mardi 5 mars 2019

Discours de la servitude volontaire




Publié en 1576, le « Discours de la servitude volontaire » est l'oeuvre d'un jeune auteur de 18 ans : Etienne de la Boétie.
Ce texte (oh ! Combien actuel!) analyse les rapports oppresseurs/opprimés qui régissent le monde.
Ceux-ci reposent sur la peur, la complaisance, la flagornerie et l'humiliation de soi-même.
Leçon politique mais aussi éthique, Etienne de la Boétie nous invite à la révolte contre toute oppression, toute exploitation, toute corruption, bref, contre l'armature même du pouvoir.


Extraits du « discours de la servitude volontaire » 
(1576)

« Je voudrais seulement comprendre comment il se peut que tant d'individus, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois un tyran qui n'a de puissance que celle qu'ils lui donnent, qui n'a de pouvoir de leur nuire qu'autant qu'ils veulent bien l'endurer... »
« ...Telle est pourtant la faiblesse des hommes : contraints à l'obéissance sans y être contraint par une force majeure (…) Comment appellerons-nous ce malheur ? Quel est ce vice, ce vice horrible de voir un nombre infini d'hommes, non seulement obéir, mais servir, non pas être gouvernés, mais être tyrannisés... ? »
« ...Qu'un homme seul en opprime cent mille et les prive de leur liberté, qui pourrait le croire, s'il ne faisait que l'entendre et non le voir ? (…) Or ce tyran seul, il n'est pas besoin de le combattre, ni de l'abattre. Il est défait de lui-même, pourvu que le pays ne consente point à sa servitude... »
« ...Ce sont donc les peuples eux-mêmes qui se laissent malmener, puisqu'ils en seraient quittes en cessant de servir. C'est le peuple qui s'asservit et qui se coupe la gorge ; qui pouvant choisir d'être soumis ou libre, repousse la liberté et prend le joug, consent à son mal... »
« ...Il en est une chose que les hommes, je ne sais pourquoi, n'ont pas la force de désirer : c'est la liberté, bien si grand et si doux ! (…) La liberté, les hommes la dédaignent parce que s'ils la désiraient, ils l'auraient... »
« ...Pauvres gens misérables, peuples insensés, nations opiniâtres à votre mal et aveugles à votre bien ! Vous vivez de telle sorte que rien n'est plus à vous. Il semble que vous regardiez désormais comme un grand bonheur qu'on vous laissât la moitié de vos biens, de vos familles, de vos vies... »
« ...Et tous ces dégâts, ces malheurs, cette ruine, ne vous viennent pas des ennemis, mais certes bien de l'ennemi, de celui-là même que vous avez fait ce qu'il est (…) Ce maître, qu'a t-il de plus que vous ?... »
« ...Ce qu'il a de plus ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire...Vous semez vos champs pour qu'il les dévaste, vous meublez vos maisons pour fournir ses pilleries (pillages), vous élevez vos filles afin qu'il puisse assouvir sa luxure, vous nourrissez vos enfants pour qu'il en fasse des soldats (…) pour qu'il les mène à la guerre, à la boucherie... »
« ...Vous vous usez à la peine afin qu'il puisse se mignardiser dans ses délices et se vautrer dans ses sales plaisirs (…) Vous vous affaiblissez afin qu'il soit plus fort et qu'il vous tienne plus rudement la bride plus courte... »
« Il y a trois sortes de tyrans :
Les uns par la force des armes...
Les autres par succession de race...
Les derniers par l'élection du peuple »
«...Je vois bien entre ces tyrans quelques différences, mais de choix, je n'en vois pas : car s'ils arrivent au trône par des moyens divers, leur manière de régner est toujours à peu près la même (…) Les conquérants traitent le peuple comme leur proie, les successeurs comme un troupeau d'esclaves qui leur appartient par nature... »
« ...Celui qui tient son pouvoir du peuple, il semble qu'il devrait être plus supportable ; il le serait, je crois, si dès qu'il se voit élevé au dessus de tous les autres, flatté par je ne sais quoi qu'on appelle grandeur (…) il ne trouvait pas meilleur moyen pour assurer une nouvelle tyrannie que de renforcer la servitude et d'écarter les idées de liberté de l'esprit de ceux qui l'ont mené au pouvoir... »
« ...Il est incroyable de voir comment le peuple, dès qu'il est assujetti, tombe soudain dans un si profond oubli de sa liberté qu'il lui est impossible de se réveiller pour la reconquérir : il sert si bien , et si volontiers, qu'on dirait à le voir qu'il n'a pas seulement perdu sa liberté mais bien gagné sa servitude... »
« ...Les hommes nés sous le joug, puis nourris et élevés dans la servitude, sans regarder plus avant, se contentent de vivre comme ils sont nés et ne pensent point avoir d'autres biens ou d'autres droits que ceux qu'ils ont trouvés ; ils prennent pour leur état de nature l'état de leur naissance (…) L'asservissement ne peut qu'être exercé sur un petit peuple ignorant... »
« ...On ne regrette jamais ce qu'on n'a jamais eu (…) La nature de l'homme est d'être libre et de vouloir l'être, mais il prend facilement un autre pli lorsque l'éducation le lui donne. Disons donc que, toutes choses deviennent naturelles à l'homme lorsqu'il s'y habitue, et qu'ainsi la première raison de la servitude volontaire, c'est l'habitude... »
« ...Une des ruses des tyrans est d'abêtir leurs sujets (…) Ainsi en est-il de tous ces peuples qui se laissent promptement allécher à la servitude par la moindre douceur qu'on leur fait goûter (…) Les jeux, les farces, les spectacles (…) les médailles (…) et autres drogues sont autant d'appâts de la servitude, le prix de leur liberté ravie, les outils de la tyrannie... »
« ...Les empereurs romains n'oubliaient surtout pas de prendre le titre de tribun du peuple (…) Etabli pour la défense et protection du peuple, il jouissait ainsi d'une haute faveur dans l'Etat et s'assuraient par ce moyen que le peuple se fierait mieux à eux (…) comme s'il suffisait d'entendre ce nom, sans avoir besoin d'en sentir les effets... »
« ...Mais ils ne font guère mieux ceux d'aujourd'hui qui, avant de commettre leurs crimes les plus graves, les font toujours précéder de quelques jolis discours sur le bien public et le soulagement des malheureux. On connaît la finesse dont ils font si finement usage (…) mais peut-on parler de finesse là où il y a tant d'impudence ?... »
« ...J'en arrive maintenant à un point qui est, selon moi, le ressort et le secret de la domination, le soutien et le fondement de toute tyrannie. Celui qui penserait que (…) les gardes garantissent les tyrans se tromperait fort (…) Ce ne sont pas les armes qui défendent les tyrans, mais toujours les quatre ou cinq hommes qui le soutiennent et qui lui soumettent le pays... »
« ...Il en a été toujours ainsi : cinq ou six (…) sont appelés par le tyran pour être ses complices. Ces six en ont sous eux six cents (…) Ces six cents en tiennent sous leur dépendance six mille, qu'ils élèvent en dignité. Ils leur font donner le gouvernement des provinces ou le maniement des deniers (…) Grande est la série de ceux qui suivent... »
« ...Et qui voudra en dévider le fil verra que, non pas six mille, mais cent mille et des millions tiennent au tyran par cette chaîne ininterrompue qui les soude et les attache à lui... »
« ...C'est ainsi que le tyran asservit les sujets les uns par les autres ; il est gardé par ceux dont il devrait se garder (…) Et des hommes se contentent d'endurer le mal et d'en faire, non pas à celui qui leur en fait, mais bien à ceux, qui comme eux, l'endurent... »
Est-ce cela vivre heureux ?
Est-ce même vivre ?
Est-il rien au monde de plus insupportable que cet état ?
Quelle condition est plus misérable que celle de vivre ainsi, n'ayant rien à soi et tenant d'un autre son aise, sa liberté, son corps et sa vie ?
SOYONS RESOLUS DE NE PLUS SERVIR
ET NOUS VOILA LIBRES

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