vendredi 16 décembre 2016

Le pouvoir des petites mains

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Que serait l'État sans ces dizaines de milliers de « petites mains » qui dans toutes les administrations, du local au national, sont chargées d'exécuter les directives politiques, sans se soucier bien évidemment des conséquences de ces directives sur la vie des citoyens : une « petite main » dès lors qu'elle est au travail n'appartient plus à un citoyen mais à un fonctionnaire chargé d'exécuter les ordres, non de penser et encore moins de les remettre en cause.
Ken Loach dans son dernier film « Moi, Daniel Blake » montre comment, une hôtesse d'accueil, une conseillère au pôle emploi, un agent de sécurité, isolés chacun dans leur rôle, ne faisant qu'appliquer des règles, sans discernement, participent à la négation de l'individu, à son humiliation allant jusqu'à sa destruction.
En quoi ces « petites mains » sont-elles responsables de la mort de Daniel Blake ? J'ai entendu dire à la sortie du cinéma : « La faute est à ce système ultra libéral !». Oui, certes, mais un système ne peut fonctionner que si il y a des hommes pour le faire fonctionner !
Bienvenue au pays de Kafka !
Ainsi, dans tous les « Pôle emploi » de France et de Navarre, les « petites mains » ont 15 minutes pour évaluer les documents concernant tel ou tel chômeur et décider des suites à lui donner. Un quart d'heure pour faire quelques photocopies, rechercher sur un ordinateur les dernières informations relatives à l'application des dernières règles d'attribution des droits, cocher les cases d'évaluation de la fiche B-12 de mars 2008 modifiée en juin 2015, et enfin, remplir le formulaire PE-6. Au bout de cette fiche, cela peut être la décision de diminution ou de suppression des indemnités, pire, la radiation de l'immatriculé en question, Monsieur Dupont dans le civil.
La multiplicité des formulaires est là pour bien sûr palier l'absence de vraies relations. Fin de l'histoire !
Les quotas de radiation sont respectés par l'agence, qu'importe que la décision soit infondée, injuste pour Mr Dupont ! Et si celui-ci, à la réception du courrier lui annonçant les bonnes nouvelles, décide de mettre fin à ses jours, rassurons-nous personne n'est responsable. C'est le système !
Bien pratique cet anonymat qui exonère les « petites mains » qui font tourner la machine, parfois avec zèle. Certains diront : « Elles n'ont fait que leur travail ! » ! Bien sûr, comme le chef de gare qui aiguillait les trains vers Auschwitz !

Hier comme aujourd'hui, l'État a bien compris tout l'intérêt de l'application dans ses administrations du concept d' « Organisation Scientifique du Travail » pensé par Frederick Taylor : le salarié exécute le travail pensé par d'autres (verticalité), travail décomposé en tâches simples éliminant toute réflexion et perte de temps inutiles à la rentabilité (horizontalité).
De la même façon que le Taylorisme avait pour but la division du travail afin d'obtenir le rendement maximum dans le cadre d'une production de masse, l'organisation administrative de l'État consiste à parcelariser au maximum la réalisation de son projet global au service du capitalisme.
Ainsi chaque « petite main » n'est informée, formée qu'à l'exécution d'une toute petite partie du projet global. Elle n'est pas censée avoir connaissance de celui-ci, encore moins d'avoir conscience des enjeux et conséquences sur la vie des citoyens. Qu'adviendrait-il alors de l'État si les « petites mains » conscientes de la responsabilité que l'État leur fait porter se mettaient tout bonnement à refuser de jouer le jeu ?

Pour éviter ce risque il suffit à l'État de s'appuyer sur les tendances naturelles et profondes de l'homme, à savoir son égocentrisme, son désir de soumission allié au désir de soumettre autrui considéré plus fragile. A l'inverse le désir de solidarité n'est en rien inné chez l'homme. Plus les périodes de crises s'accentuent et plus l'individualisme fleurit sur un terrain privé de tout lien social, de désir de solidarité. Pour être solidaire des autres, encore faut-il se reconnaître dans l'autre ! Voir dans l'autre le même exploité que soi. C'est cette conscience là qui permet d'acquérir la conscience de l'appartenance à une classe, la conscience de classe et donc l'envie de lutter collectivement.
Il fut un temps où les bourses du travail, les premiers syndicats permettaient la formation des travailleurs, l'acquisition d'une vraie culture ouvrière.
Place aux générations sans culture du passé, sans repères d'avenir si ce n'est consommer toujours plus d'objets inutiles.
Le Système impose sa loi et la fait appliquer par ses « petites mains ».
Et si il arrive que celles-ci soient saisies de troubles de conscience, de compassion envers les victimes du système, elles n'auront qu'à donner de leur temps dans les organisations caritatives, faire oeuvre de charité à défaut de justice et d'égalité !
Comble de l'ironie, ces « petites mains » retrouveront aux « restaurants du coeur » les anonymes qu'elles ont participé à virer par le pôle emploi de leur commune !
Mais le plus terrible n'est-il pas de savoir que certaines de ces « petites mains » continueront dans ce temps de bénévolat à appliquer les décisions prises par d'autres. Comme au bureau, à nouveau ficher, sélectionner, trier, cocher ! Comme au bureau faire respecter les consignes et les critères élaborés par d'autres. Au bout, décider de l'octroi ou non de deux paquets de nouille et d'un pot de yaourt !

La vraie force de l'État est là : faire en sorte que des dizaines de milliers de femmes et d'hommes participent au grand projet d'aliénation, et faisant le déni de leur propre exploitation.
La force du système est bien là, « amener des millions de pantoufles, par leur silence, à légitimer les bruits de bottes ».

Alors la solution ?

Oui, je sais, ce billet est assez désabusé, c'est la faute à Kafka 

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