samedi 4 mai 2013

Austérité : les leçons de l’histoire edit


L'auteur

  • Urs Luterbacher Professeur de sciences politiques, Institut de Hautes Etudes Internationales et du Développement (Genève)

Quel est ce pays européen lourdement endetté dont le taux de chômage approchait des 30 % ? Quel est ce pays qui pratiquait alors une sévère politique d’austérité qui fera la fortune d'un parti extrémiste? Est-ce l’Espagne, le Portugal, l’Italie ou la Grèce? Non c'est en 1932 l’Allemagne du chancelier Heinrich Brünning, une Allemagne dont le PIB avait diminué de 25% depuis 1929.
Pour en revenir à l’époque actuelle, les élection italiennes ont amené le parti du comique et eurosceptique Beppe Grillo à atteindre 25,5 % des voix et la coalition de Silvio Berlusconi qui prétend aussi à l’euroscepticisme atteindre plus de 29%. C’est là pour ce dernier un tout petit peu moins que le parti démocrate pro-européen de Pier Luigi Bersani qui bénéficie d’une majorité à la chambre des représentants mais n’est pas en mesure de contrôler le Sénat dont l’accord est nécessaire en Italie pour entériner les projets de loi. Cela signifie que sur le papier en tout cas, la population semble avoir nettement voté contre l’Union Européenne et cela dans un pays considéré comme traditionnellement très europhile. Ne faut-il pas s’en étonner et se demander comment on en est arrivé là ? Ceci d’autant plus que d’autres mouvements du même genre pourraient à l’avenir obtenir des succès tout aussi éclatants dans d’autres pays européens. On peut évidemment penser ici à la France et à son Front National, à la Hongrie et à son parti d’extrême droite Jobbik, à la Grèce et à son Aube Dorée. Par ailleurs des partis anti-européens sont à l’œuvre aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne, en Espagne et en Belgique.
Il n’existe à mon avis qu’une explication valable à ces développements inquiétants, c’est la cure excessive d’austérité que l’Union Européenne et en particulier la zone euro sont en train de faire subir à tous leurs membres mais qui touche avant tout les Etats du Sud européen. Des répercussions politiques étaient inévitables et d’ailleurs prévisibles et c’est dans ce contexte que la comparaison avec les années trente du XXe siècle prend tout son sens. En effet, en Europe, contrairement aux Etats-Unis et au Japon, on a semble-t-il, et c’est un comble, oublié les leçons des années de dépression non seulement d’un point de vue économique mais ce qui est peut-être beaucoup plus grave d’un point de vue politique.
A quoi cela tient-il ? A trois grands mythes 1. La dette des pays était bien inférieure à cette époque qu’elle ne l’est aujourd’hui ce qui leur enlève toute marge de manœuvre par rapport aux années trente 2. Les politiques de stimulation de l’économie telles que celles mises en œuvre par exemple par Franklin Roosevelt n’ont eu que peu d’effets. 3. C’est l’hyperinflation des années 20 en Allemagne qui a amené les Nazis au pouvoir et non la grande dépression.
Or ces trois types d’affirmation sont historiquement totalement inexacts. Ainsi si la dette des Etats-Unis est relativement basse entre 1929 et 1939 variant entre 16 et 44% du PIB (elle atteindra finalement 121% en 1946), il n’en va pas de même des autres pays européens. Par exemple, les dettes française et britannique sont largement au-dessus de 100% du PIB. La dette britannique qui était de 162 % en 1930 va même culminer à 237% en 1946. Il est difficile d’évaluer la dette allemande en raison des difficultés que pose la période d’hyperinflation de 1923-24. Etant donné les problèmes qu’a eus l’Allemagne à cette époque à régler ses dettes de réparation et sa cessation de paiement en 1933, on peut penser que là aussi, l’endettement réel était très important. De plus, les politiques de stimulation qui ont été entreprises aux Etats-Unis et en Allemagne Nazie à l’époque ont eu des résultats spectaculaires : les Etats-Unis ont un taux de croissance de l’ordre de 9% entre 1933 et 1937, l’Allemagne de plus de 13% entre 1932 et 1938. Enfin, ce n’est pas l’hyperinflation de 1923-24 qui conduit les Nazis au pouvoir mais bien la grande dépression qui commence en 1929. En effet, durant toute la durée de l’hyperinflation il y a deux élections au niveau fédéral en Allemagne en 1924, l’une au milieu de la période de l’hyperinflation en mai et l’autre en décembre après qu’elle a été maitrisée. Or lors de la première élection le parti nazi recueille 6,5% des voix, proportion qui descend à 3% lors de celle de décembre. En 1928 lors du boom allemand de la fin des années 20, la proportion des voix nazies descend même à 2,6%. Le parti constitue donc à ce moment-là un mouvement non pas insignifiant mais certainement marginal. Or les choses changent très rapidement avec la dépression. Les voix du parti nazi montent tout d’un coup à 18,3% en 1930 et ensuite à 37,4% en 1932 devenant par là le premier en Allemagne largement à la suite de la politique d’austérité menée par le gouvernement Brünning.
En d’autres termes, ce sont bien les politiques d’austérité en période de récession et non les dettes élevées (celles-ci précèdent la dépression de plusieurs années) ou l’hyperinflation qui favorisent les mouvements populistes extrémistes. Bien sûr nous n’en sommes plus aux années 30 et les pays européens n’ont plus ni les moyens ni l’envie de se lancer dans une politique de conquêtes. En revanche si un but politique unit en ce moment tous les mouvements extrémistes c’est bien la volonté d’en finir avec l’euro voire avec toute la construction européenne. Puisqu’un parti anti-européen a maintenant été lancé même en Allemagne, pays qui a jusqu’ici profité de la politique d’austérité qu’il soutient à fond, mais qui est maintenant menacé à son tour par la récession, il se pourrait que l’un ou l’autre mouvement populiste puisse arriver au pouvoir. Ce serait alors probablement la fin de l’euro et peut-être ensuite aussi de la construction européenne qui ne supporterait pas des dévaluations compétitives entre ses membres. L’Europe aura alors semé les germes de sa propre destruction.

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