Le dispositif, installé début juillet dans un établissement parisien, a été découvert et récupéré par les militants qui ont diffusé des photos en ligne.
Il devait rester discret et s’est retrouvé disséqué sur Internet. Un dispositif de surveillance, placé dans une école du XIXe arrondissement de Paris, filmait une bibliothèque anarchiste voisine. Les militants s’en sont rendu compte, ont récupéré le matériel manu militari et l’ont exhibé sur leur blog.
Le récit paraît surréaliste, mais il a été confirmé à Libération par plusieurs sources au sein de l’établissement. Début juillet, deux individus de sexe masculin, se présentant comme des policiers en civil, se rendent à l’école, rue du Pré-Saint-Gervais. «Ils ont montré des papiers», se souvient une responsable administrative de l’établissement. Les policiers ne laissent pas leur nom ni celui de leur service, mais un numéro de portable «en cas d’urgence». Ils ne disent rien de l’enquête qui les amène et installent le dispositif dans le cagibi de l’école.
«Je pensais que c’était pour filmer des dealers», dit l’un des professeurs. En réalité, le dispositif est braqué sur l’entrée d’une bibliothèque de l’autre côté de la rue. Une bibliothèque anarchiste, La Discordia, qui a ouvert le 10 mai.
Sur son site internet, les bibliothécaires décrivent ainsi leur lieu : «Une bibliothèque qui entend nourrir un projet révolutionnaire par certains de ses aspects fondamentaux : la lecture, le débat, la théorie, l’écriture, le papier, la discussion […] C’est des livres, journaux, tracts, brochures, affiches et autres documents, des archives d’aujourd’hui et d’hier pour contribuer à la transmission de l’histoire des luttes individuelles comme collectives. Tout ce qui pourra favoriser le développement des idées, en rupture avec l’Etat, la politique et le capitalisme.»
Surveillance politique
Tout l’été, l’entrée de la bibliothèque est ainsi surveillée depuis l’autre côté de la rue. Le dispositif comprend une caméra, qui semble être contrôlable à distance, un GPS et du matériel de connexion, par exemple pour transmettre les images en temps réel. Dans l’école, certains se doutent rapidement de ce qui se trame. «J’ai compris que ce n’était pas pour le deal, mais pour la bibliothèque. C’est de la surveillance politique», poursuit l’enseignant, qui se désole : «On ne savait pas quoi faire.»
Mardi, les bibliothécaires ont traversé la rue pour récupérer le matériel. Se présentant en voisins, deux hommes et une femme entrent dans l’école, puis exigent d’accéder au cagibi et à la caméra. «Ils ont dit qu’ils resteraient là et ne bougeraient pas», raconte une responsable de l’administration. Le ton est «un peu monté», précise l’enseignant. Sur leur blog, les militants disent s’être «emparés du dispositif par la force»et être parvenus «à sortir rapidement malgré quelques "résistances"».
Depuis, plus rien. Les militants ont photographié le dispositif sous tous les angles, en ont diffusé les clichés en ligne avant de l’envoyer «en pièces détachées, à quelques mètres de profondeur, dans le canal de l’Ourcq, au niveau de la rue de Nantes». L’administration de l’école a tenté d’appeler le numéro de portable laissé pour les cas d’urgence. Personne n’a répondu (nous sommes aussi tombés sur un répondeur). Au commissariat du coin, personne n’a pu les renseigner – ce qui n’est guère surprenant pour une opération de ce type.
Le parquet de Paris, interrogé par Libération, dit ne pas avoir connaissance d’une enquête en cours visant la bibliothèque La Discordia. Les étranges policiers ont pu agir hors de toute procédure judiciaire, donc en renseignement. Et ce ne serait pas la première fois que leur dispositif discret serait découvert. En 2011, des proches des mis en examen de l’affaire Tarnac avaient trouvé des balises dans leur voiture.
Les responsables de l’école ne tiennent pas à s’étendre sur l’affaire. Ils comptent déposer une main courante à cause de l’intrusion des militants dans l’établissement. «On ne peut pas laisser entrer n’importe qui»déplore une responsable. L’équipe de La Discordia n’a pas répondu aux mails de Libération. Pas directement, du moins. En bas de son poste de blog, un nota bene a été ajouté : «Concernant les journalistes : nous n’avons strictement rien à vous déclarer, car, comme vous, nous avons choisi notre camp dans la guerre sociale et ce n’est pas le même.»
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