en Espagne, au Portugal. Il faut
partout défendre les systèmes publics de santé contre les privatisations et les
restructurations qui ne visent qu'à réduire les coûts au mépris de la santé.
5 A. Kentikelenis, M.Karanikolos, A. Reeves, M.McKee, DSc, D. Stuckler, « Greece's health crisis: from
austerity to denialism », The Lancet, 20/02/2014,
6 D. Stuckler & S. Basu (2014), Quand l'austérité tue, Préface des Économistes atterrés, Ed. Autrement
Idée reçue n°8 : De toutes façons la Grèce a déjà capitulé ?
Le discours officiel
« En signant un accord à l’Eurogroupe le 20 février, contrairement aux rodomontades, le
gouvernement grec a fini par accepter les conditions de la troïka. Une dure leçon pour les
populistes d'extrême gauche comme d'extrême droite ». (Eric Le Boucher, Slate.fr, 21/02)
Pourquoi c’est faux
Le nouveau gouvernement grec refuse les nouvelles réformes proposées par la Troïka fin
2014 : 160.000 licenciements supplémentaires dans l’administration (santé, éducation), une
nouvelle baisse de 10% des retraites, de nouvelles taxes, une nouvelle hausse de la TVA.
Ces recettes ont déjà été appliquées et ont mené la Grèce au désastre. En moins de 5 ans,
30% d’entreprises ont fermé, 150.000 postes supprimés dans le secteur public, 42%
d’augmentation du chômage, 45% de baisse des retraites, 40% d’augmentation de la
mortalité infantile, une hausse de près de 100% du nombre des personnes sous le seuil de
pauvreté.
Le programme de Syriza proposait au contraire 1. Une renégociation des contrats de prêts et
de la dette. 2. Un plan national de reconstruction immédiate : mesures pour les plus
pauvres (électricité et soins médicaux gratuits, tickets-repas…), le rétablissement du salaire
minimum de 751 euros, la réinstauration des conventions collectives 3. La reconstruction
démocratique de l’État : lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, contre la corruption, ré-
embauche des fonctionnaires licenciés 4. Un plan de reconstruction productive : arrêt des
privatisations, industrialisation et transformation de l’économie par des critères sociaux et
écologiques.
Après un bras de fer avec les institutions européennes, le gouvernement grec a obtenu
l’abandon des objectifs d’excédents budgétaires délirants prévus dans le mémorandum signé
par le gouvernement précédent. De nouvelles aides seront créées : pour financer le
chauffage et l’alimentation des ménages les plus démunis. Les conventions collectives seront
rétablies. La fraude et l’évasion fiscales seront fortement combattus. Les petits propriétaires
endettés ne seront pas expulsés de leur résidence principale.
Mais la Grèce n’est pas libérée de l’austérité. Les nouvelles mesures devront être financées
sans accroître le déficit. Les privatisations seront maintenues. La Grèce s’engage à payer
l’intégralité de la dette, et à ne pas revenir en arrière sur les privatisations. La hausse du
salaire minimum et la restauration des négociations salariales sont repoussées. De nouvelles
épreuves de force sont à prévoir dans les mois qui viennent.
Quelles leçons pour la France et l’Europe
Les institutions européennes veulent empêcher la mise en œuvre de l’essentiel du
programme de Syriza. Aujourd’hui, il s’agit donc de développer dans toute l’Europe des
mouvements coordonnés contre l’austérité, pour la justice sociale, pour empêcher la Troïka
et nos gouvernements d’étouffer la Grèce et les alternatives sociales et politiques qui
émergent en Europe. Nous proposons notamment l’organisation par les mouvements
européens d’une conférence internationale sur la dette et contre l’austérité.
L’audit citoyen des dettes publiques en Europe :
un outil pour vaincre l’austérité
Le collectif pour un audit citoyen de la dette publique (CAC) salue le choix du peuple grec de
rejeter massivement les politiques d’austérité lors des élections du 25 janvier. Cette victoire
ouvre une brèche contre l’Europe de la finance, le diktat des dettes publiques et des plans
d’austérité. Engouffrons nous dans cette brèche : une autre Europe devient possible !
Malgré l’ingérence et la pression des dirigeants de l’Union Européenne, le peuple grec a
décidé de prendre courageusement son destin en main et d’en finir avec les politiques
d’austérité qui ont plongé le pays dans la misère et la récession. Dans les pays victimes de
la Troïka, mais aussi dans de nombreux autres pays européens, cette victoire est perçue
comme un formidable encouragement à lutter pour mettre un terme à des politiques
profitables aux marchés financiers et désastreuses pour les populations.Mais déjà les grands
médias relaient l’idée absurde selon laquelle l’annulation de la dette grecque « coûterait 600
euros à chaque contribuable français ». À mesure que les négociations vont se durcir entre la
Grèce et la Troïka, la propagande va s’intensifier et notre travail d’éducation populaire sur la
question de la dette publique va devenir de plus en plus décisif.
Nous soutenons la proposition d’une conférence européenne sur les dettes publiques. En
1953 l’accord de Londres, annulant plus de 60% de la dette de l’Allemagne de l’Ouest, a
permis sa relance, tout comme les annulations de dette de l’Équateur en 2008 ou de
l’Islande en 2011.
Nous soutenons la proposition de réaliser un audit des dettes publiques afin d’identifier les
responsables et les bénéficiaires réels de ces dettes, et de dégager les solutions qui
permettront de libérer le pays de ce boulet.
Nous soutenons également le droit de la Grèce à désobéir à ses créanciers au cas où ils
refuseraient la mise en œuvre de ces solutions. Rappelons que les memoranda imposés par
la Troïka sont illégaux au regard du droit européen et international.
Nous avons déjà publié un premier rapport d’audit citoyen[1], montrant qu’une large part de
la dette publique française peut être considérée comme illégitime. Dans la période qui
s’ouvre, notre collectif va continuer à proposer aux citoyens et à l’ensemble du mouvement
social européen des lignes d’analyse juridiques, économiques, sociales, des arguments et des
instruments de mobilisation contre les créanciers qui mettent en coupe réglée les
populations.
Avec nos partenaires des autres pays européens, à commencer par la Grèce, notre collectif
va intensifier son action pour mettre en débat le caractère illégitime, insoutenable, illégal,
voire odieux d’une grande partie des dettes publiques en Europe.
Tous ensemble, levons le voile sur la responsabilité des créanciers qui profitent des saignées
effectuées sur le dos des peuples. Tous ensemble, renforçons une démarche citoyenne de
contestation et de remise en cause de cette Europe des 1 %, des spéculateurs et des
banquiers. C’est aux populations, trop longtemps victimes des plans d’austérité, de
compétitivité et autres « memorandums », qu’il revient de décider de leur avenir : nous
voulons mettre à leur disposition tous les outils nécessaires pour comprendre et décider
comment sortir de l’étau de la dette en faisant payer non pas les contribuables ordinaires
mais les véritables bénéficiaires du système de la dette.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire