lundi 16 juin 2014

6 juin : commémoration ou mystification ?

Par leur accumulation et par leur caractère unilatéral, les
> commémorations du soixantième anniversaire du Débarquement sont en
> train d'installer, dans la conscience collective des jeunes
> générations, une vision mythique, mais largement inexacte, concernant
> le rôle des Etats-Unis dans la victoire sur l'Allemagne nazie. L'image
> véhiculée par les innombrables reportages, interviews d'anciens
> combattants américains, films et documentaires sur le 6 juin, est celle
> d'un tournant décisif de la guerre. Or, tous les historiens vous le
> diront : le Reich n'a pas été vaincu sur les plages de Normandie mais
> bien dans les plaines de Russie.
>
> Rappelons les faits et, surtout, les chiffres.
>
> Quand les Américains et les Britanniques débarquent sur le continent,
> ils se trouvent face à 56 divisions allemandes, disséminées en France,
> en Belgique et aux Pays Bas. Au même moment, les soviétiques affrontent
> 193 divisions, sur un front qui s'étend de la Baltique aux Balkans. La
> veille du 6 juin, un tiers des soldats survivants de la Wehrmacht ont
> déjà enduré une blessure au combat. 11% ont été blessés deux fois ou
> plus. Ces éclopés constituent, aux côtés des contingents de gamins et
> de soldats très âgés, l'essentiel des troupes cantonnées dans les
> bunkers du mur de l'Atlantique. Les troupes fraîches, équipées des
> meilleurs blindés, de l'artillerie lourde et des restes de la
> Luftwaffe, se battent en Ukraine et en Biélorussie. Au plus fort de
> l'offensive en France et au Benelux, les Américains aligneront 94
> divisions, les Britanniques 31, les Français 14. Pendant ce temps, ce
> sont 491 divisions soviétiques qui sont engagées à l'Est.
>
> Mais surtout, au moment du débarquement allié en Normandie, l'Allemagne
> est déjà virtuellement vaincue. Sur 3,25 millions de soldats allemands
> tués ou disparus durant la guerre, 2 millions sont tombés entre juin
> 1941 (invasion de l'URSS) et le débarquement de juin 1944. Moins de
> 100.000 étaient tombés avant juin 41. Et sur les 1,2 millions de pertes
> allemandes après le 6 juin 44, les deux tiers se font encore sur le
> front de l'Est. La seule bataille de Stalingrad a éliminé (destruction
> ou capture) deux fois plus de divisions allemandes que l'ensemble des
> opérations menées à l'Ouest entre le débarquement et la capitulation.
> Au total, 85% des pertes militaires allemandes de la deuxième guerre
> mondiale sont dues à l'Armée Rouge (il en va différemment des pertes
> civiles allemandes : celles-ci sont, d'abord, le fait des
> exterminations opérées par les nazis eux-mêmes et, ensuite, le résultat
> des bombardements massifs de cibles civiles par la RAF et l'USAF).
>
> Le prix payé par les différentes nations est à l'avenant. Dans cette
> guerre, les Etats Unis ont perdu 400.000 soldats, marins et aviateurs
> et quelques 6.000 civils (essentiellement des hommes de la marine
> marchande). Les Soviétiques quant à eux ont subi, selon les sources, 9
> à 12 millions de pertes militaires et entre 17 et 20 millions de pertes
> civiles. On a calculé que 80% des hommes russes nés en 1923 n'ont pas
> survécu à la Deuxième Guerre Mondiale. De même, les pertes chinoises
> dans la lutte contre le Japon -- qui se chiffrent en millions -- sont
> infiniment plus élevées -- et infiniment moins connues -- que les pertes
> américaines.
>
> Ces macabres statistiques n'enlèvent bien évidemment rien au mérite
> individuel de chacun des soldats américains qui se sont battus sur les
> plages de Omaha Beach, sur les ponts de Hollande ou dans les forêts des
> Ardennes. Chaque GI de la Deuxième guerre mondiale mérite autant notre
> estime et notre admiration que chaque soldat russe, britannique,
> français, belge, yougoslave ou chinois. Par contre, s'agissant non plus
> des individus mais des nations, la contribution des Etats Unis à la
> victoire sur le nazisme est largement inférieure à celle que voudrait
> faire croire la mythologie du Jour J. Ce mythe, inculqué aux
> générations précédentes par la formidable machine de propagande que
> constituait l'industrie cinématographique américaine, se trouve
> revitalisée aujourd'hui, avec la complicité des gouvernements et des
> médias européens. Au moment ou l'US-Army s'embourbe dans le Vietnam
> irakien, on aura du mal à nous faire croire que ce serait le fait du
> hasard...
>
> Alors, bien que désormais les cours d'histoire de nos élèves se
> réduisent à l'acquisition de « compétences transversales », il serait
> peut-être bon, pour une fois, de leur faire « bêtement » mémoriser ces
> quelques savoirs élémentaires concernant la deuxième guerre mondiale :
>
> - C'est devant Moscou, durant l'hiver 41-42, que l'armée hitlérienne a
> été arrêtée pour la première fois.
>
> - C'est à Stalingrad, durant l'hiver 42-43, qu'elle a subi sa plus lourde défaite historique.
>
> - C'est à Koursk, en juillet 43, que le noyau dur de sa puissance de feu -- les
> divisions de Pantzers -- a été définitivement brisé (500.000 tués et
> 1000 chars détruits en dix jours de combat !).
>
> - Pendant deux années, Staline a appelé les anglo-américains à ouvrir un deuxième front. En vain.
>
> - Lorsqu'enfin l'Allemagne est vaincue, que les soviétiques
> foncent vers l'Oder, que la Résistance -- souvent communiste -- engage
> des révoltes insurrectionnelles un peu partout en Europe, la bannière
> étoilée débarque soudain en Normandie...
>
>
> Nico Hirtt
> Enseignant, écrivain
(auteur de "L'école prostituée", editions Labor).

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