Le Sénat a refusé jeudi 19 juin de rétablir dans leur honneur les soldats fusillés pour l’exemple entre 1914 et 1918. Le secrétaire d’Etat chargé des Anciens combattants et de la Mémoire, Kader Arif, a annoncé la création d’une salle dédiée à ce sujet, qui sera inaugurée en novembre aux Invalides.
La mémoire, la dignité et l’histoire étaient convoquées jeudi 19 juin, dans la salle des séances du Sénat. Sous les statues de Colbert, Saint-Louis ou Charlemagne, les élus ont longuement débattu autour d’un thème propice aux clivages entre la droite et la gauche de l’hémicycle. A savoir le rétablissement dans leur honneur des soldats fusillés pour l’exemple entre 1914 et 1918. Le sujet tombait à pic, en cette journée du Sénat dédiée à la Grande Guerre. Une date symbolique, cent ans après le début du conflit, qui n’a pas porté chance à Guy Fischer, sénateur PCF du Rhône, à l’initiative de cette proposition de loi déposée par le groupe Communiste, citoyen et républicain (CRC). Au moment de comptabiliser les votes déposés dans les urnes vertes, le non l’a largement emporté devant cette loi déclarative, inspirée par l’exemple britannique de 2006.
Seuls les groupes communiste et écologiste ont voté pour. Ils ont rappelé qu’entre 1914 et 1918, plus de 600 soldats français furent fusillés pour l’exemple. Les fautes reprochées ? Des prétextes aussi divers que sentinelle endormie, insulte à officier, battue en retraite sans autorisation, mutinerie, désertion… Les deux tiers d’entre eux furent exécutés durant les premiers mois du conflit, après des jugements sommaires et expéditifs, réalisés au sein de conseils de guerre spéciaux. Le droit de défense était inexistant, celui de grâce présidentielle suspendu et les mesures de révision impossibles. « Les principales dérives ont eu lieu à ce moment. En 1915, ces conseils de guerre exceptionnels furent supprimés, ce qui était déjà comme une forme d’aveu… » analyse Michelle Demessine.
La sénatrice PCF du Nord, qui rapportait la loi au Sénat, a demandé que ces soldats fusillés pour manquement à la discipline militaire, « trop longtemps stigmatisés et mis au ban de la mémoire », soient reconnus comme victimes du conflit comme les autres et réhabilites collectivement. « Il faut que la France sorte de ses réticences. Il ne s’agissait pas de mutins, de lâches ou de traitres, mais d’une chaire à canon qui, à la limite de ses forces, s’est révoltée devant l’horreur de la guerre » a insisté Guy Fischer.
Leïla Aïchi, du groupe écologiste, a enfoncé le clou. « Il ne suffit pas de se sacrifier pour la patrie pour être un héros. Les mutins qui ont bravé l’autorité militaire absurde étaient eux aussi des héros. Leur image est déjà réhabilitée dans la conscience collective. Il faut maintenant légiférer. Nous ne pouvons pas souscrire au principe de discrimination des morts » s’est-elle émue.
Une déclaration qui a soulevé les protestations de Roger Karoutchi, sénateur UMP et agrégé d’histoire, qui a justifié les mesures extraordinaires prises par l’armée : « Souvenons-nous ! Les forces allemandes avaient enfoncé le front. Les chefs militaires ont pris des mesures pour sauver la France, la patrie, la République ! On ne peut pas reprocher à l’armée d’avoir fait en sorte que le front tienne ! » Au sujet d’erreurs potentiellement commises, le sénateur ajouté : « Lorsque réellement il n’y avait pas de motif, lorsque c’était absurde, alors oui, il faut réhabiliter, mais au cas par cas. Collectivement, c’est impossible. »
Alain Néri, du groupe socialiste, a lui aussi débattu dans ce sens : « Une réhabilitation collective serait injuste pour ceux qui ne la méritent pas ». Michel Billout, du groupe CRC, lui a répondu : « Au cas par cas, c’est impossible cent ans après ». Avant d’ajouter que tous les fusillés pour l’exemple méritent la réhabilitation : « Le refus de guerre est une conviction respectable. La Grande Guerre, c’était un déchaînement de nationalismes. Les intérêts en jeu n’étaient pas ceux des soldats. »
Dans l’après-guerre, suite à la mobilisation des familles, une quarantaine de soldats fusillés pour l’exemple seulement furent réhabilités. Les travaux d’historiens, les initiatives d’élus locaux, les films, comme le très célèbre Les Sentiers de la Gloire de Stanley Kubrick, ont lentement rendu populaire cette question. Christian Namy, sénateur UDI-UC, a appelé à s’abstenir : « L’enfer des tranchées a enseveli toute une génération d’hommes. C’était une boucherie humaine sans nom. La justice militaire était intransigeante et les circonstances terribles. La question de Guy Fischer est plus que légitime. Pendant trop longtemps, le sceau de la honte a marqué les fusillés pour l’exemple. Lorsque l’on atteint les limites de l’intolérable, on devient tout simplement incapable de se battre, sans pour autant trahir son pays. Je suis tenté d’adhérer à cette proposition de loi, mais pas pour tous les soldats sans distinction. »
Kader Arif, secrétaire d’Etat chargé des Anciens combattants et de la Mémoire présent au débat, a appelé à repousser cette loi. Mais il a rappelé son attachement personnel au sujet et a annoncé l’inauguration le 7 novembre prochain d’une salle dédiée à cette question au Musée de l’armée, situé aux Invalides, conformément au souhait du président de la République François Hollande. « Dès l'entrée dans les salles de la Grande Guerre, l'écran d'accueil mentionnera désormais, aux côtés des 1,4 million de soldats morts pour la France, les soldats fusillés. C'est là une véritable reconnaissance » a-t-il défendu. Des photographies commentées des conseils de guerre et les ordres d’exécution feront partie de la visite. « Le musée de l'Armée disposera aussi de la base de données de tous les fusillés. Ainsi, l'histoire des fusillés sera réintégrée dans celle de la Première Guerre mondiale, et donc dans la mémoire collective de cette guerre » a-t-il ajouté. Il a également précisé que selon les toutes dernières recherches, le nombre de fusillés pour l’exemple entre 1914 et 1918 était désormais estimé à 918 victimes.
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