vendredi 2 décembre 2016

Tu seras réserviste mon fils !

Jean de la Fontaine écrivait dans les « Animaux malades de la peste » : « Selon que vous serez puissant ou misérable les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». S'il vivait de nos jours, le poète aurait sans doute intitulé son poème « les hommes malades du capitalisme », cette peste moderne, en dénonçant de la même manière une justice au service des puissants.
La justice est une des fonctions régaliennes de l'Etat. Au service exclusif de celui-ci, elle ne peut donc « être juste » et c'est bien pour cela que les libertaires l'ont définitivement condamnée depuis longtemps. Croire que l'Etat puisse être au service des citoyens est totalement irrationnel ; c'est comme penser que le patronnat a pour objectif le bien être des travailleurs, supposer que des industriels de l'agro-alimentaire ou de laboratoires pharmaceutiques ont pour souci la santé des consommateurs. Par définition la société capitaliste est à l'opposé de tous principes et valeurs de bien être pour l'humanité.

Et voici que curieusement, la justice est remise en cause aujourd'hui par une autre force régalienne, la police. Les nombreuses manifestations de policiers en octobre et novembre, à travers la France, accusent les juges d'être trop laxistes et vont jusqu'à revendiquer l'élargissement de la notion de « Légitime défense ».
Au point, comme aux USA d'aller vers un « la police tire et discute ensuite » ?
Alors que le premier ministre manuel Valls devrait, au nom du respect de l'état d'urgence qu'il a lui-même instauré, condamner et interdire immédiatement ces manifestations de policiers, comme il l'a fait pour des manifestations de syndicats, il leur affiche publiquement son soutien. Ce comportement indique un virage extrêmement dangereux où l'Etat semble prêt à réduire ses fonctions régaliennes aux seules missions répressives des corps de police et de l'armée.
Malgré ce que l'on sait d'une justice à vitesses variables, plus prompte à condamner des travailleurs coupables d'avoir déchiré une chemise qu'à condamner des flics coupables de véritables assassinats, il semble que les juges ne soient pas encore suffisamment au garde à vous, le doigt collé sur la couture du pantalon.
Se dirige t-on vers une société où l'Etat n'aurait dorénavant besoin que de ses deux autres fonctions régaliennes : la « Défense » avec l'armée et l' « Intérieur » avec la police ? Autrement dit ses forces répressives au sens le plus physique du terme, la « Justice » quant à elle, ayant désormais pour mission d'appliquer les décisions du politique, de l'Etat ? Les syndicalistes de Goodyear condamnés à de la prison ferme alors que les cadres « séquestrés » avaient retiré leurs plaintes, celui d'Air France, licencié avec l'accord de la ministre du Travail, montrent bien que cette dérive donnant les pleins pouvoirs à l'exécutif est commencée.
Ailleurs on appelle cela une dictature !



Encore une fois, tout cela est cohérent à la vue du délire militaro-sécuritaire qui se développe depuis quelques années : le bellicisme des politiciens de droite comme de gauche n'est plus à démontrer avec une armée française présente sur tous les fronts, soit par les armes qu'elle vend , soit par les hommes qu'elle envoit, soit par les deux à fois. Rapporté au nombre d'habitants, la France est devenue depuis peu le premier pays exportateur d'engins de mort au monde ! Et ils ne sont pas nombreux, ceux qui s'offusquent de cette réalité ! Où est le temps des manifestations contre la guerre, des « Pas en notre nom » ? Afficher son pacifisme, antimilitarisme sera t-il bientôt considéré comme un crime menant directement à la prison sans d'ailleurs passer par la case tribunal, cette étape étant devenue inutile ?
Cette volonté de contrôle de la « Justice » accompagnée du développement des forces de répression que sont l' « Armée » et la « Police » prend un essor considérable depuis l'attentat de Charlie Hebdo en 2015. Et si l'arsenal militaro-policier n'a empêché aucun des attentats qui ont suivi, il a su par contre criminaliser
de plus en plus les mouvements sociaux, syndicalistes, étudiants etc.

C'est la mission de L'Etat socialiste d'aujourd'hui qui ne fait que poursuivre les objectifs des Etats de droite qui l'ont précédé : il s'agit d'appliquer les directives d'un capitalisme mondial à l'agonie. Face aux révoltes légitimes, à la radicalisation des luttes, à la possible insurrection à venir, obéir aux ordres du capitalisme passe nécessairement par le renforcement des forces de répression.
C'est bien ce qui explique le développement actuel des réserves militaire comme policière, des organisations dites citoyennes, le tout labellisé « Garde Nationale ».
Tout cela ne peut fonctionner qu'en s'appuyant sur le « désir de soumission » du plus grand nombre, en montrant aux faibles qu'ils peuvent participer à leur propre servitude. Rassurons-nous, les périodes de crises ont toujours montré que devant la barbarie, il se trouvait plus d'hommes à accepter de devenir des « Oberkapos » qu' à entrer en résistance, fut-elle non-violente !
De ce point de vue on peut dire que « le silence des pantoufles expliquent et légitime les bruits de bottes ». En d'autres temps un certain Etienne de la Boétie a dit la même chose. C'est donc parmi les victimes du système que l'Etat va rechercher les relais nécessaires pour la mise en place de ses objectifs au service du capitalisme. C'est tout le sens de l'apparition des réserves constituant la garde nationale. Les « voisins vigilants » n'étaient que les prémices, les hors d'oeuvre dans la mise en place de la gigantesque toile d'araîgnée militaro-sécuritaire et la création récente d'un fichier concernant 60 millions de français n'est qu'une des facettes.



Il ya tout d'abord des réserves existantes et qui se développent à grande vitesse :
  • Une « réserve opérationnelle » ayant pour but d'être utile sur le terrain en intervenant auprès ou en remplacement des forces de l'ordre et des militaires. Ces forces réservistes issues de la société civile ou de l'armée ont une formation de 5 à 10 jours par an, voire 13 jours si ils sont amenés à remplir des missions en armes au sein de la population. Trois jours semblent donc suffire pour savoir quand, comment et pourquoi abattre un homme !
Plus de 300 réservistes ont été ainsi engagés par l'armée dans l' « Opération sentinelle » déployée après les attentats de janvier 2015.
Au total l'armée compte ainsi 28 000 réservistes et la gendarmerie également 28000. Soit un total de 56 000 réservistes dits de 1er niveau, qui ont signé un contrat d' « Engagement à Servir dans la Réserve » (ESR). Nous voilà rassurés d'autant que le gouvernement actuel veut porter à 80000 le nombre des volontaires dans ces deux institutions.
  • S'ajoute à cet effectif de 56000 volontaires une réserve dite de 2ème niveau, celle des 118 000 anciens militaires d'active soumis à l'obligation de servir durant les 5 années qui suivent leur départ de l'armée. Les anciens d'Algérie étant trop vieux, je suppose que le ministère doit piocher dans les anciens du Moyen-orient, du Mali ou de Centre Afrique.
Protégez vos enfants, certains de ces militaires sont friands de gâterie !
Tu seras réserviste mon fils !
Nous voilà donc hyper protégés avec un vivier de 174000 volontaires mobilisables à tout moment en cas de nécessité et auquel il faut encore rajouter une « Réserve citoyenne de l'armée » forte de plus de 4000 femmes et hommes volontaires bénévoles, de ceux qui comme le disaient Coluche sont « entrés dans la Police parce qu'on ne voulait pas d'eux aux PTT » ! (Humour)
Petite réjouissance : malgré le projet de dispositif législatif (déjà utilisé en Australie et au Canada) amenant à apporter une indemnisation aux employeurs pour retrouver un nouvel employé suite à l'engagement d'un volontaire salarié, nombre d'employeurs pêchent par non patriotisme en faisant la sourde oreille.
Mauvais français ! De plus, quelques syndicats, peu, rassurons-nous, jouent les trouble-fête en arguant du fait que tous ces reservistes, volontaires constituent un frein à l'embauche de personnels supplémentaires titulaires, voire de contractuels. Au passage, notons qu'il s'agit pour ces dignes représentants de la classe ouvrière de militer pour un vrai service public de la répression et non contre la militarisation de la société. C'est la défense du statut qu'elle que soit la fonction !
Vous avez dit collaboration de classe ?

Après cet inventaire des forces militaires censées nous protéger, on peut se demander : « Mais que fait la police ? ». Là aussi rassurons-nous car si actuellement il n'y a que 3000 réservistes, ex-policiers pour la plupart, l'Etat se fait fort de quadrupler ce chiffre pour arriver sous peu, avec ceux présentés ci-dessus, à un total de plus de 200 000 réservistes, autant d'hommes et de femmes issus en particulier de la société civile et « mobilisables sur les terrains désignés sensibles par le gouvernement ».
A votre avis, quels terrains ? Pour ma part je pense qu'on a toutes les chances de les voir aux abords et à l'assaut des usines occupées, face aux manifestations diverses surtout si un peu de radicalisation de la part des travailleurs change des « Tours de manège » auxquels voudraient nous habituer certains syndicats.

C'est ce vivier de plus de 200 000 personnes qui est appelée la « Garde Nationale », qui est justifiée par la lutte antiterroriste, donc pour notre sécurité, Messiurs, mesdames !
Ne cherchez surtout pas un rapport avec « la Garde nationale », celle du temps de la Commune de Paris qui devenue milice populaire et républicaine, appuya les communards dans la lutte contre les versaillais. Toutes ces forces répressives se complètent enfin d'une sous-branche, les « Réservistes Locaux à la Jeunesse et à la Citoyenneté » (RLJC), créées il y a une dizaine d'années, chargés de recrutement auprès des jeunes de quartier sensibles. Les effectifs ont quadruplé en 10 ans. Voilà enfin une perspective pour mettre fin au chômage et à la drogue dans les cités. Imaginez ces réservistes rencontrant des jeunes délinquants dans le quartier dont ils sont issus eux-mêmes : « Engage-toi mon frère et tu pourras légitimement porter une arme et un peu de shit ! Là, t'es has been mon frère avec ton flingue, t'faut une autorisation pour tirer, t'as pas l'uniforme mec ! ».
Mais les armées, les polices ne sont-elles pas simplement des institutions donnant la légitimité au premier tueur venu ? De ce fait, sachant la haine née de la précarité, de la misère, gageons qu'ils seront nombreux et efficaces les prochains volontaires des quartiers dits défavorisés !
Pour certains, cela va être la grande revanche !
Les attentats sont arrivés à point nommé pour que se mette en place, dans l'indifférence quasi générale, un dispositif sécuritaire délirant dans lequel, j'allais oublié, il faut rajouter le développement actuel exponentiel des « Sociétés militaires privées de sécurité » en passe d'obtenir des « Accords de coopération pour oeuvrer en liaison avec les forces de sécurité publique nationale et municipale », en particulier pour la protection d'évènements festifs. Vous avez bien lu, des forces privées aux côtés des forces publiques : cela ressemble fort au mercenariat utilisé déjà dans l'armée américaine. Il faudrait enfin comptabiliser les dizaines de milliers de vigiles manifestant également pour le port d'armes sur leurs lieux de travail.
Tu seras vigile mon fils !

Pour tous ceux qui s'inquiètent de cette situation, la jugeant anxiogène pour eux, leurs familles, et surtout pour leurs enfants, rassurons-nous. L'école les prépare déjà depuis quelques années à une éducation patriotique et sécuritaire. Les enfants vont pouvoir très vite se rendre sans crainte dans les lieux festifs, sans angoisse particulière car formatés pour avoir le « Bon réflexe », pour apprendre à repérer le déviant, dénoncer le sans-papiers. Il existe déjà dans les écoles tout un dispositif de militarisation énoncé comme suit par le ministère de l'Education dans une circulaire du 8 décembre 2015 sous le titre « Mise en oeuvre du programme des cadets (tes) de la sécurité civile au sein des établissements scolaires ». Hansi Brémond (1) analyse cette circulaire : « l'objectf est de créer des groupes d'élèves capables d'assurer la sécurité du collège. Le texte pose clairement l'objectif sécuritaire :  « Il y a aujourd'hui de la part des citoyens une grande exigence en termes de sécurité qui est légitime tant les risques et menaces sont multiples et variés... ».
Il y en aura toujours qui vont parler d'embrigadement, de moyen de compenser les terribles besoins des écoles, mais quand même, quelle émotion quand, de retour de sa 6ème B, votre gamine vous embrasse en chantant la Marseillaise (apprise le matin durant le cours de math) et vous annonce fièrement qu'il fait partie des « Cadets » de son collège, chargés de répondre aux situations de crise.
Comme le mot « Garde nationale », le choix du mot « Cadet » est révélateur d'une utilisation frauduleuse et manipulatrice. Le terme « Cadet » renvoit, comme le précise Hansi Brémond, à des grades militaires, à des organisations de jeunesses militaires ou paramilitaires.
Alors, vous voilà rassurés ? Il semble qu'il n'y ait plus un espace sans caméras, sans policiers, vigiles, réservistes citoyens, voisins vigilants etc.
C'est beau la citoyenneté ! Bientôt un « Grand peur et misère du troisème Reich » à la mode franchouillarde !
Nous voilà revenus au « Maréchal, nous voilà ! » entonné en choeur comme un appel intense au respect des valeurs de la République, à la citoyenneté et tant qu'on y est, à la laïcité, vous savez ce concept instituant le « Saint respect » dû aux religions.

Bientôt, les milices des élèves contrôlant, dénonçant et réprimant leurs camarades,
Bientôt, ces mêmes enfants devenus adultes travaillant comme flic, gendarme, membre d'une milice paramiliatire, d'une société privée de sécurité etc...
Qui a dit que le chômage était une fatalité ?
Tous ces jeunes nouveaux patriotes volontaires vont de plus en guise de remerciements par l'Etat :
  • Pouvoir obtenir une participation financière au financement deu permis de conduire
  • Bénéficer d'une participation aux frais de scolarité
  • Avoir une prime de fidélité et une valorisation des compétaences acquises.

Un dernier mot : le patronnat est ravi, les entreprises facilitant l'engagement des salariés vont obtenir des réductions d'impots !
En ont-ils encore à payer ?

Tu seras un réserviste mon fils !
Ce siècle est bien parti pour êre celui de la barbarie !


Michel Di Nocera, le 6 novembre 2016



(1) cf. article de Hansi Brémond dans « la Raison », revue de la FNLP, n° 614

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