mardi 9 janvier 2018

CHARLIE BOF ?

Trois ans après, on oublie. Dimanche à Paris, seulement quelques dizaines place de la République. Samedi, quelques centaines de convaincus pour un meeting « Toujours Charlie ! » pour la défense de la laïcité contre l’islamisme, avec Manuel Valls en tête de gondole.


Oui, il fallait avoir envie. Même l’équipe actuelle de Charlie n’est pas venue. On est loin des plus de quatre millions dans la rue, le 11 janvier 2015, suite à l’attaque contre Charlie Hebdo le 7 janvier. Douze tués, dont huit membres de la rédaction. Puis c’est le meurtre d’une policière à Montrouge, le lendemain, et enfin une prise d’otages au magasin Hyper Cacher, où quatre personnes sont tuées.
On se souvient avec quelle obscénité, l’oligarchie mondiale s’était empressée d’exploiter les cadavres encore tièdes et l’émotion profonde d’une foule choqué et  déboussolée.
Quatre millions dans la rue, mais pour quelles raisons ? Une résurgence du « sacré républicain », disait Régis Debray [1], devant cette foule, un « flash totalitaire », un « accès d’hystérie », disait Emmanuel Todd. Mais c’est la défense de la liberté d’expression qui faisait l’unanimité dans les médias.
Mais JE SUIS CHARLIE, était-ce bien le synonyme de cette liberté-là ? Car, attention, oui à la liberté d’expression, mais à condition d’être Charlie. Pour les autres, pas de liberté ! Et même ceux-là, il fallait les repérer, et les traiter. Sur France 2, chaîne du service public, la journaliste Nathalie Saint-Cricq, responsable du service politique, était très claire : « c’est justement ceux qui ne sont PAS Charlie qu’il faut repérer, ceux qui dans certains établissements scolaires ont refusé la minute de silence, ceux qui balancent sur les réseaux sociaux et ceux qui ne voient pas en quoi ce combat est le leur, et bien ce sont eux que nous devons repérer, traiter, intégrer ou réintégrer dans la communauté nationale » [2].
En somme, il nous fallait de toute urgence des camps de rééducation pour « ceux qui ne voient pas en quoi ce combat est le leur ». Mais quel est ce combat puisque ce n’est pas la liberté d’expression ? Il faut comprendre qu’il s’agit de la laïcité, dont depuis longtemps on connaît les enjeux et les masques. On aime à dire en principe que « la laïcité, ce n’est pas une opinion, c’est la liberté d’en avoir une », et on se plaît à remplacer le mot opinion par le mot religion. La laïcité est aussi convoquée dans la lutte contre l’emprise de la religion, de toutes les religions qui servent à asservir les peuples. Mais aujourd’hui, ici, un petit tour dans la fachosphère montre vite que la laïcité est utilisée comme un masque par l’extrême droite et par ceux qui luttent contre l’islam en France, amalgamé aux « islamistes » et à leurs complices, les « islamo-gauchistes ».
D’autres masques sont utilisés comme le droit des femmes ou la liberté d’expression. Sous ces déguisements vertueux s’avancent en rampant des revanches reptiliennes faites de tous les ressentiments qui fermentent depuis parfois des siècles dans les crânes et les cœurs. Et bien souvent à l’insu de ceux qui entendent « repérer et traiter » ces délinquants.
Après le passage de chaque ouragan, on assiste à des scènes de pillage. Des bandes en cagoule profitent du désastre pour piller et se servir. Il en est de même pour les massacres de janvier 2015. Plus ou moins bien masqués par la cagoule symbolique de la laïcité, des prédateurs viennent récupérer des morceaux de l’événement pour le reconstruire à leur façon, pour regarnir les rayons de leur fonds de commerce intellectuel, pour s’en servir de piège contre leur ennemi de classe, pour remonter à tout prix sur la scène politique dont ils ont été expulsés. Petit camelot des idées ou grand voleur de foules, chacun vient prendre son morceau de Charlie, jusqu’à l’émiettement, jusqu’à la poussière.
Le détournement de cadavres est vieux comme la mort. Mais concernant les amis de Charlie, s’il y a une vraie tristesse, elle est là, dans cette obscène dévoration des victimes par des asticots sans grâce, sans talent et sans rire.
Mais je m’en fous, j’ai gardé un dessin que Cabu m’a donné il y a vingt ans à la terrasse d’un jour d’avril, un dessin au pinceau fait sous mes yeux en rigolant, deux Japonaises qui passent dans une lumière de printemps.
Daniel Mermet




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