Anti électoralisme


Sébastien Faure La pourriture parlementaire, 1921
L’État se pose en administrateur de la Chose publique, en défenseur de la Loi, en protecteur de
l’Ordre ; il n’est, en réalité, que le Gendarme préposé à la sauvegarde des Privilèges Capitalistes.- La «Souveraineté du Peuple » est une duperie. - Le régime parlementaire est absurde ; Il est impuissant ; Il est corrupteur ; Il est nuisible aux véritables intérêts de la classe ouvrière. - Les Anarchistes dénoncent la malfaisance du Parlementarisme. - Leur abstentionnisme agissant. - Sa valeur révolutionnaire.
Camarades,Je veux, avant tout, rattacher cette troisième conférence aux deux précédentes, afin que vous puissiez, plus facilement encore, saisir le lien qui les unit. Je vous ai dit, lors de ma première conférence : Ce continent sur lequel nous vivons a été, par deux fois, le théâtre d’une fausse rédemption : la première fois, il y a un peu plus de dix-neuf siècles, par le Christianisme ; la seconde fois, il y a cent trente ans, par la Révolution française. J’ai consacré ma première conférence à la faillite de la rédemption chrétienne, et la seconde à la faillite de la rédemption bourgeoise. Ces deux faillites ont abouti : la première à la dictature du Christianisme, du
commencement du Vème jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, la seconde, à la dictature de la classe bourgeoise, de 1789 jusqu’à nos jours.
J’ai précisé ce qu’il faut entendre par ces mots : dictature de la bourgeoisie. Et je l’ai résumé
dans une formule aussi concise et aussi saisissante que possible : domination absolue de la classe bourgeoise sur la classe ouvrière, domination économique par le Capital, domination politique par l’État.
On comprend aisément que la classe qui possède à la fois le pouvoir et l’argent puisse faire
peser le joug de sa dictature sur la classe qui ne possède ni l’argent ni le pouvoir. Le Capital, c’est-àdire
l’argent, ne serait toutefois rien sans l’appui du pouvoir, c’est-à-dire de l’État.
Sans l’État, le Capital serait comme une ville ouverte, exposée à tous les assauts, à la merci de
toutes les surprises, d’un simple coup de force. L’État bourgeois a pour fonction de surveiller les
manoeuvres de la classe ouvrière, d’empêcher celle-ci de grouper ses forces, de fortifier son action, et, s’il advient que cette classe ouvrière, sortant de sa torpeur, de son apathie accoutumée, livre bataille, la mission - non, je ne dirai pas la mission, l’expression est trop noble - le rôle de l’État est d’intervenir par la force et de mettre en déroute les insurgés.
L’État n’est pas seulement, comme on le croit communément, un agent d’administration, il est
encore et surtout un agent de répression. Il est comme le chien de garde qui, attaché à sa niche,
prévient, d’abord par ses grognements, ensuite par ses aboiements furieux, les propriétaires du lieu de l’approche de l’ennemi ; et si, ne se laissant pas intimider par les hurlements du chien de garde, l’ennemi pénètre dans la place, l’État devient la force préposée à la défense du coffre-fort et chargée de sauver la caisse à tout prix, même au prix du sang.
Sous les aspects fallacieux d’administrateur de la chose publique, de défenseur de la loi, de
protecteur de l’ordre, l’État n’est, au fond, que le gendarme préposé à la sauvegarde, par la violence, systématiquement organisée, des institutions établies. Sans doute, l’État a pour fonction d’administrer la chose publique. Seulement il n’y a pas de chose publique, il ne peut pas y en avoir dans un régime social où, politiquement, tous obéissent à quelques-uns et où, économiquement, tout appartient à quelques-uns. Les intérêts sont divers, opposés, contradictoires. Il n’y a pas d’intérêt commun, pas d’intérêt général, pas de chose publique.
L’État est également le défenseur de la loi. Mais la loi - contrairement à ce qu’un vain peuple
pense - n’est pas faite pour protéger les petits, les humbles et les pauvres contre les grands, les
puissants et les riches. Elle est faite, au contraire, pour défendre les privilèges des riches, des grands, des puissants contre les revendications constantes et les entreprises périodiques des dépouillés et des asservis.
Enfin, l’État est protecteur de l’Ordre. C’est lui qui a la charge d’assurer l’Ordre et il n’y
manque pas. Mais ce qu’on appelle l’Ordre, dans le jargon officiel, l’Ordre bourgeois, c’est le désordre
le plus ignominieux et le plus criminel. Écoutez ce qu’en dit Kropotkine [
Paroles d’un révolté, 1895]:
L’ordre, aujourd’hui - ce qu’ils entendent par ordre, - c’est les neuf dixièmes de l’humanité
travaillant pour procurer le luxe, les jouissances, la satisfaction des passions les plus exécrables à une poignée de fainéants.
« L’ordre, c’est la privation de ces neuf dixièmes de tout ce qui est la condition nécessaire
d’une vie hygiénique, d’un développement rationnel des qualités intellectuelles. Réduire neuf dixièmes
de l’humanité, à l’état de bêtes de somme vivant au jour le jour, sans jamais oser penser aux
jouissances procurées à l’homme par l’étude des sciences, par la création artistique, voilà l’ordre !
« L’ordre, c’est la misère, la famine, devenue l’état normal de la société.
« L’ordre, c’est la femme qui se vend pour nourrir ses enfants ; c’est l’enfant réduit à être
enfermé dans une fabrique, ou à mourir d’inanition ; c’est l’ouvrier réduit à l’état de machine. C’est le fantôme de l’ouvrier insurgé aux portes du riche, le fantôme du peuple insurgé aux portes des gouvernants.
« L’ordre, c’est une minorité infime, élevée dans les chaires gouvernementales, qui s’impose
pour cette raison à la majorité et qui dresse ses enfants pour occuper plus tard les mêmes fonctions,
afin de maintenir les mêmes privilèges, par la ruse, la corruption, la force, le massacre.
« L’ordre, c’est la guerre continuelle d’homme à homme, de métier à métier, de classe à classe,
de nation à nation. C’est le canon qui ne cesse de gronder, c’est la dévastation des campagnes, le
sacrifice de générations entières sur les champs de bataille, la destruction en une année des richesses accumulées par des siècles de dur labeur.
« L’ordre, c’est la servitude, l’enchaînement de la pensée, l’avilissement de la race humaine
maintenue par le fer et par le fouet. C’est la mort soudaine par le grisou, la mort lente par
l’enfouissement de centaines de mineurs, déchirés ou enterrés chaque année par la cupidité des
patrons, et mitraillés, pourchassés à la baïonnette, dès qu’ils osent se plaindre.
« L’ordre, enfin, c’est la noyade dans le sang de la Commune de Paris. C’est la mort de trente
mille hommes, femmes et enfants, déchiquetés par les obus, mitraillés, enterrés dans la chaux vive, sous les pavés de Paris.
Voilà l’ordre !
Et le désordre ? ce qu’ils appellent le désordre ?
C’est le soulèvement du peuple contre cet ordre ignoble, brisant ses fers, détruisant les entraves
et marchant vers un meilleur avenir. C’est ce que l’humanité a de plus glorieux dans son histoire. C’est la révolte de la pensée à la veille des révolutions ; c’est le renversement des hypothèses sanctionnées par l’immobilité des siècles précédents ; c’est l’éclosion de tout un flot d’idées nouvelles; d’inventions audacieuses ; c’est la solution des problèmes de la science.
Le désordre, c’est l’abolition de l’esclavage antique : c’est l’insurrection des communes,
l’abolition du servage féodal, les tentatives d’abolition du servage économique.
Le désordre, c’est l’insurrection des paysans, insurgés contre les prêtres et les seigneurs,
brûlant les châteaux pour faire place aux chaumières, sortant de leurs tanières pour prendre place au soleil.
C’est la France abolissant la royauté et portant un coup mortel au servage dans toute l’Europe
occidentale. Le désordre, c’est 1848, faisant trembler les rois et proclamant le droit au travail. C’est le peuple de Paris qui combat pour une idée nouvelle et qui, tout en succombant sous les massacres, lègue à l’humanité l’idée de la commune libre, lui fraye le chemin vers cette révolution dont nous sentons l’approche, et dont le nom sera la Révolution Sociale.
Le désordre - ce qu’ils nomment le désordre - ce sont des époques pendant lesquelles des
générations entières supportent une lutte incessante et se sacrifient pour préparer à l’humanité une meilleure existence, en la débarrassant des servitudes du passé. Ce sont les époques pendant
lesquelles le génie populaire prend son libre essor et fait en quelques années des pas gigantesques, sans lesquels l’homme serait resté à l’état d’esclave antique, d’être rampant, avili dans la misère. Le désordre, c’est l’éclosion des plus belles passions et des plus grands dévouements, c’est l’épopée du suprême amour de l’humanité.
On ne saurait mieux dire et c’est pour cette raison que j’ai tenu à vous lire cette page de
Kropotkine qui est d’une vigueur magistrale.
Vous êtes-vous quelques fois demandé quels sont les services que le Gouvernement, le Pouvoir,
l’État rend à la classe ouvrière, en échange de ce qu’il exige d’elle ? Car enfin, si l’État exige de la classe ouvrière une soumission absolue ; s’il l’écrase d’impôts, confisquant ainsi à son unique profit une part des fruits de son travail ; s’il prélève sur le travailleur plusieurs années de sa jeunesse pendant lesquelles celui-ci est enfermé à la caserne ; s’il ne sert aux vieux prolétaires qu’une retraite dérisoire, il serait raisonnable d’espérer qu’en échange de tout cela l’État rendît à la classe ouvrière quelques services.
Eh bien ! voyez. Est-ce l’État qui cultive la terre, qui sème le grain, qui engrange la récolte, qui
pétrit le pain, qui construit les maisons, qui tisse les vêtements, qui, à l’usine, à l’atelier, actionne les machines et transforme intelligemment la matière première en produits manufacturés ? En un mot, est ce l’État qui assure, par son travail, la production nécessaire à la satisfaction des besoins de la population ? Est-ce lui qui, cette production obtenue, en assure le transport, en surveille la répartition équitable de façon à éviter ce spectacle révoltant d’une poignée d’individus qui ont trop et qui gaspillent, tandis qu’une multitude d’autres gens n’ont pas assez, se privent et se « serrent la ceinture » ?
Hélas ! Non : l’État ne travaille pas, il consomme ; il ne produit pas, il dévore.
Dans le domaine intellectuel, l’État rend-il quelques services à l’humanité ? Distribue-t-il
généreusement l’instruction aux enfants du peuple, afin qu’aucune de ces intelligences ne reste
enténébrée et que par la suite ces intelligences, quelles qu’elles soient, deviennent des flambeaux
destinés à éclairer la route douloureuse de l’humanité ? Est-ce l’État qui écrit les livres, qui crée des oeuvres d’art ? Est-ce lui qui favorise les découvertes géniales, qui suscite les initiatives fécondes, qui jette la pensée humaine sur des pistes nouvelles, qui brise les barrières qui nous séparent de l’avenir, qui élève les sommets et qui élargit les horizons ?
Hélas ! Non. L’État ne peut qu’entretenir dans les masses l’ignorance profonde, parce qu’il sait
que c’est le meilleur moyen d’asservir, de spolier et de domestiquer cette masse.
Vous voyez bien, par conséquent, que l’État ne rend aucun service.
Si ! Il en rend un. Mais pas à vous, pas à moi, pas à nous, pas à ceux qui peinent, pas à ceux qui
souffrent. Il en rend un - et signalé, et important, et indispensable, - mais à la classe bourgeoise : il la défend, il défend ses privilèges, il montre les dents à quiconque approche du coffre-fort, il sauve la caisse toutes les fois que celle-ci est menacée ; il n’a, pour ainsi dire qu’un rôle, un seul : celui de gendarme. Tout le reste, ce n’est que mirage et prestidigitation.
Et, maintenant, camarades, que j’ai nettement défini et clairement précisé - je l’espère, du moins- la fonction de l’État, il faut se demander par quel tour de passe-passe le Gouvernement, l’État parvient à masquer son rôle véritable aux yeux de la foule, rôle qui, s’il était connu, soulèverait d’indignation la masse ouvrière.
Comme toutes les oeuvres mauvaises, comme toutes les institutions de crime, l’État se réfugie
dans le mystère. Pour dissimuler ses agissements criminels, il a besoin d’agir dans l’ombre semée d’embûches et de chausse-trappes, l’ombre du dogme, de ce je ne sais quoi, religieux ou laïque, qui s’oppose à tout contrôle et à toute discussion. Quel est donc le dogme sur lequel, présentement, s’appuie l’État ? Ce dogme, vous le connaissez. Il est censé résider en nous tous, en vous comme en moi, en moi comme en vous : c’est le dogme de « la Souveraineté du Peuple ».
La souveraineté du peuple ! Mots cabalistiques dont se gargarisent volontiers les gosiers
républicains et démocratiques sur les mille et mille tréteaux où l’on a coutume de faire entendre la parole démocratique et républicaine, où s’agitent tous les bateleurs de la politique.
Le discours - j’allais dire le boniment - est toujours le même. Oyez plutôt. Tous les farceurs de
la politique disent :
« Peuple, n’écoute pas les Sébastien Faure de ton temps et leurs amis. Ils te disent que tu n’es
pas libre, que tu subis une dictature.
« Imposture et mensonge ! Peuple, tu es libre, puisque tu es souverain. C’est là une vérité
tellement évidente qu’il n’est pas nécessaire d’en établir la démonstration, un de ces truismes sur lesquels il n’est pas utile d’insister : tu es libre puisque tu es souverain. Sans doute, tu ne peux exercer directement cette souveraineté. Mais c’est parce qu’il y a une impossibilité matérielle qui, pratiquement, nous éloigne de ce qui serait le rêve ; le rêve, ce serait que le peuple fût perpétuellement assemblé, discutant, débattant les conditions de son existence, faisant entendre son opinion, son
sentiment, et prévaloir sa volonté sur tous les problèmes qui tourmentent ou passionnent l’Humanité en marche vers l’avenir. Ce serait le rêve, un beau rêve, mais tu sais bien, peuple, que la chose est impossible : le travail, la production nécessaire aux besoins de la vie, comment seraient-ils obtenus ?
Comment serait réalisée la production et exécuté le travail, si la population avait à se préoccuper
d’étudier d’abord, de discuter ensuite et de résoudre enfin tous ces problèmes qui, par milliers et par milliers, concernent le bien public ? Tu vois bien, peuple, que si tu possèdes la souveraineté, il ne t’est pas possible de l’exercer directement. Mais rassure-toi : notre fraternelle et démocratique Constitution a tout prévu ; elle a tout réglé ; elle a divisé le pays en circonscriptions électorales, basées sur les divisions administratives, sur la superficie, sur le chiffre de la population.
« Citoyens, réunissez-vous dans vos collèges électoraux ; étudiez ensemble le programme sur
lequel vous pourrez vous mettre d’accord ; établissez le cahier de vos revendications communes ; puis, quand vous aurez fait ce travail, vous choisirez parmi vous les meilleurs, les plus honnêtes, les plus compétents, ceux en qui vous aurez le plus de confiance, et vous les chargerez de vos intérêts ; ils penseront, ils travailleront, ils parleront, ils décideront pour vous ; et dans toutes les assemblées :
communales, départementales, nationales, c’est, par leur intermédiaire, votre volonté qui s’affirmera ; en sorte que, ayant des représentants partout, c’est en réalité vous, et vous tous, qui, par le truchement de vos délégués, administrerez la commune, le département et la nation.
« Sans doute, le Parlement édictera la Loi et vous, travailleurs, vous serez dans l’obligation de
vous incliner devant elle, de vous conformer aux règlements, aux décisions du Législateur. Mais,
puisque ce législateur sera votre porte-parole, votre représentant, puisque la Loi ne sera que
l’expression de votre volonté et de vos aspirations, autant dire que c’est vous-mêmes qui ferez la Loi et, quand on obéit à soi-même, c’est comme si on n’obéissait à personne. Vous voyez bien que vous êtes libres, tout ce qu’il y a de plus libres, puisque vous êtes souverains. Et, enfin, s’il advenait que, d’aventure, votre choix ait été malheureux, que votre mandataire méconnaisse vos intentions, trahisse ses promesses, vous auriez toujours la faculté de le révoquer et de porter votre choix sur un autre qui en serait plus digne. Vous voyez bien qu’en fin de compte, citoyens, c’est toujours à vous, rien qu’à vous, tout à vous, qu’appartient le dernier mot. Jadis, vous subissiez le Pouvoir ; aujourd’hui c’est vous qui l’exercez. Au Moyen-Âge, le Pouvoir descendait du ciel, aujourd’hui, il monte de la terre. Au temps où la religion était toute-puissante, elle enténébrait les cerveaux et obscurcissait les consciences ; les gouvernants étaient les représentants de Dieu ici-bas ; aujourd’hui, les gouvernants sont les représentants du Peuple. Dans l’aristocratie, l’État était aux mains d’une caste privilégiée ; aujourd’hui, en démocratie, l’État est aux mains de tous, aux mains du peuple. En Monarchie, l’État était personnel, revêtait un caractère d’autorité absolue, et il a été permis à un monarque de dire : « L’État, c’est moi ! » ; aujourd’hui, l’État, c’est vous, c’est moi, c’est nous, c’est tout le monde.
« Souverain ? Oui, peuple, tu l’es, puisqu’en réalité c’est toi qui fais et défais les souverains.
« Aux urnes, citoyens ! Votez ! Pas d’abstentions ! Non seulement voter est un droit
imprescriptible, mais c’est un devoir sacré. Aux urnes ! aux urnes ! »
Ce discours, nous l’avons entendu tous. Et les hommes de ma génération l’ont entendu des
centaines et des centaines de fois. Il est toujours le même. Et, chose invraisemblable, l’électeur naïf, crédule, confiant s’y laisse toujours prendre. Il croit d’une façon tellement invraisemblable, qu’on se demande comment il peut encore exister un animal aussi miraculeux, aussi incompréhensible, aussi inexplicable que l’électeur.
Quel est l’artiste incomparable qui pourra, avec la richesse de coloris nécessaire et le luxe de
détails suffisant, brosser le portrait de cet être problématique, fantasque, extraordinaire,
invraisemblable, miraculeux, qu’on appelle un électeur ?
Encore une citation (vous reconnaîtrez que je n’ai pas l’habitude d’en abuser). Je sais que la
citation alourdit le discours, et c’est pourquoi j’évite autant que possible d’en faire. Mais je ne résiste pas au désir de vous lire cette page d’Octave Mirbeau, qui s’exprime mieux que je ne saurais le faire.
Écoutez :
«
Une chose qui m’étonne prodigieusement - j’oserai dire qu’elle me stupéfie - c’est qu’à
l’heure scientifique où j’écris, après les innombrables expériences, après les scandales journaliers, il puisse exister encore dans notre chère France (comme ils disent à la Commission du budget) un électeur, un seul électeur, cet animal irrationnel, inorganique, hallucinant, qui consente à se déranger de ses affaires, de ses rêves ou de ses plaisirs, pour voter en faveur de quelqu’un ou de quelque chose. Quand on réfléchit un seul instant, ce surprenant phénomène n’est-il pas fait pour dérouter les
philosophies les plus subtiles et confondre la raison ? Où est-il le Balzac qui nous donnera la physiologie de l’électeur moderne ? Et le Charcot qui nous expliquera l’anatomie et les mentalités de cet incurable dément ? Nous l’attendons.
Je comprends qu’un escroc trouve toujours des actionnaires, la Censure des défenseurs,
l’Opéra-Comique des dilletanti ; je comprends M. Chantavoine s’obstinant à trouver des rimes ; je comprends tout. Mais qu’un député, ou un sénateur, ou un président de République, ou n’importe lequel, parmi tous les étranges farceurs qui réclament une fonction élective, quelle qu’elle soit, trouve un électeur, c’est-à-dire l’être irrêvé, le martyr improbable, qui vous nourrit de son pain, vous vêt de sa laine, vous engraisse de sa chair, vous enrichit de son argent, avec la seule perspective de recevoir, en échange de ces prodigalités, des coups de trique sur la nuque, des coups de pieds au derrière, quand ce n’est pas des coups de fusil dans la poitrine, en vérité, cela dépasse les notions déjà pas mal pessimistes que je m’étais faites jusqu’ici de la sottise humaine « Il est bien entendu que je parle ici de l’électeur averti, convaincu, de l’électeur théoricien, de celui qui s’imagine, le pauvre diable, faire acte de citoyen libre, étaler sa souveraineté, exprimer ses opinions, imposer - ô folie admirable et déconcertante - des programmes politiques et des revendications sociales ; et non point de l’électeur « qui la connaît » et qui s’en moque.
« Je parle des sérieux, les austères, les peuple souverain, ceux-là qui sentent une ivresse les
gagner lorsqu’ils se regardent et se disent : « Je suis électeur ! Rien ne se fait que par moi. Je suis la base de la société moderne. » Comment y en a-t-il encore de cet acabit ? Comment, si entêtés, si orgueilleux, si paradoxaux qu’ils soient, n’ont-ils pas été, depuis longtemps, découragés et honteux de leur oeuvre ? Comment peut-il arriver qu’il se rencontre quelque part, même dans le fin fond des landes perdues de la Bretagne, même dans les inaccessibles cavernes des Cévennes et des Pyrénées, un bonhomme assez stupide, assez déraisonnable, assez aveugle à ce qui se voit, assez sourd à ce qui se dit, pour voter bleu, blanc ou rouge, sans que rien l’y oblige, sans qu’on le paye ou sans qu’on le saoule ?
« A quel sentiment baroque, à quelle mystérieuse suggestion peut bien obéir ce bipède pensant,
doué d’une volonté, à ce qu’on prétend, et qui s’en va, fier de son droit, assuré qu’il accomplit un
devoir, déposer dans une boîte électorale quelconque un quelconque bulletin, peu importe le nom qu’il ait écrit dessus ?... Qu’est-ce qu’il doit bien se dire, en dedans de soi, qui justifie ou seulement qui explique son acte extravagant ? Qu’est-ce qu’il espère ? Car enfin, pour consentir à se donner des maîtres avides qui le grugent et qui l’assomment, il faut qu’il se dise et qu’il espère quelque chose d’extraordinaire que nous ne soupçonnons pas. Il faut que, par de puissantes déviations cérébrales, les idées de député correspondent en lui à des idées de science, de justice, de dévouement, de travail et de probité. Et c’est cela qui est véritablement effrayant. Rien ne lui sert de leçon, ni les comédies les plus burlesques, ni les plus sinistres tragédies.
« Que lui importe que ce soit Pierre ou Jean qui lui demande son argent et qui lui prenne la vie,
puisqu’il est obligé de se dépouiller de l’un, et de donner à l’autre ? Eh bien ! non. Entre ses voleurs et ses bourreaux, il a des préférences, et il vote pour les plus rapaces et les plus féroces. Il a voté hier, il votera demain, il votera toujours. Les moutons vont à l’abattoir. Ils ne se disent rien, eux, et ils n’espèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera, et pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l’électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des Révolutions pour conquérir ce droit
»
Plus le candidat fait de promesses, plus il a de chances de décrocher un mandat : les hommes
sont ainsi faits que, plus on leur promet, plus ils ont confiance. Tout candidat promet. Il pose la main sur son coeur, il lève les yeux vers le ciel comme s’il voulait attester celui-ci de la sincérité de ses convictions, il déclare qu’il est prêt à se dévouer pour le bien public et que, dans ce but, il ne reculera devant aucun sacrifice. Et le tour est joué !
Il consiste à dépouiller le citoyen de sa souveraineté, tout en ayant l’air de la lui conserver. Le
tour consiste à supprimer cette souveraineté qui est en bas, en principe, pour l’installer en haut, en fait.
Le Parlement est élu. De quels éléments se compose-t-il ? Que fait-il ? Comment fonctionne-t-il
? Que peut-on attendre de lui ? Toute l’action parlementaire, camarades, je l’ai résumée en quatre mots : Absurdité, Impuissance, Corruption, Nocivité.
Absurdité d’abord. Parlons-en. Nous vivons dans une société où tous les intérêts sont en conflit.
Cela saute aux yeux. L’intérêt du patron est contradictoire à celui de l’ouvrier ; l’intérêt des
gouvernants est en opposition avec celui des gouvernés ; l’intérêt du propriétaire est en conflit avec celui du locataire ; l’intérêt des commerçants est inconciliable avec celui des consommateurs. L’un a le désir de vendre le plus cher possible ; l’autre a, au contraire, la volonté d’acheter le meilleur marché possible. Il en est de même des patrons et des ouvriers, des locataires et des propriétaires. Tous les intérêts sont en conflit.
N’est-il pas absurde de supposer qu’un homme, le même homme, puisse représenter, tout seul,
des intérêts aussi contradictoires ?
Le voilà au Parlement, appelé à se prononcer sur une question dans laquelle sont engagés par
exemple, d’une façon sérieuse, les intérêts des patrons et les intérêts des ouvriers, ou des locataires et des propriétaires. Il représente à la fois les uns et les autres. Comment voulez-vous qu’il puisse impartialement donner satisfaction à tous ? Ce qu’il fera pour les uns, il le fera contre les autres. Il sera donc obligé de favoriser fatalement les uns au détriment des autres. Et cependant, il a été élu par un collège électoral déterminé, comprenant 10.000 ou 100.000 électeurs, quel que soit le mode de scrutin - ce n’est pas cela que je discute, ils sont aussi mauvais les uns que les autres. Cet élu représente à la fois des intérêts contradictoires. Il est donc absurde de confier au même homme des intérêts qui se choquent, qui se dressent les uns contre les autres.
Au surplus, ces intérêts fussent-ils les mêmes, le nombre des électeurs est beaucoup trop
considérable pour qu’ils puissent se mettre d’accord sur les multiples parties d’un programme
d’ensemble. Nous le savons bien : quand nous sommes seulement huit ou dix nous entendant sur bien des points, il suffit d’agiter certaines questions pour qu’immédiatement la discussion se passionne et que nous cessions d’être d’accord. Comment voulez-vous que des milliers et des milliers d’individus, qui ont des mentalités différentes et souvent opposées, n’appartenant pas à la même classe et n’ayant pas la même culture intellectuelle, ne vivant pas dans le même milieu, comment voulez-vous que ces hommes, même quand leurs intérêts ne sont pas en opposition, puissent s’entendre, se mettre d’accord.
Et, dès lors, comment voulez-vous qu’un individu, à lui tout seul, reflète la totalité de ces mentalités, de ces désirs, de ces cultures intellectuelles, de ces milieux différents ? C’est impossible.
Je vais plus loin. Même dans le cas où les électeurs s’entendraient sur presque tous les points,
les questions que le législateur a à étudier, à débattre et à résoudre sont beaucoup trop nombreuses, appartiennent à trop de domaines différents, pour qu’il puisse, à la satisfaction de tous, apporter à chacune de ces questions une solution opérante.
Et puis, c’est un contrat qui s’établit entre l’élu et l’électeur, et un contrat de quatre ans. Que
d’événements, au cours de quatre années, peuvent être de nature à modifier très sensiblement le
sentiment de chacun ! Il se peut qu’en 1912, par exemple, nous soyons tous d’accord sur tel point, tel point et encore tel autre point. Mais en 1916, continuerons-nous à être d’accord, alors que les événements de la plus haute importance se sont glissés dans la vie sociale et ont introduit dans notre vie particulière des éléments nouveaux, inattendus : la guerre ? Et cependant, c’est le même homme qui avait été nommé en temps de paix pour des besognes déterminées - personne n’avait prévu que, deux ans après, il se trouverait en face d’une situation exceptionnelle - c’est le même homme qui continue à être votre représentant pendant la guerre comme pendant la paix.
C’est insensé ! Je parle de la guerre parce que c’est un grand événement qui domine en ce
moment-ci la situation. Mais, en quatre ans, il y a presque toujours un événement plus ou moins grave qui transforme ou bouleverse la situation, dans la pensée, sinon dans les faits. Et alors, c’est une folie que de charger pendant quatre ans un homme de ces intérêts variables.
Et puis, on a coutume de dire que, pour la solution de problèmes complexes, délicats, qui concernent l’intérêt public, il faut des compétences et que, dans la masse, il y a peu de personnes compétentes. La masse, dites-vous, est ignorante, inéduquée, elle agit par impulsions, elle ne pense pour ainsi dire pas par elle-même. Et c’est à cette foule que vous accusez d’ignorance crasse, que vous prétendez manquer totalement de lucidité, que vous demandez le geste qui peut-être nécessite le plus de délicatesse, de prévoyance et de psychologie, celui de choisir quelqu’un entre tant d’autres, de fixer son choix et de dire : c’est celui-là qui est le plus intelligent, qui a le plus de convictions, qui prendra le mieux mes intérêt en mains. Comment n’apercevez-vous pas cette contradiction ? D’une part on dit : la masse est bête, stupide, ignorante et, d’autre part, on demande à cette même masse l’action qui nécessite le plus de conscience, le plus d’intelligence et le plus de psychologie ! C’est absurde.
Un autre argument que je rapproche de ceux que je vous présente sous le titre général de
l’absurdité du régime représentatif, c’est l’impossibilité où se trouve le législateur de se mettre au courant de toutes les questions sur lesquelles il a à se prononcer. Il faudrait qu’il fût omniscient. Et l’omniscience est à la fois, pour le législateur, indispensable et impossible.
Indispensable parce qu’il faut que le législateur soit à la fois marin pour se prononcer sur des choses concernant la marine, guerrier pour voter sur les choses de la guerre, financier quand il s’agit du budget, mécanisme extrêmement compliqué et délicat, administrateur pour apporter son opinion dans les questions administratives, éducateur, diplomate, ingénieur - en un mot, qu’il ait toutes les connaissances.
Impossible, parce que, à l’heure où nous sommes, le champ scientifique est devenu tellement
vaste que, pour exceller sur un seul point, il est indispensable qu’un homme intelligent et studieux consacre toute sa vie à s’y spécialiser ; ce n’est qu’après des études longues et acharnées, après avoir acquis une expérience indiscutable, qu’un homme peut devenir, sur un point déterminé, compétent ou supérieur ; et on demande au législateur d’être compétent et supérieur en tout ! Il faut qu’il soit marin, guerrier, financier, administrateur, diplomate, ingénieur, éducateur - tout ! Nous vivons à une époque où la chose est impossible. Nous ne sommes plus au temps des Pic de la Mirandole ! Il n’y a pas un homme capable de disserter sur tout et même sur autre chose ! Quand un homme est compétent sur un ou deux points, c’est déjà beaucoup. C’est trop lui demander que de lui demander une compétence universelle. Par conséquent, l’omniscience serait nécessaire, mais elle est impossible et il est absurde
de la demander à qui que ce soit.
Voilà, camarades, un certain nombre d’arguments que je tenais à vous présenter sur ce premier
point : l’absurdité de la représentation parlementaire.
Passons à son impuissance. Quels sont les gens qui composent le Parlement ? De quels éléments
les assemblées parlementaires sont-elles constituées ? Je ne vous ferai pas l’injure de penser que vous croyez à la supériorité des hommes qui sont élus et qui siègent dans les assemblées parlementaires.
Vous ne croyez tout de même pas qu’ils représentent ce qu’il y a en France de plus glorieux dans les arts, de plus illustre dans les sciences, de plus profond dans la philosophie, de plus compétent en toutes matières, de plus honnête en finances ! Jetez les yeux sur la Chambre et le Sénat. Vous y verrez sans doute, je le reconnais, quelques hommes de réelle valeur, oh ! très peu ! car l’homme de réelle valeur s’éloigne de la politique, il la considère comme une chose inférieure à sa supériorité, il croirait déchoir et se salir s’il descendait jusqu’à ces ruses, ces mensonges, ces platitudes que nécessite la bataille électorale. L’homme vraiment supérieur reste ce qu’il est, en dehors de la politique, attaché à son idéal. Il ne se ravale pas jusqu’aux bassesses de la politique.
Passez en revue nos parlementaires. Vous avez des médecins sans clientèle, des avocats sans
cause, à moins que ce ne soient des avocats d’affaires, des commerçants douteux, des financiers qui ne sont pas toujours bien loin de la correctionnelle, ou qui sont là pour représenter la haute Banque, un tas de médiocrités et d’incompétences qui, réunies, forment un tas plus formidable encore d’incompétences et de nullités.
Montesquieu l’a dit avec raison : «
Prenez des hommes intelligents, mettez-les ensemble,
réunissez-les ; et, par un phénomène singulier, inexplicable, ces hommes intelligents deviennent brutes et imbéciles aussitôt qu’ils sont groupés, assemblés
»
Ce n’est pas moi qui dis cela, c’est Montesquieu qui a fait cette observation profonde et très
exacte.
Mais même si les assemblées étaient peuplées d’hommes qui se recommanderaient par leurs
mérites personnels, par l’éclat des services rendus, par la probité de leur conscience, par la fermeté de leurs convictions, par tout un passé méritoire, que pourraient-elles faire ?
Le parlementarisme, c’est l’impuissance. C’est comme une sorte de lac entouré de montagnes. Il
peut y avoir sur ce lac quelques tempêtes, une certaine agitation, mais cette agitation ne dépasse pas les limites du lac : assis, emprisonné dans les montagnes qui le dominent. Au Parlement, les violentes colères, les exaspérations, les serments solennels, les promesses sacrées ne sont jamais que de toutes petites tempêtes, des agitations de surface sans répercussion dans les profondeurs ; le calme s’y rétablit vite et l’agitation passée, il n’en demeure rien.
Impuissance, eh ! oui ! Même si ces hommes faisaient des réformes, croyez-vous que ces
réformes seraient attribuables au Parlement lui-même ? Si vous croyez qu’il peut en être ainsi, vous vous trompez. Jamais les réformes ne viennent d’en haut. Ce n’est pas celui qui mange copieusement
qui songe à améliorer l’ordinaire de celui qui vit de rogatons. Ce n’est pas celui qui habite dans des appartements luxueux qui songe à introduire quelque aisance, quelque hygiène et quelque propreté dans le taudis misérable. Ce n’est pas celui qui ne travaille pas qui peut se rendre compte des conditions déplorables dans lesquelles la classe ouvrière travaille et besogne. Ce n’est pas l’oisif qui tentera d’améliorer les conditions du travail, de diminuer les heures de peine et d’augmenter les heures de loisir. C’est toujours d’en bas que vient l’idée de réforme. C’est dans le creuset de la souffrance humaine que s’élabore le désir des améliorations. Ce sont ceux qui souffrent de la même souffrance, ceux sur qui pèse le même joug, qui sont soumis aux mêmes humiliations, qui connaissent les mêmes angoisses, les mêmes incertitudes du lendemain, ce sont ceux-là qui, préoccupés, pressés, tourmentés par la crainte de l’avenir, peu à peu se communiquent leurs idées, échangent leurs impressions, entre quelques hommes d’abord ; puis, insensiblement, l’idée nouvelle fait son chemin. Et ce n’est que lorsqu’elle est devenue puissante, irrésistible, qu’un parti politique s’en empare et la présente comme
venant de lui. Il se trouve toujours un parti qui prend en mains le succès de telle ou de telle réforme et qui, à force d’insister, finit par la faire triompher. Quand elle triomphe, c’est qu’elle est soutenue par une masse si puissante et dont l’effort est devenu si irrésistible qu’il serait dangereux de ne pas l’enregistrer dans la loi. Les réformes, vous le voyez, ne viennent pas d’en haut, elles viennent toujours d’en bas. Il ne faut pas compter sur le parlementarisme pour les réaliser, mais seulement pour les enregistrer.
Si nous voulions creuser le problème (mais je ne m’y attarderai pas, j’aurai l’occasion de le faire
par la suite), vous verrez que les réformes sont d’ailleurs inopérantes, étant donné le milieu social.
Elles ne sont que des palliatifs. Elles restent superficielles et ne modifient en rien la structure sociale. Elles ne sont jamais positives et fécondes.
Les réformes ne réforment rien, les améliorations n’améliorent rien. A-t-on assez réformé,
amélioré ! Il y a eu des centaines, des milliers, des dizaines de milliers de réformes introduites dans la législation. Mais ouvrez les yeux. Voyez-vous quelque chose de changé ? On a parlé beaucoup, les électeurs s’y sont laissé prendre. Mais, en réalité, les réformes n’ont rien réformé, les prétendues améliorations n’ont rien amélioré.
Pour finir, en ce qui concerne l’impuissance du régime représentatif, il me vient à l’idée de vous
conter une petite histoire, une sorte de parabole ou d’apologue qui apportera dans cette discussion quelque peu sérieuse une note légère, plaisante et humoristique.
J’ai vu, il y a une vingtaine d’années, à la campagne, des enfants qui avaient coutume de se
rendre presque tous les jours dans la forêt voisine. La forêt était peuplée d’oiseaux, de bruits. De temps en temps, un bruissement de feuilles, une course rapide sur le tronc d’un arbre, sur une branche, et on voyait apparaître tout d’un coup un de ces petits quadrupèdes que vous connaissez bien : un écureuil léger, hardi, exécutant des tours de force, des sauts périlleux et des acrobaties incomparables. Les enfants eurent l’idée de capturer un de ces petits animaux. Ils y parvinrent et ils apportèrent l’écureuil chez eux. Là, un vieux villageois leur dit : « Je connais ça, j’en ai déjà eu un, il y a dix ans ; un beau jour, il a disparu : la cage n’était probablement pas bien fermée, il est parti. - Prêtez-nous, alors, votre cage, voulez-vous ? - Avec plaisir, mes enfants. Il y a longtemps qu’elle n’a pas été habitée, elle va se réjouir d’avoir un locataire ».
Et les enfants mirent l’écureuil dans la cage. Vous les connaissez, ces cages cylindriques. Et
voici que l’écureuil, ayant besoin de mouvement, se met à faire tourner la roue. Les enfants étaient émerveillés et trouvaient que c’était superbe. Mais, après quatre ou cinq jours, ils finirent pas trouver que le spectacle n’était pas assez varié et ils s’imaginèrent que l’écureuil se moquait d’eux. Il était si beau, quand il était dans la forêt, voltigeant de branche en branche ! Les enfants rendirent la liberté au captif.
Ils retournèrent dans la forêt et ils capturèrent un second écureuil. Ils le mirent dans la même
cage où il tourna et se moqua d’eux tout comme le premier, en sorte qu’au bout de quelques jours, les enfants rendirent la liberté à ce second captif. Ils revinrent dans la forêt et en prirent un troisième.
Mais, après quatre ou cinq expériences de ce genre, ils finirent par comprendre que l’écureuil, n’ayant plus la liberté de ses mouvements, était condamné à tourner sur lui-même dans cette cage. Camarades, cette histoire est celle de l’électeur - enfant, et du candidat - écureuil. Pendant les quelques mois qui précèdent le scrutin, le candidat vole de branche en branche, exécutant de
merveilleuses pirouettes ; et l’enfant, l’électeur, ébloui par ses tours de force, se dit : « Si je pouvais le prendre ! Si je pouvais lui mettre la main dessus ! Comme je serais content ! »
On n’a pas beaucoup de peine, quand on est électeur, à s’emparer d’un candidat. Le candidat ne
demande que ça. On l’envoie au Palais-Bourbon, qui est sa cage. Et là, cet homme qui stupéfiait le peuple enfant par son activité, sa grâce, sa souplesse et son agilité, ne fait rien. Une fois en cage, il tourne, impuissant.
Au bout de quatre ans, l’enfant se dit : « Oh ! celui-là se moque de moi ! Je vais en prendre un
autre qui ne me jouera pas le même tour. » Il retourne dans la forêt.
Malheureusement, le second lui joue le même tour que le premier. Et il y a, camarades,
cinquante ans que le candidat joue le même tour à l’électeur. Et cependant, l’électeur n’est pas encore éclairé. Il continue, tous les quatre ans, à changer d’écureuil et à l’envoyer dans la même cage. Croyez-vous que nous n’avons pas raison de lui dire : « Mais, malheureux, ce n’est pas l’écureuil qu’il faut changer, c’est la cage qu’il faut briser ! ».
Dire que le régime représentatif est un régime de corruption est devenu une banalité et j’imagine
qu’il n’est pas nécessaire de me laisser aller, sur ce point, à un développement considérable. Il serait, je crois, superflu. Vous savez tous que la besogne politique est une besogne malpropre, que les milieux politiques sont des milieux corrompus, et, par excellence, le Palais-Bourbon, parce que c’est au Palais-Bourbon que se rencontrent tous les appétits, toutes les convoitises, toutes les rivalités, toutes les cupidités, toutes les ambitions ; et, dès lors, on ne peut y faire qu’une besogne sale, et ceux qui prennent part à cette besogne ne peuvent être que malpropres.
J’ai vu ces choses de près et ma longue expérience m’a enseigné qu’en politique - je parle de la
politique qu’on fait au Parlement, de la politique pratique et non pas de la Politique-science - il n’y a que deux idées : la première, c’est, quand on est minorité, de tout faire pour devenir majorité ; la seconde, c’est, quand on est devenu majorité et gouvernement, de tout faire pour rester, par tous les moyens possibles, gouvernement et majorité.
Ne croyez pas que ce soit là une trouvaille de mon imagination fertile. Du tout. C’est une
observation basée sur l’expérience. Je ne veux pas remonter bien loin dans l’histoire. Mais prenons, si vous voulez, les cinquante années qui nous séparent de la proclamation de la Troisième République.
Au début, c’est la République des Thiers, des Mac-Mahon, la République conservatrice, celle
dont Thiers disait :« La République sera conservatrice ou elle ne sera pas ». Mais il y avait une
minorité, devenue plus tard, avec les 363, la majorité, après le coup d’État, quand Gambetta et ses amis, les opportunistes d’alors, se répandirent dans le pays, allèrent partout soulever en faveur de la démocratie et de l’idée républicaine les masses paysannes et urbaines. Quand ils revinrent en majorité à la Chambre, ils réalisèrent la conquête du pouvoir et, après avoir été, pendant cinq ans, minorité et opposition, ils devinrent à leur tour majorité et gouvernement. Ils le restèrent aussi longtemps que possible.
Mais, pendant ce temps, il y avait une autre minorité républicaine, avec Brisson, Floquet,
Goblet, Clemenceau, Pelletan : j’en passe et des meilleurs ! Cette minorité marchait à l’assaut du pouvoir. Elle resta pendant dix-huit ans minorité et opposition, Un jour, ces opposants s’emparent du pouvoir ; ils culbutent les opportunistes dont on finissait par avoir assez : ils promettaient toujours et ne tenaient jamais. A son tour, la minorité radicale devient majorité et gouvernement.
Mais il y avait encore un autre parti, c’était le parti radical-socialiste. On ne sait pas exactement
s’il est plutôt radical que socialiste, ou plutôt socialiste que radical. Toujours est-il qu’il s’intitule et s’affirme radical-socialiste. Et ce parti, alors minorité et opposition, voulait, lui aussi, s’emparer du Pouvoir. On a vu des ministères où étaient représentées les idées radicales, les idées radicalessocialistes et même les idées socialistes, en dose quasi-proportionnelle. Coalitions, nées d’ambitions et d’appétits, soutenues par des intrigues de finance, appuyées sur de louches combinaisons d’affaires et de pouvoir, dont le but véritable est de gouverner. Vous voyez que j’ai raison de dire qu’en politique, il n’y a que deux idées : quand on n’est rien, tâcher de devenir tout ; quand on est tout, tâcher de rester tout.
Un tel système n’est pas fait pour élever la pensée, fortifier ou éclairer les consciences, ni
affermir les coeurs dans la rigidité des principes. De tels procédés sont forcément corrupteurs. Et comment voulez-vous que ces hommes, constamment mêlés à des malpropretés, échappent à la corruption ? C’est impossible. Et je ne parle ni des scandales qui éclatent et font du bruit, ni des scandales plus nombreux encore qu’on étouffe ! Tout cela, c’est chose connue, archiconnue.
Puis, il y a une certitude scientifique : c’est que l’homme s’adapte au milieu dans lequel il vit. Et
du moment que le milieu est un milieu politique où l’on se fait des concessions réciproques, où l’on se
rend des services les uns aux autres, où l’on ne se préoccupe que de son intérêt, on s’adapte à ce milieu, et que devient alors l’intérêt du pays ? J’ai connu des hommes convaincus, dont la conscience était droite, dont la pensée était haute, dont l’esprit était généreux, dont le coeur était sensible, je les ai vus entrer dans la politique, pénétrer dans le Palais-Bourbon. Que sont-ils devenus depuis ? Je parle de ceux qui y sont entrés pleins d’ardeur, avec le désir de bien faire et qui sont obligés de constater que si, au Parlement, on est impuissant pour le bien, on y est, hélas ! tout puissant pour le mal. Les uns se sont retirés, écoeurés, les autres ont cédé et, une fois sur la pente, ils sont allés jusqu’au bout. Ils croyaient qu’ils se préserveraient de la contagion, mais la contagion a été plus forte qu’eux et les a emportés.
Ah ! que j’en ai connus de ceux-là ! La plupart des Parlementaires sont corrompus d’avance. Ceux-là n’ont pas besoin d’attendre pour s’y pourrir. Ils apportent une corruption de plus, la corruption qu’ils ont en eux.
Ceci me rappelle quelque chose de particulier que je vais vous raconter puisque l’idée m’en
vient. Cela vous fera rire un peu.
C’était en 1901. J’étais allé à Lyon faire des conférences. Un journal socialiste, le journal
Le
Peuple
, venait de disparaître. Des amis me dirent : « Il faudrait fonder un journal, fondons-le, avec toi qui es connu dans la région ». J’acceptai et nous fondâmes le journal Le Quotidien.
Sept ou huit mois après, le journal, sans avoir réussi merveilleusement, se tenait, et dans la
région du Rhône, de la Loire, de l’Isère, de Saône-et-Loire, Haute-Loire, c’est-à-dire les cinq
départements limitrophes, il était assez répandu. Nous avions des correspondants à peu près partout, surtout dans la Loire, dans cette région extrêmement industrielle qui va de Rive-de-Gier à Firminy, par Saint-Chamond, la Ricamarie et le Chambon.
Un jour, je lisais les journaux de la région et de Paris, quand tout d’un coup on frappe. On entre.
C’était un de mes bons amis, venant de Paris, qui me dit : « Très heureux de vous voir ». La
conversation s’engage. « Qu’est-ce qu’il y a à votre service ? - Vous ne savez pas ce que je viens faire ici ? - Et quoi donc ? - Je viens poser ma candidature dans la Loire. - Ah ! - Ce n’est pas encore sûr, mais je suis fixé ; je suis secrétaire général du Parti socialiste et je connais, par conséquent, toute la carte électorale de France, je la possède à fond ; j’ai jeté mes vues sur la deuxième circonscription de Saint-Étienne et je suis sûr d’être élu ; je viens tout simplement sonder un peu le terrain et me créer quelques amitiés ; savez-vous ce que vous devriez faire vous-même ? - Non, pas encore. - Eh bien, il y a tout près, à Rive-de-Gier, une circonscription à prendre et si vous vouliez être candidat, je suis sûr du succès. Vous n’auriez même pas besoin de vous déranger : je ferai la campagne comme pour moi ».
Et alors il me regarda et me dit : « Hein ! Sébastien, deux hommes comme vous et moi à la
Chambre, moi tacticien adroit, habile, et vous orateur fougueux, impétueux : ce serait merveilleux, ce serait la Révolution à la Chambre ! ».
Savez-vous qui me tenait ce langage ? Vous l’avez deviné ; c’était Briand.
Je me bornai à lui dire, en lui tapant familièrement sur l’épaule : « Nous reparlerons de cela
dans un an ; dans six mois vous serez probablement député : si cela peut vous faire plaisir, je le
souhaite ; mais ne comptez pas sur moi pour faire le voyage ; nous reprendrons cette conversation dans un an ».
Il parut étonné : « Que voulez-vous dire ? Est ce que, par hasard, vous croiriez que, là-bas, je ne
serais plus ce que je suis aujourd’hui ? Nous avons lutté ensemble dans des circonstances assez
périlleuses pour que vous ne doutiez pas de la sincérité de mes convictions ».
Je répondis : « J’ai la certitude que dans six mois vous serez député et que, dans un an, vous
aurez changé votre fusil d’épaule ».
Vous savez, camarades, que je ne me suis pas trompé. Et combien j’en ai connus ainsi ! Mais,
passons. Le régime représentatif a, enfin, un quatrième défaut : il est nocif, c’est-à-dire nuisible.
Du moment qu’il est favorable à la classe capitaliste, il va de soi qu’il est nuisible à la classe ouvrière. La corruption gagne surtout les travailleurs qui, de temps en temps, figurent sur la scène du Palais-Bourbon.
Un bourgeois y vit comme un poisson dans l’eau. Il est dans son milieu. Il a l’habitude du
monde parlementaire. Sa vie n’a, pour ainsi dire, pas changé. Ses intérêts sont peut-être un peu mieux
servis. Toutefois, bourgeois il était, bourgeois il reste.
Mais le travailleur, l’ouvrier qu’un scrutin favorable soustrait à son travail où il peinait huit,
neuf et dix heures par jour pour gagner un salaire de famine ; un homme dont la situation est tellement
bouleversée, vous voyez combien la corruption trouve en lui un terrain facile, une sorte de bouillon de culture ou se développe aisément le microbe de la pourriture.
Voilà pourquoi il est plus dangereux pour un travailleur de s’égarer au Palais-Bourbon.
Le bourgeois est pourri d’avance, corrompu par anticipation, ça ne le change pas, il n’est qu’un peu plus pourri, un peu plus corrompu ; mais l’ouvrier, qui a connu les angoisses du lendemain et qui, perdant tout à coup le contact avec ses camarades de travail, entre brusquement au Palais-Bourbon, devient un six centième de roi.
Cela est fait pour lui tourner la tête et bouleverser les conditions de son existence.
Il n’est pas extraordinaire qu’il en soit « tourneboulé ». Il espère conquérir, absorber le Pouvoir, un jour, au profit de sa classe et c’est le Pouvoir qui l’absorbe !
Il faut, en outre, que le moyen soit approprié au but, et que le prolétariat ne se contente pas de
réformes qui, encore une fois, ne réforment rien, d’améliorations qui n’améliorent rien.
La classe ouvrière doit vouloir un bouleversement profond, une transformation sociale intégrale.
La suppression du salariat, la libération du travail ne peuvent pas être l’oeuvre du Parlement et
ne peuvent être que l’oeuvre de la Révolution.
Toutes ces vérités sont aujourd’hui admises par tous les socialistes convaincus, sincères et
clairvoyants.
Seulement, disent-ils, pourquoi négliger un moyen qui est peut-être de quelque utilité, à
condition qu’on sache s’en servir habilement ? Pourquoi ne pas mener ensemble les deux actions, l’action parlementaire et l’action ouvrière, la bataille par en haut et la bataille par en bas ? Pourquoi nous priver volontairement d’une de ces actions ? C’est diminuer notre force. C’est réduire notre champ de bataille.
Ceux qui tiennent ce langage, je veux bien les croire sincères, mais je pense qu’ils manquent de
clairvoyance. Ils ne se rendent pas compte de la besogne faite d’un côté et négligée de l’autre, d’une activité agissant dans un sens et d’une activité agissant dans le sens opposé. Le bien que, par exception, on pourra obtenir par en haut est largement dépassé par le mal dont on souffrira en bas. Il ne faut pas croire que les efforts dépensés en haut et en bas, dans le domaine parlementaire, électoral, et dans le domaine ouvrier, populaire, il ne faut pas croire que ces efforts se combinent, s’additionnent.
Non, ce n’est pas une addition, c’est une soustraction. L’opération ne donne pas un total, mais un reste. Ce n’est pas la même chose, c’est exactement l’opposé.
Et puis, ne sentez-vous pas le danger qui consiste à dire au peuple, au monde ouvrier, que son
devoir est de déposer une fois tous les quatre ans, une minute tous les quinze cents jours, de déposer pieusement, tranquillement, sans effort et sans danger, un bulletin dans une urne ? La bataille demande autre chose que ce geste périodique, éloigné. Elle demande une activité constante. Tous les socialistes croient arriver plus vite en attaquant le monde bourgeois par en haut et par en bas, en s’introduisant dans les assemblées pour dire, du haut de cette tribune magnifique, leur doctrine et leurs espérances.
Ils s’imaginent aller plus vite. Ils prétendent que les anarchistes sont des idéologues et ils n’ont que des sourires dédaigneux pour ce qu’ils appellent l’utopie libertaire.
Ceux qui prétendent ne s’inspirer que des faits, je les engage à consulter les faits. Ils verront que
les faits démentent leurs affirmations.
Il y a au moins trente ans - depuis 1890 - je pourrais dire quarante ans, mais je veux rester en
deçà de la vérité - que les socialistes prennent part d’une façon active à toutes les élections. Combien sont-ils, depuis ce temps au Palais-Bourbon ? Ils sont soixante. Sans doute, ils ont été davantage, mais ils sont soixante aujourd’hui. Je ne m’inquiète pas de savoir s’ils étaient cent il y a quelques années. Je constate seulement qu’il y a trente ans que les candidats socialistes se présentent aux élections et s’occupent d’action parlementaire et qu’après trente ans de cette lutte, ils sont soixante députés
socialistes. Cela fait, par conséquent, deux députés par an. De sorte qu’avant de conquérir la majorité, c’est-à-dire d’être au moins 300 députés au Palais-Bourbon, et 150 sénateurs au Luxembourg, soit 450 élus, il faudrait au moins 225 ans ! Si vous trouvez que c’est aller vite, moi je trouve que non ! Si parmi les soixante députés actuellement au Palais-Bourbon, il y a les talents et les lumières du Parti -
je suppose que le parti socialiste n’a pas envoyé à la Chambre les moins éloquents, les moins
talentueux, mais au contraire les plus éloquents et les plus cultivés, - je dis à ces parlementaires : «
Sortez vite du Palais-Bourbon, faites claquer les portes, jetez votre démission à la face de vos
collègues comme un crachat sur leur figure ! Et puis, quand vous aurez fait cela, vous vous répandrez dans le pays, vous irez partout, dans les villes et les villages, prenant votre bâton de pèlerin, parcourant
les monts et les vaux, ne demandant rien à personne ; quelle force vous aurez alors pour dire : « Voilà ce que nous pouvons faire ensemble, je ne vous demande pas de mandat, pas de place au Palais- Bourbon, je veux rester avec vous, c’est avec vous que je veux combattre ». Quelle force vous donnerait un tel désintéressement ! Et alors je suis convaincu qu’il ne faudrait pas 225 ans pour passionner ce pays en lui faisant entendre la parole révolutionnaire. S’il y avait ainsi 50 ou 60 apôtres parcourant la France, soufflant l’esprit de révolte et animant de ce souffle la pensée du peuple tout entier, en très peu de temps nous mettrions sur pied une force révolutionnaire qui ferait trembler le pouvoir et le ferait reculer ».
Il est temps, camarades, de conclure.
La souveraineté du peuple est une duperie et un mensonge ; c’est un tour de passe-passe ; un
geste de prestidigitation. Le Parlement est un foyer de pourriture. Le parlementarisme est un régime d’absurdité, d’impuissance, de corruption et de nocivité.
L’action parlementaire est un terrain excellent pour la classe bourgeoise, mais un mauvais
terrain, le plus mauvais, pour la classe ouvrière.
Il faut déserter et rester résolument sur le terrain de la bataille révolutionnaire.
Seuls, les anarchistes luttent contre la Société capitaliste d’une façon constante, consciente et
active par l’abstentionnisme, qui ne consiste pas seulement à ne pas prendre part au scrutin, à ne pas se servir de l’arme dérisoire que la Constitution met entre leurs mains - le bulletin de vote. Leur abstentionnisme est conscient et agissant. Les anarchistes ont un corps de doctrine et des méthodes d’action qui doivent, il me semble, impressionner les hommes de bon sens, de conviction, de coeur, de volonté indépendante.
Seuls, les anarchistes s’abstiennent, parce qu’ils ont acquis par l’expérience la conviction que
l’action parlementaire est néfaste et que la lutte électorale est nocive, parce qu’ils savent que l’action politique est pernicieuse.
Dans le domaine électoral, on est toujours obligé de faire plus ou moins de concessions.
On ne peut pas toujours dire ce qu’on pense, tout ce qu’on pense, rien que ce qu’on pense ; et
les anarchistes veulent rester indépendants vis-à-vis de leur pensée, de leur conscience, et garder
toujours la possibilité de dire, sans ménagements, ce qu’ils pensent, tout ce qu’ils pensent, rien que ce qu’ils pensent.
Les anarchistes s’abstiennent parce qu’ils ne veulent pas participer aux crimes
gouvernementaux et parce qu’ils savent que, lorsqu’on approche le Pouvoir, on se rend complice,
implicitement si ce n’est explicitement, de tous les crimes commis par les gouvernements.
Les anarchistes ne veulent pas avoir à se reprocher la moindre participation à ces crimes, et ne
veulent endosser, sur ce point, aucune responsabilité.
Ils s’abstiennent parce qu’ils veulent rester dans la foule, parce qu’ils désirent rester en contact
permanent avec la masse qui trime, qui souffre, qui peine, qui subit l’autorité et qui en est révoltée et exaspérée.
Ils s’abstiennent parce qu’ils entendent garder intact leur droit à la révolte. Si vous votez, vous
perdez ce droit à la révolte et dès lors vous vous inclinez d’avance, vous le devez, c’est logique, devant la loi du nombre, devant cette force aveugle et stupide des majorités.
Si je me servais du bulletin de vote, j’aurais la certitude que je perdrais mon droit à la révolte,
puisque j’aurais accepté la loi des majorités et que j’aurais implicitement exigé que tout le monde s’inclinât devant elle.
Moi qui ne vote pas, j’ai le droit de dire : d’où qu’elle vienne, quelles que soient ses origines et
quel que soit le législateur, la loi ne peut que maintenir et aggraver l’iniquité. Quand elle la diminue dans une certaine mesure, l’iniquité reste quand même. Je refuse de reconnaître la loi, parce qu’elle est l’inepte application de la force aveugle et stupide du nombre, comme s’il y avait quelque chose de commun entre le nombre et le progrès, le droit, la justice, l’humanité. Je veux conserver mon droit à la révolte et voilà pourquoi je m’abstiens.
Si les anarchistes s’abstiennent, c’est parce qu’ils veulent rester fidèles à leur haute et pure
philosophie.
Cette philosophie consiste à s’éloigner avec autant de soin de l’autorité qu’on exerce que de
l’autorité qu’on subit.
Elle consiste à livrer une guerre implacable à ceux qui font la loi, comme à ceux qui la subissent
: les uns parce qu’ils abusent de l’autorité, les autres parce qu’ils sont lâches devant l’autorité.
L’anarchiste se distingue et se sépare de tous parce qu’il ne veut être ni maître, ni esclave. Il ne
veut pas s’incliner, mais il ne veut pas que les autres s’inclinent devant lui.
Il ne veut pas être esclave, et exécuter des ordres ; mais il ne veut pas être maître, ni donner des
ordres.
Il a horreur de l’autorité qu’on lui impose, comme il aurait horreur de l’autorité qu’il imposerait à autrui.
Il admet cette formule merveilleuse qui inspirera probablement l’humanité future : « Ni maître,
ni esclave ».
Et, pour terminer, je dirai que, dans l’état présent, en face de la société où nous sommes et qu’il
nous faut subir tant que nous n’aurons pas la force de la culbuter, nous faisons nôtre la parole lapidaire
d’un de nos camarades les plus illustres, Élisée Reclus : «
Devant l’iniquité, tant que celle-cipersistera, les anarchistes sont et restent en état d’insurrection permanente.
»



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René Berthier
Les anarchistes et le suffrage universel
LÕopposition des anarchistes à la participation du mouvement ouvrier à lÕinstitution parlementaire se fonde sur ce quÕils considèrent comme le caractère de classe de celle-ci ; sur sa fonction dans la société capitaliste moderne ; sur le dévoiement du programme ouvrier quÕentraînent les alliances contre-nature que cette participation impose ; sur l'écart qui se creuse entre l'élu et l'électeur ; enfin, sur la négation de la solidarité internationale qui apparaît inévitablement.Il ne suffit pas de dire que lÕinstitution parlementaire impose au prolétariat un jeu risqué : les principales objections viennent de ce que la classe dominante elle-même n'hésite pas à saborder la démocratie parlementaire lorsque ses intérêts sont en cause.
La bourgeoisie ne joue pas le jeu ! La forme politique la plus adaptéeÉ Non seulement la démocratie représentative est parfaitement adaptée aux exigences du capitalisme, elle lui est aussi nécessaire. Cette forme d'État réunit en effet deux conditions indispensables à la prospérité de la grande production industrielle : la centralisation politique et la sujétion du peuple-souverain à la minorité qui le représente, qui en fait le gouverne et lÕexploite. Dans un régime qui consacre lÕinégalité économique et la propriété privée des moyens de production, le système représentatif légitime lÕexploitation de la grande masse du peuple par une minorité de possédants et par les professionnels de la parole qui sont leur expression politique. Si le droit politique garanti par le système représentatif permet au non-possédant de participer en tant que citoyen à l'élection dÕun représentant, le droit économique lui permet de la même façon de «choisir» son employeur. La liberté du travailleur, dit Bakounine, est une liberté théorique, fictive. Pourtant, «est-ce à dire que nous, socialistes révolutionnaires, nous ne voulions pas du suffrage universel, et que nous lui préférions soit le suffrage restreint, soit le despotisme dÕun seul ? Point du tout. Ce que nous affirmons, cÕest que le suffrage universel, considéré à lui tout seul et agissant dans une société fondée sur lÕinégalité économique et sociale, ne sera jamais pour le peuple quÕun leurre ; que, de la part des démocrates bourgeois, il ne sera jamais rien quÕun odieux mensonge, lÕinstrument le plus sûr pour consolider, avec une apparence de libéralisme et de justice, au détriment des intérêts et de la liberté populaires, l'éternelle domination des classes exploitantes et possédantes.» (Bakounine, Stock, IV 195) On ne saurait donc conclure de la critique anarchiste du système représentatif à lÕapologie du «vide» politique, du «néant» et dÕune spontanéité transcendantale à partir desquels les «masses» découvriraient de façon immanente des formes politiques nouvelles et radicalement différentes.
La critique anarchiste de la démocratie représentative nÕest pas une critique de principe de la démocratie, entendue comme participation des intéressés aux choix concernant leur existence, mais une critique du contexte capitaliste dans lequel elle est appliquée. La brutalité du rapport entre les deux classes fondamentales de la société est cependant tempérée dÕabord par le fait quÕil y a entre elles de nombreuses nuances intermédiaires imperceptibles qui rendent parfois difficile la démarcation entre possédants et non-possédants, mais aussi par lÕapparition dÕune catégorie sociale nouvelle, que Bakounine appelle les «socialistes bourgeois», et dont la fonction semble essentiellement de promouvoir le système représentatif auprès du prolétariat. Issus des franges de la bourgeoisie, ces «exploiteurs du socialisme», philanthropes, conservateurs socialistes, prêtres socialistes, socialistes libéraux, intellectuels déclassés, utilisent le mouvement ouvrier comme tremplin et lÕinstitution parlementaire comme instrument pour tenter de se hisser au pouvoir, ou tout au moins pour se faire une place. Le socialisme bourgeois corrompt le mouvement ouvrier en «dénaturant son principe, son programme». La démocratie représentative étant définie comme la forme politique la plus adaptée à la société capitaliste il convient de sÕinterroger sur lÕopportunité pour le prolétariat dÕen accepter les règles, sachant que «la révolution sociale nÕexclut nullement la révolution politique. Au contraire, elle lÕimplique nécessairement, mais en lui imprimant un caractère tout nouveau, celui de l'émancipation réelle du peuple du joug de l'État.» (Bakounine, Stock, IV 198.)
La participation du mouvement ouvrier au jeu électoral ne saurait toucher lÕessentiel, cÕest-à-dire la suppression de la propriété privée des moyens de production. La démocratie représentative n'étant pour la bourgeoisie quÕun masque Ñ elle sÕen dessaisit aisément au profit du césarisme, cÕest-à-dire la dictature militaire, lorsque cela est nécessaire Ñ, tout empiétement démocratiquement décidé contre la propriété provoquera inévitablement une réaction violente de la part des classes dominantes spoliées. La participation à lÕinstitution parlementaire, où sont représentés des citoyens, non des classes, signifie inévitablement la mise en Ïuvre dÕalliances politiques avec des partis représentant certaines couches de la bourgeoisie modérée ou radicale. Bakounine déclare que lÕalliance entre un parti radical et un parti modéré aboutit inévitablement au renforcement du parti modéré au détriment du parti radical et à l'édulcoration du programme du parti radical : «LÕabsurdité du système marxien consiste précisément dans cette espérance quÕen rétrécissant le programme socialiste outre mesure pour le faire accepter par les bourgeois radicaux, il transformera ces derniers en des serviteurs inconscients et involontaires de la révolution sociale. CÕest là une grande erreur, toutes les expériences de l'histoire nous démontre quÕune alliance conclue entre deux partis différents tourne toujours au profit du parti le plus rétrograde ; cette alliance affaiblit nécessairement le parti le plus avancé, en amoindrissant, en faussant son programme, en détruisant sa force morale, sa confiance en lui-même ; tandis que lorsquÕun parti rétrograde ment, il se retrouve toujours et plus que jamais dans sa vérité.» (Lettre à La Liberté,le 5 août 1872, éd. Champ libre, III, 166)
Sur les alliances
La foi dans les institutions parlementaires, «du moment quÕon a derrière soi la majorité de la nation», pour reprendre les termes dÕEngels, toutes classes confondues, est fermement critiquée par les anarchistes, notamment par Bakounine car elle signifie inévitablement la conclusion dÕun «pacte politique» entre «la bourgeoisie radicale ou forcée de se faire telle, et la minorité intelligente respectable, cÕest-à-dire dûment embourgeoisée, du prolétariat des villes, à lÕexclusion et au détriment de la masse du prolétariat non seulement des campagnes, mais des ville». «Tel est, conclut lÕanarchiste, le vrai sens des candidatures ouvrières aux parlements des États existants» (III, 161). On peut alors se demander ce que Bakounine lui-même préconisait en matière dÕalliances politiques. Il avait parfaitement saisi lÕimportance formidable des classes sociales intermédiaires dans la société et le rôle de frein quÕelles pouvaient jouer dans la révolution. «Ne comptez pas sur la bourgeoisie, dit-il ; elle ne voudra jamais ni ne pourra jamais vouloir vous rendre justice ; ce serait contraire à la logique des choses et des conditions de vie, contraire à toutes les expériences de l'histoire ; lÕopinion publique, la conscience collective de chaque classe étant nécessairement et toujours le produit des rapports sociaux et des conditions particulières qui constituent la base et la loi de son existence séparée.» (II, 93).
Le prolétariat doit donc sÕorganiser «en dehors et contre la bourgeoisie». Ce nÕest que par la force et par la démonstration bien réelle de leur puissance organisée que les travailleurs pourront arracher des concessions à la bourgeoisie. La petite bourgeoise quant à elle est pour le prolétariat une alliée potentielle, elle nÕest séparée de la classe ouvrière que par la «méconnaissance de ses propres intérêts» et par la «sottise bourgeoise». Le point de vue de Bakounine est parfaitement exprimé dans le passage suivant, écrit peu après la mort de Mazzini : les Internationaux italiens, dit-il, seront sans doute sollicités par les mazziniens pour sÕunir à eux. Mais, rappelle Bakounine, «ÉnÕoubliez pas lÕabîme qui sépare votre programme du programme mazzinien. Ne vous laissez pas entraîner par eux Ñ ce quÕils ne manqueront certainement pas de tenter Ñ à une entreprise pratique commune, conforme à leur programme et à leurs plans et modes dÕaction, non aux vôtres. Appelez-les à sÕunir avec vous sur votre propre terrain, mais ne les suivez pas sur leur terrain à eux, que vous ne sauriez accepter sans sacrifier et sans trahir cette grande cause du prolétariat qui désormais est devenue la vôtre. (É) En acceptant leurs plans dÕaction, non seulement vous ruineriez tout votre travail socialiste et vous arracheriez votre pays à la solidarité révolutionnaire qui lÕunit aujourd'hui à toute lÕEurope, mais vous vous condamneriez vous-mêmes, avec tous ceux qui vous suivraient dans cette voie nouvelle et funeste, à une défaite certaine.» (Lettre à Celsio Ceretti, 13-17 mars 1872, Champ libre, II, 237)
Pouvoir et exploitation sont inévitablement liés. Les États, quels quÕils soient, fonctionnent selon le principe de la substitution de pouvoir, cÕest-à-dire quÕils canalisent dans un nombre de mains réduites, au nom de la société civile, la légitimité de celle-ci. La majorité de la population ne peut avoir quÕune souveraineté fictive, plus ou moins masquée. Enfin, la logique interne à tout État le conduit à la centralisation, à la concentration du pouvoir, à lÕaccaparement des autonomies. Le «pouvoir politique» entendu au sens de processus collectif de décision concernant les orientations de la société, doit nécessairement être décentralisé : son lieu dÕexercice nÕest pas l'État ni le parlement mais lÕorganisation des producteurs associés et les communes fédérées. La conquête de l'État «nÕest possible que lorsquÕelle se développe de concert avec une partie quelconque de cette classe [la bourgeoisie] et se laisse diriger par des bourgeois.»
LÕoriginalité de lÕanalyse bakouninienne est dÕavoir montré que dans sa période constitutive, le mouvement ouvrier ne pouvait rien espérer de la subordination de son action à la revendication de la démocratie représentative parce quÕil avait face à lui la violence étatique, et que dans la période de stabilisation, lorsque cette revendication était accordée, les classes dominantes et l'État avaient les moyens dÕempêcher que lÕutilisation des institutions représentatives ne remette pas en cause leurs intérêts. Bakounine a en effet affirmé que les démocrates les plus ardents restent des bourgeois, et quÕil suffit dÕune «affirmation sérieuse, pas seulement en paroles, de revendications ou dÕinstincts socialistes de la part du peuple pour quÕils se jettent aussitôt dans le camp de la réaction la plus noire et la plus insensée», suffrage universel ou pas. CÕest le phénomène que Bakounine désigne sous le nom de césarisme, et que Marx appelle bonapartisme : cette voie fut découverte jadis par les empereurs romains, mais oubliée et redécouverte récemment par Napoléon Ier et «déblayée et améliorée par son élève, le prince de Bismarck : la voie du despotisme étatique, militaire et politique, dissimulée sous les fleurs et sous les formes les plus amples en même temps que les plus innocentes de la représentation populaire» (IV, 294). En 1815 cette voie était prématurée : «A l'époque, personne ne se doutait de cette vérité, devenue depuis évidente aux despotes les plus niais, que le régime dit constitutionnel ou parlementaire nÕest pas une entrave au despotisme étatique, militaire, politique et financier, mais que, le légalisant en quelque sorte et lui donnant lÕaspect trompeur dÕun gouvernement du peuple, il peut lui conférer à lÕintérieur plus de solidité et de force.» La remarque qui suit cette affirmation est particulièrement intéressante : si, en 1815, on ignorait cela, cÕest que la rupture entre la classe exploiteuse et le prolétariat n'était pas aussi évidente quÕaujourd'hui. Les gouvernements, qui étaient encore constitués sur le modèle de lÕAncien régime, pensaient que le peuple était derrière la bourgeoisie. Aujourd'hui le peuple et la bourgeoisie sont en opposition, et cette dernière sait que contre la révolution sociale «il nÕy a pas pour elle dÕautre refuge que l'État». Mais elle veut un État fort qui assure une dictature «revêtue des formes de la représentation nationale qui lui permettent dÕexploiter les masses populaires au nom du peuple lui-même». Ainsi le système représentatif est très explicitement désigné comme le moyen trouvé par la bourgeoisie pour garantir sa situation de classe exploiteuse et comme la solution à la crise de légitimité du pouvoir. Les revendications et le programme de la classe ouvrière se trouvent ainsi dilués dans la fiction de la représentation nationale.
La fiction de la représentation
La véritable fonction de la démocratie représentative nÕest donc pas tant de garantir la liberté des citoyens que de créer les conditions favorables au développement de la production capitaliste et de la spéculation bancaire, qui exigent un appareil d'État centralisé et fort, seul capable dÕassujettir des millions de travailleurs à leur exploitation. La démocratie représentative repose sur la fiction du règne de la volonté populaire exprimée par de soi-disants représentants de la volonté du peuple. Ainsi permet-elle de réaliser les deux conditions indispensables à l'économie capitaliste : la centralisation de l'État et la soumission de la souveraineté du peuple à la minorité régnante. Toute société qui parvient à s'émanciper quelque peu cherche à soumettre les gouvernements à son contrôle, dit Bakounine, et met son salut dans «lÕorganisation réelle et sérieuse du contrôle exercé par lÕopinion et par la volonté populaire sur tous les hommes investis de la force publique. Dans tous les pays jouissant du gouvernement représentatif, (É) la liberté ne peut donc être réelle, que lorsque le contrôle est réel. Par contre si ce contrôle est fictif, la liberté populaire devient nécessairement aussi une pure fiction.» (V, 61.) Or, Bakounine constate que «nulle part en Europe le contrôle populaire nÕest réel». «Tout le mensonge du système représentatif repose sur cette fiction, quÕun pouvoir et une chambre législative sortis de l'élection populaire doivent absolument ou même peuvent représenter la volonté réelle du peuple.» (V, 62.)
Il y a cependant une logique interne à tout gouvernement, même le plus démocratique, qui pousse, dÕune part à la séparation croissante entre les électeurs et les élus, et dÕautre part qui pousse à lÕaccroissement de la centralisation du pouvoir. «La classe des gouvernants est toute différente et complètement séparée de la masse des gouvernés». La bourgeoisie gouverne, mais, étant séparée du peuple par toutes les conditions de son existence économique et sociale, comment la bourgeoisie peut-elle réaliser, dans le gouvernement et dans les lois, les sentiments, les idées, la volonté du peuple ? Ce serait toutefois une erreur, commente Bakounine, dÕattribuer ces palinodies à la trahison. Elles ont pour cause principale le changement de perspective et de position des hommes. CÕest cela qui explique que les démocrates les plus rouges «deviennent des conservateurs excessivement modérés dès quÕils sont montés au pouvoir» (V, 63). Les modifications du comportement des élus est un sujet qui préoccupe constamment Bakounine.
Dans la Protestation de lÕAlliance,il affirme la nécessité pour les élus de rester en contact avec la vie du peuple ; ils devraient être obligés dÕagir ouvertement et publiquement, ils doivent être soumis au régime salutaire et ininterrompu du contrôle et de la critique populaires ; ils doivent enfin être révocables à tout moment. En dehors de ces conditions, l'élu risque de devenir un sot vaniteux, gonflé de son importance. La logique interne du système représentatif ne suffit cependant pas à expliquer que la démocratie y est fictive. Si la bourgeoisie possède le loisir et lÕinstruction nécessaires à lÕexercice du gouvernement, il nÕen est pas de même du peuple.
De ce fait, même si les conditions institutionnelles de l'égalité politique sont remplies, cette dernière reste une fiction. Les périodes électorales fournissent aux candidats lÕoccasion de «faire leur cour à Sa Majesté le peuple souverain», mais ensuite chacun revient à ses occupations : «le peuple à son travail, et la bourgeoisie à ses affaires lucratives et à ses intrigues politiques.» Ignorant de la plupart des questions, le peuple ne peut contrôler les actes politiques de ses élus. Or, puisque le «contrôle populaire, dans le système représentatif, est lÕunique garantie de la liberté populaire, il est évident que cette liberté aussi nÕest quÕune fiction.» Le système du référendum, introduit par les radicaux de Zurich, nÕest quÕun palliatif, une nouvelle illusion. Là encore, pour voter en connaissance de cause, il faudrait que le peuple ait le temps et lÕinstruction nécessaires d'étudier les lois quÕon lui propose, de les mûrir, de les discuter : «Il devrait se transformer en un immense parlement en plein champ», ce qui nÕest évidemment pas possible. De plus - et là on touche à la «technologie» parlementaire Ñ, les lois ont la plupart du temps une portée très spéciale, elles échappent à lÕattention du peuple et à sa compréhension : «prises séparément, chacune de ces lois paraît trop insignifiante pour intéresser beaucoup le peuple, mais ensemble elles forment un réseau qui lÕenchaîne.»
La plupart des affaires qui intéressent directement le peuple se font par-dessus sa tête, sans quÕil sÕen aperçoive ; il laisse faire ses élus, qui servent les intérêts de leur propre classe et qui présentent les mesures prises sous lÕaspect le plus anodin. «Le système de la représentation démocratique est celui de l'hypocrisie et du mensonge perpétuels. Il a besoin de la sottise du peuple, et il fonde tous ses triomphes sur elle.» Le seul moyen de contrôle effectif de la population sur les décisions gouvernementales nÕa rien dÕinstitutionnel. Lorsque le sentiment populaire se sent attaqué sur des points essentiels, «certaines idées, certains instincts de liberté, dÕindépendance et de justice auxquels il nÕest pas bon de toucher», il reste au peuple la possibilité de se soulever, de se révolter. «Les révolutions, la possibilité toujours présente de ces soulèvements populaires, la crainte salutaire quÕils inspirent, telle est encore aujourd'hui lÕunique forme de contrôle qui existe réellement en Suisse, lÕunique borne qui arrête le débordement des passions ambitieuses et intéressées de ses gouvernants.» CÕest dÕailleurs cette arme-là dont sÕest servi le parti radical pour renverser les constitutions antérieures, jusquÕen 1848. Mais ensuite il prit des mesures pour briser toute possibilité dÕy avoir recours, «pour quÕun parti nouveau ne pût sÕen servir contre lui à son tour», en détruisant les autonomies locales et en renforçant le pouvoir central. LÕexemple du cas suisse révèle donc aux yeux de Bakounine lÕefficacité du système représentatif du point de vue de la préservation du régime bourgeois : ce dernier a su utiliser la révolte comme moyen de contrôle Ñ et le contrôle ultime nÕest-il pas le changement de régime politique ? Ñ et il a su ensuite mettre en place les mesures nécessaires pour empêcher quÕil soit fait recours à ce contrôle contre lui : «Désormais, les révolutions cantonales, le moyen unique dont disposaient les populations cantonales pour exercer un contrôle réel et sérieux sur leurs gouvernements, et pour tenir en échec les tendances despotiques inhérentes à chaque gouvernement, ces soulèvements salutaires de lÕindignation populaire, sont devenues impossibles. Elles se brisent impuissantes contre lÕintervention fédérale.» (V, 65.)
Les progrès de la liberté dans certains cantons jadis très réactionnaires ne sont pas la conséquence de la nouvelle constitution de 1848 qui a accru la centralisation de l'État, mais plutôt de la «marche du temps». Dans les faits, les progrès accomplis depuis 1848, dit Bakounine, sont, dans le domaine fédéral, surtout des progrès dÕordre économique : unification des monnaies, des poids et mesures, les grands travaux publics, les traités de commerce, etc. «On dira que la centralisation économique ne peut être obtenue que par la centralisation politique, que lÕune implique lÕautre, quÕelles sont nécessaires et bienfaisantes toutes les deux au même degré. Pas du toutÉ. La centralisation économique, condition essentielle de la civilisation, crée la liberté ; mais la centralisation politique la tue, en détruisant au profit des gouvernants et des classes gouvernantes la vie propre et lÕaction spontanée des populations.» (V, 61.) On retrouve exactement la même idée chez Proudhon.
CÕest là un aspect peu connu de la pensée politique de Bakounine, sur lequel en tout cas les anarchistes après lui sont gardés de mettre lÕaccent. Par centralisation économique, il faut entendre la tendance de la société industrielle moderne à organiser les activités productives à une échelle de plus en plus grande et complexe. LÕanarchisme se situe donc aux antipodes dÕune conception fondée sur la petite production artisanale et décentralisée. Bakounine sait bien que le développement industriel sÕaccompagne de la concentration du capital : il ne nie pas la nécessité de ce processus qui permet une production de masse. En ce sens, son point de vue sÕapparente à celui de Marx, pour qui le développement des forces productives crée les conditions de la réalisation du socialisme. La vision de Bakounine sÕinscrit donc tout à fait dans la perspective dÕune société industrielle. Là où il se dissocie de Marx, cÕest sur la question politique, sur le schéma politique de lÕorganisation de la société. Il semble envisager un système où l'économie serait organisée dÕun point de vue centralisé, mais où le processus de décision politique serait décentralisé et fondé sur le principe du contrôle populaire. Il est vrai que le concept de «centralisation économique» nÕest pas explicité. La concentration du capital est reconnue comme un des moteurs de l'évolution des sociétés industrielles, mais cÕest un phénomène mécanique qui échappe à la volonté des hommes. Il y a dans le terme de centralisation économique quelque chose de voulu, quÕil serait possible dÕorganiser et quÕon retrouve dans lÕexpression «organisation des forces productives» employé par Bakounine. Le mot planification nÕexistait pas à l'époque mais il est possible que cÕest à peu près à cela que pensait Bakounine, ce qui, évidemment, va à lÕencontre de toute idée reçue sur sa pensée politique.
LÕobjection principale que formule Bakounine à lÕencontre de la démocratie représentative touche à sa nature de classe. Tant que le suffrage universel «sera exercé dans une société où le peuple, la masse des travailleurs, sera économiquement dominée par une minorité détentrice de la propriété et du capital, quelque indépendant ou libre dÕailleurs quÕil soit ou plutôt quÕil paraisse sous le rapport politique, ne pourra jamais produire que des élections illusoires, antidémocratiques et absolument opposées aux besoins, aux instincts et à la volonté réelle des populations.» (VIII, 14.) Bakounine insiste beaucoup sur les arguments techniques touchant à la distorsion qui apparaît inévitablement entre l'élu et les mandants, à la difficulté ou à lÕimpossibilité de contrôler les élus. Mais en définitive ces inconvénients paraissent dérisoires devant lÕimpossibilité même du système représentatif, et qui tient à sa nature, de réaliser la collectivisation des moyens de production, sans laquelle aucun changement nÕest possible.
CÕest pourquoi lÕinsistance sur la seule conquête de la liberté politique comme préalable signifie laisser les rapports économiques et sociaux en l'état où ils sont, cÕest-à-dire «les propriétaires et les capitalistes avec leur insolente richesse, et les travailleurs avec leur misère».
LÕintérêt porté par Bakounine au modèle suisse vient de ce quÕil fournit un modèle général du fonctionnement de ce système : «Le mouvement qui se produit en Suisse est fort intéressant à étudier», dit-il, «car on y assiste à un processus typique de centralisation politique Ñ cÕest-à-dire de recul des libertés Ñ effectué sous le couvert démocratique dÕune extension des libertés électorales».
Les couches sociales intéressées à la pérennité de ce régime sont désignées : les barons de la banque et tous leurs dépendants, les militaires, les fonctionnaires, les professeurs, les avocats, les doctrinaires de toutes les couleurs avides de positions honorifiques et lucratives, «en un mot toutes la gent qui se croit soit par droit d'héritage, soit par intelligence et instruction supérieure, appelée à gouverner la canaille populaire.» (III, 109.) Mais parmi ceux qui remettent en cause lÕautonomie cantonale il y a aussi «les classes ouvrières de la Suisse allemande, les démocrates socialistes des cantons de Zurich, de Bâle et autres, Ñ et les ouvriers allemands dÕune association ouvrière exclusivement suisse appelée Grütli-Verein,tous les deux, les uns directement, les autres indirectement, inspirés par le programme politico-socialiste des Internationaux de lÕAllemagne, cÕest-à-dire Marx.» (III, 110.)
Ce que Bakounine observe en Suisse confirme à ses yeux la thèse selon laquelle le suffrage universel, et même le référendum, quÕil appelle «votation à lÕaveugle», sont, aux mains des classes dominantes et des couches de la bourgeoisie intellectuelle, des outils efficaces pour réaliser la centralisation du pouvoir d'État. Que les socialistes suisses aient été les plus ardents défenseurs de cette centralisation confirme ce quÕil observe à une échelle infiniment plus vaste, en Allemagne.


LES ELECTEURS (Gaston Couté)

Ah ! bon Guieu qu'des affich's su' les portes des granges !
C'est don' qu'y a 'cor queuqu' baladin an'hui dimanche
Qui dans' su' des cordieaux au bieau mitan d'la place ?
Non, c'est point ça !... C'tantoût on vote à la mairie
Et les grands mots qui flût'nt su' l'dous du vent qui passe :
Dévouement !... Intérêts !... République !... Patrie !...
C'est l'Peup' souv'rain qui lit les affich's et les r'lit...
(Les vach's, les moutons,
Les oué's, les dindons
S'en vont aux champs, ni pus ni moins qu'tous les aut's jours
En fientant d'loin en loin l' long des affich's du bourg.)
Les électeurs s'en vont aux urn's en s'rengorgeant,
" En route !... Allons voter !... Cré bon Guieu ! Les bounn's gens !...
C'est nous qu'je t'nons à c't'heur' les massins d'la charrue,
J'allons la faire aller à dia ou ben à hue !
Pas d'abstentions !... C'est vous idé's qui vous appellent...
Profitez de c'que j'ons l'suffrage univarsel ! "
(Les vach's, les moutons,
Les oué's, les dindons
Pàtur'nt dans les chaum's d'orge à bell's goulé's tranquilles
Sans s'ment songer qu'i's sont privés d'leu's drouéts civils.)
Y a M'sieu Chouse et y a M'sieu Machin coumm' candidat.
Les électeurs ont pas les mêm's par's de leunettes :
- Moué, j'vot'rai pour c'ti-là !... Ben, moué, j'y vot'rai pas !...
C'est eun' foutu crapul' !... C'est un gas qu'est hounnéte !...
C'est un partageux !... C'est un cocu !... C'est pas vrai !...
On dit qu'i fait él'ver son goss' cheu les curés !...
C'est un blanc !... C'est un roug' !... - qu'i's dis'nt les électeurs :
Les aveug'els chamaill'nt à propos des couleurs.
(Les vach's, les moutons,
Les oué's, les dindons
S'fout'nt un peu qu'leu' gardeux ait nom Paul ou nom Pierre,
Qu'i' souét nouer coumme eun' taupe ou rouquin coumm' carotte
l's breum'nt, i's bél'nt, i's glouss'nt tout coumm' les gens ' qui votent
Mais i's sav'nt pas c'que c'est qu'gueuler : " Viv' Môssieu l'maire ! " )
C'est un tel qu'est élu !... Les électeurs vont bouére
D'aucuns coumme à la nec', d'aut's coumme à l'entarr'ment,
Et l'souér el' Peup' souv'rain s'en r'tourne en brancillant...
Y a du vent ! Y a du vent qui fait tomber les pouéres !
(Les vach's, les moutons,
Les oué's, les dindons
Prenn'nt saoûlé' d'harb's et d'grains tous les jours de la s'maine
Et i's s'mett'nt pas à chouér pasqu'i's ont la pans' pleine.)
Les élections sont tarminé's, coumm' qui dirait
Que v'là les couvraill's fait's et qu'on attend mouésson...
Faut qu'les électeurs tir'nt écus blancs et jaunets.
Pour les porter au parcepteur de leu' canton ;
Les p'tits ruissieaux vont s'pard' dans l'grand fleuv' du Budget
Oùsque les malins péch'nt, oùsque navigu'nt les grous.
Les électeurs font leu's courvé's, cass'nt des cailloux
Su'la route oùsqu' leu's r'présentants pass'nt en carrosses
Avec des ch'vaux qui s'font un plaisi' - les sal's rosses ! -
De s'mer des crott's à m'sur' que l'Peup' souv'rain balaie...
(Les vach's, les moutons,
Les oué's, les dindons
S'laiss'nt dépouiller d'leu's oeufs, de leu' laine et d'leu' lait
Aussi ben qu's'i's -z- avin pris part aux élections.)
Boum !... V'là la guerr' !... V'là les tambours qui cougn'nt la charge...
Portant drapieau, les électeurs avec leu's gâs
Vont terper les champs d'blé oùsqu'i'is mouéssounn'ront pas.
- Feu ! - qu'on leu' dit - Et i's font feu ! - En avant Arche !-
Et tant qu'i's peuv'nt aller, i's march'nt, i's march'nt, i's marchent...
...Les grous canons dégueul'ent c'qu'on leu' pouss' dans l'pansier,
Les ball's tomb'nt coumm' des peurn's quand l'vent s'cou' les peurgniers
Les morts s'entass'nt et, sous eux, l'sang coul' coumm' du vin
Quand troués, quat' pougn's solid's, sarr'nt la vis au persoué
V'là du pâté !... V'là du pâté de peup' souv'rain !
(Les vach's, les moutons,
Les oué's, les -dindons
Pour le compte au farmier se laiss'nt querver la pieau
Tout bounnment, mon guieu !... sans tambour ni drapieau.)
...Et v'là !... Pourtant les bét's se laiss'nt pas fer' des foués !
Des coups, l' tauzieau encorne el' saigneux d'l'abattoué...
Mais les pauv's électeurs sont pas des bét's coumm's d'aut'es
Quand l'temps est à l'orage et l'vent à la révolte...
I's votent !...



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Émile Pouget ?Le muselage universel (1896)
"Le muselage universel" n’a pas perdu une ride depuis 1896, même si aujourd’hui les femmes ont gagné le droit de voter et si les jeunes peuvent participer à la farce électorale dès 18 ans, et non plus seulement à 21 ans. Mais l’essentiel demeure : la « souveraineté populaire », telle que la conçoit la démocratie bourgeoise, est un leurre. Suffrage rime toujours avec muselage.
Pouget souligne quelques tares fondamentales du mécanisme électoral : l’impossibilité de révoquer les élus, les espaces de temps très longs qui séparent deux élections, le fonctionnement des illusions électoralistes non seulement pour ceux qui votent pour un candidat gagnant mais aussi pour un perdant, etc. Incidemment, on s’amusera à comparer la façon dont Pouget analyse le résultat des élections de 1893 avec les exégèses verbeuses et triomphalistes de l’extrême gauche et de certains libertaires sur la « victoire du non de gauche » en 2005. Y a pas à dire, plus on avance dans le temps, plus on régresse dans la
« trouduculterie »... (Ni patrie ni frontières)

Almanach du Père Peinard, 1896
« Le 12 octobre 1860, naissance d’Emile POUGET dans l’Aveyron. Pamphlétaire redouté, anarcho-syndicaliste, antimilitariste et anticlérical.
Très jeune révolté et marqué par le procès des communards de Narbonne en 1871. Plus tard, à Paris (où il travaille comme employé), il devient anarchiste à la lecture de "Révolution sociale" et du "Révolté". Le 9 mars 1883, il participe avec Louise Michel à la manifestation des "sans travail" où plusieurs boulangeries
sont pillés. Arrêté avec elle, il est condamné le 21 juin à 8 ans de prison. Il en sort en 1886 lors d’une amnistie et se consacre à la propagande anarchiste, avec la création, le 24 février 1889, du journal "Le Père Peinard", qui obtient un rapide succès, par le style et le ton virulent utilisé.
Pouget sera plusieurs fois poursuivit par la justice pour ses articles, et contraint d’arrêter la parution du journal au n° 253, suite à l’application des "lois scélérates" de 1894. Il s’exile alors en Angleterre. A son retour en France, il publie "La sociale", puis en 1896, reprend la publication du "Père Peinard". Il s’engage dès lors dans le syndicalisme révolutionnaire et sera, de 1902 à 1908, secrétaire adjoint de la C.G.T. En 1906, il est l’un des signataires de la
"Charte d’Amiens".
En 1909, il se consacre à la publication de "La révolution". Il meurt le 21
juillet 1931. Il a laissé de nombreux livres et brochures comme "L’action directe" (1910), "Le sabotage", etc. » (Biographie extraite du site Ephémérides anarchistes.)

"Il paraît que nous sommes souverains. Autrefois, c’étaient les rois qui avaient cette veine, aujourd’hui c’est le peuple. Seulement, il y a un distinguo, qui n’est pas négligeable : les rois vivaient grassement de leur souveraineté, - tandis que nous crevons de la nôtre. Cette seule différence devrait nous suffire à nous fiche la puce à l’oreille et nous faire comprendre qu’on se fout de notre fiole. Comment, c’est nous qui remplaçons les rois et s’il plaît à un sergot de nous passer à tabac, au garde-champêtre de nous coller un procès-verbal, à un patron de nous
botter le cul, tout souverains que nous soyons, nous n’avons que le droit d’encaisser... et de dire merci ! Par exemple, si cette garce de souveraineté nous rapporte peau de balle et balai de crin, y en a d’autres à qui elle profite bougrement. Au lieu de garder ce trésor sous globe, - kifkif une relique crétine, avec autant d’amour que si c’était trois poils de la Vierge, ou une des
chaussettes de Jésus-Christ, on use de sa souveraineté... Mais on en use de la plus sale façon : on la délègue !

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