Les élites politiques françaises qui font des courbettes au Qatar n'ont pas réalisé que c'était bien ce petit Émirat qui mettait la main sur les principales organisations de l'Islam de France.
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«Allo, monsieur l’Ambassadeur, comment allez vous?». Attablé dans un café Place de la République en janvier 2012, Mohamed Bechari, l’insubmersible patron de la Fédération Nationale des Musulmans de France (FNMF), une des principales organisations islamiques du pays, appelle l’Ambassadeur du Qatar à Paris, Mohamed Jaham Al Kuwari. Les deux hommes s’entretiennent en arabe, depuis plusieurs années ils se connaissent fort bien et s’apprécient. Après avoir été proche successivement du Royaume marocain, puis vers Doha. Ainsi le généreux Qatar a versé à Mohamed Bechari une aide de 200 000 euros, comme il le reconnaît, pour agrandir le centre d’enseignement islamique qu’il anime à Lille. Capitale du Nord où il est au mieux avec Martine Aubry. Les cadeaux ne sont-ils pas les cailloux du Petit Poucet qui tracent le chemin de l’amitié ? Depuis, le patron de la FNMF est devenu l’une des clés, un passe-partout, qui facilite l’accès des qataris à nos banlieues. Ce n'est pas la seule.
Les Qatariens en effet s’intéressent de près aux communautés étrangères en France, formidable porte d’entrée vers les pays du Maghreb, où l’Émir veut étendre son influence. Ces dernières années, on assiste à une vaste offensive de charme de l’Émirat vers les quartiers périphériques. Plus que le fonds de 50 millions d’euros pour les quartiers, qui a provoqué en 2012 une vive polémique, l’organisation de l’Islam français est le véritable enjeu de la diplomatie agressive du Qatar.
Un peu pressés sans doute, et rêveurs, ces qataris trop nourris aux contes d’Orient, en pleine lune de miel avec Nicolas Sarkozy, croient être en mesure de « refonder » l’Islam de France. Nous sommes au début de l’année 2009. Quelques proches du chef de l'État - Boris Billon, conseiller diplomatique, et Henri Guaino, alors l’artisan de la moribonde Union pour la Méditerranée – soutiennent à fond le Qatar dans sa volonté de créer un Conseil représentatif des Institutions Musulmanes, un CRIM qui serait, versus islam, ce qu’est le CRIF pour la religion juive. À la manœuvre, se trouve une jeune et charmante sous-préfète, Malika Benlarbi, une ancienne du cabinet de Brice Hortefeux à l’Intérieur, et qui s’entend fort bien avec l’ambassadeur du Qatar. Gagnée par le syndrome Rachida, elle a même l’ambition d’être nommée secrétaire d’État par Sarkozy ! Des diners sont organisés par les Qataris, où ils invitent aussi bien l’universitaire Mohamed Harkoun que Nacer Kettane, fondateur de Radio Beur. Préparation d’artillerie ? Déjà en octobre 2008, des "Assises de l’enseignement de la langue et de la culture arabe" se sont tenues à l’Assemblée nationale, parrainées par le Qatar. Mais, pour donner du poids à cet acte fondateur, avec la présence du ministre de l’Éducation, Xavier Darcourt. La pompe amorcée, dans la foulée en mars 2009, doit donc avoir lieu le premier rassemblement de ce CRIM prévu parfait. La soirée solennelle sera précédée d’un concert de l’Orchestre National du Qatar. "Le Point" annonce même la venue de Nicolas et Carla Sarkozy et, peut-être même celle de Michelle Obama, à qui une invitation a été adressée… Patatras, l’opposition de Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur et des Cultes, et le peu d’enthousiasme de Nicolas Sarkozy lui-même, qui avait créé en 2002 le Conseil français du culte musulman, ont, in extremis, raison du projet. Le concert a bien lieu au théâtre des Champs-Élysées, devant un parterre de personnalités. On n’a pas joué de requiem, il s’agissait pourtant de l’enterrement du CRIM. Depuis, auréolée de son savoir faire, la sous-préfète se console au sein groupe l’Oréal. Parce qu’elle le vaut bien.
Après l’offensive parfaite mais avortée, terminée en mascarade, les prosélytes wahhabites de Doha jouent plus finement. Dans leur volonté d’imposer leurs voix dans les chœurs de la communauté musulmane française, les Qataris sont, tête après tête, parvenus à rallier de façon spectaculaire les principaux responsables du plus grand mouvement islamiste en France : l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF). Cette union qui doit faire force est, depuis sa création au début des années 80, très proche des Frères Musulmans et elle sera le véritable laboratoire de l'Islam en France. À ce titre, l’UOIF a toujours été l’interlocuteur obligé du ministère de l'Intérieur...et des Cultes. Dans son Leggo, construit avec les différentes chapelles de l’islam national, l’Intérieur a fait de cette organisation la pièce maîtresse du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), la pyramide suprême.
Chaque année, agglutinés comme lors du hadj à La Mecque, des dizaines de milliers de musulmans se retrouvent sous l'immense hall du Parc des expositions du Bourget. L'heure de la grand messe islamique organisée… par l'UOIF. Voilées, tout en blanc, les femmes s'installent d'un coté de l'assemblée. Pour la plupart barbus, les hommes sont strictement séparés de leurs compagnes. Dans le gigantesque espace des stands sont dressés, chacun défendant sa cause, et défilent les images des révoltes arabes et musulmanes, de la Palestine à la Bosnie et à la Tunisie aux printemps arabes. Un inconditionnel des Frères Musulmans, le prédicateur de la chaine de télévision qatarie Al-Jazira, Youssef Al Qaradhaoui -l’un des fils rouges de ce livre- fréquente les rassemblements de l'UOIF depuis toujours. En 1994 et sans que nul s'en offusque, le Cheikh officiait déjà au Bourget lors d'une « rencontre avec les universitaires français ». Thème central discuté avec ce distributeur de fatwas : « la laïcité ». Bruno Étienne, grand franc-maçon aujourd'hui décédé ou François Burgat, autre icône de la spécialité étaient là comme faire-valoir de l’imam égyptien aux 7 femmes. Inutile de préciser que la star des Frères Musulmans, et vedette de la télé qatarie, passait au hachoir la laïcité à la française. Protégé par l’émir, le cheikh bénisseur de jihadistes (quand ils sont homologués par le Qatar) ne fut jamais inquiété lors de ses séjours en France. Jusqu’au stop majeur de la version 2012 du rassemblement du Bourget. Nous sommes en campagne pour la présidentielle et Nicolas Sarkozy, conseillé par Patrick Buisson, a parié sur l’islamophobie pour se faire réélire. Faire mine de découvrir la présence de Qaradawi comme gourou en chef du meeting peut être payant dans l’urne. Derechef l’imam est interdit d’entrée sur le territoire.
Si l'UOIF se veut le moteur puissant et neuf de l’islam en France, une grande partie des musulmans français se soumet depuis un quart de siècle, avant donc l’instrument béni du Qatar, à l'influence des Frères Musulmans. Par une étrange tradition, les imams de l’hexagone sont nommés ou par l’Algérie ou par le Maroc, qui ne maîtrisent qu'à la marge, via leurs amicales et associations, la vie réelle des mosquées. Les vrais maîtres du jeu sont donc les bailleurs de fonds qui, tels le coucou dans un nid qu’il n’a pas construit, viennent prendre le pouvoir dans ces lieux de culte. Depuis trente ans les guides sont entre les mains des pétromonarchies du Golfe, et avant le boum qatari, l'Arabie Saoudite a bien labouré le champ du wahhabisme. Ryad a arrosé de billets vert islam le courant le plus conservateur, sans que personne, ni à gauche ni à droite, ne lève les yeux au ciel.
Fondée en 1962 à La Mecque par le prince héritier Fayçal pour lutter contre les régimes pro-nassériens (nationalistes et laïcs), la Ligue Islamique Mondiale, prétend "combattre l'agression planétaire qui corrompt la vie des musulmans". Sachant que ce système de propagation de la foi existe, en France, le Conseil national des mosquées ou encore le Secours islamique rameutent les généreux bienfaiteurs vers leurs établissements. Le 10 octobre 1992, l'inauguration de l'université islamique de la Nièvre se fait en fanfare. Deux cents invités ont été « castés ». Le directeur du grand séminaire de Strasbourg côtoie Abdallah Turki, théologien de l'Université islamique de Riyad et longtemps ministre du Culte saoudien. Les Frères Musulmans, qui assurent globalement l'enseignement de l’islam dans l’hexagone, dénoncent dans l'exposé de leurs statuts, théoriquement tenus secrets, le scandale d'un enseignement français, celui des Lumières », fondé "sur la raison" et "sur la nature". Ils condamnent la danse, le plongeon dans la piscine ou les cours d'éducation sexuelle pour les élèves musulmanes. Le conseil scientifique de cette université nivernaise réunit les principaux exégètes des écrits de Hassan El Banna et de Said Qotb, les guides historiques de l'organisation des Frères Musulmans, et qui sont la véritable matrice de l'Islam français.
Il est clair que relations interétatiques, amour ou conflit, lutte d’influence, priment sur la gestion de la deuxième religion de France. Qui est tout sauf pragmatique. Ainsi les islamistes qui tiennent l'UOIF sont jugés d'autant plus fréquentables -par les socialistes français- qu'ils sont défendus par l'allié constant de la France durant la guerre du Golfe en 1991, l'Arabie Saoudite. Et, au sein de nos « quartiers », le secrétaire général de l'organisation, Abdallah Ben Mansour, fit preuve d'activisme bien opportun contre l’Irak de Saddam Hussein.
Comme le hamster dans sa cage, l’histoire tourne en rond. Et vingt ans plus tard, avec la mainmise du Qatar sur leur religion, les malheureux français musulmans sont à nouveau utilisés comme des boules de billard. Le Qatar est aussi un allié de l’occident; à Paris le pouvoir, gauche ou droite, est tenu de lui faire confiance, tout au moins de le ménager. Peu à peu, dans le pilotage des Frères Musulmans, Doha s’est substitué à Ryad. Au moins trois raisons à cela. D’abord, la méfiance subite du Royaume saoudien, après les attentats contre les tours de Manhattan en septembre 2001. Méfiance toute nouvelle face à une mouvance islamiste incontrôlable qui a armé indirectement les auteurs du crime. Ensuite, la formidable influence de la chaine Al-Jazzera sur l'ensemble des musulmans de la planète, de la Grande-Bretagne à la France, à la Bosnie, à l’Asie et bientôt aux États-Unis où une version made in USA va s’ouvrir. Nous avons vu comment cette force de frappe popularise le petit émirat du Qatar, assène sa vision de l’histoire et les principes religieux du wahhabisme, dans sa lecture réactionnaire du Coran. Enfin, depuis deux ans le nouvel horizon que représente le « printemps arabe », usurpé à des peuples opprimés et qui voulaient se libérer. Ce « printemps » a été largement inspiré par les propagandistes de Doha qui proposent un horizon autrement liberticide que la seule défense du port du voile à l’école. L’intelligence du Qatar, il en a à revendre, est de récupérer l'idéologie des Frères Musulmans et de la rendre comestible pour les amis occidentaux. Le discours est rodé, l’islamisme des « frérots » peut se dissoudre dans les valeurs démocratiques et pluralistes. On a trouvé, et on trouvera encore, des ministres de la République pour reprendre le refrain de ce cantique.
Pendant que nos laïcs applaudissent la prospérité de cet islam si sage, au Qatar on bosse, on pousse les pions. Ainsi Ahmed Jaballah, un ancien étudiant du Mouvement de la tendance Islamique (MTI) tunisien, ancêtre du parti Ennhada, prend la tète de l’UOIF en Mai 2011. On le voit souvent à Tunis, où il rêve de devenir ministre des Affaires étrangères. On le voit aussi à Doha, où il a son rond de serviette. Normal, il fait partie du Conseil européen de la Fatwa, présidé par l’imam Qarhadawi. Dans son offensive, le Qatar utilise des méthodes copiées des Saoudiens, une recette simple qui ne réclame que d’avoir de bonnes recettes (en dollars) : on finance à tout va de multiples « centres culturels islamiques ». Même la Mosquée de Paris, fief algérien, a reçu deux millions d’euros de cette divine manne. En 2009, la fondation « Qatar Charity » finance, à hauteur encore de deux millions d’euros puisque ça semble être le prix du ticket d’entrée, la construction d’une mosquée à Mulhouse. Le samedi 24 janvier 2009, l’Association des Musulmans d’Alsace (AMAL) organise une cérémonie pour la pose la première pierre de cette maison de Dieu baptisée « An Nour ». Le projet est particulièrement grandiose : 4 600 mètres carrés sur deux niveaux, une école et des commerces, une capacité d’accueil de 2 000 fidèles. Coût total : sept millions d’euros. La même année, le même micro-pays a financé, pour des montants similaires, un centre culturel à Reims. Autant de dons consentis à des associations culturelles locales, qui s’inscrivent dans la mouvance de l’UOIF.
Face à ces investissements dans les mosquées qui, sauf en Alsace puisque le Concordat ne s’applique pas, pourraient contrevenir à la loi de 1905, les responsables politiques français sont plus ou moins obligés de regarder ailleurs. Conséquence du colonialisme, immigration : les musulmans français, qui se comptent en millions, doivent-ils être privés de lieux de cultes ? Changer la loi ? Impossible sans déclencher une forme de guerre civile. Alors, il faut bien fermer les yeux. Lorsque les fonds ont été expédiés de Doha, vers les associations de Reims et de Mulhouse, l’ambassadeur du Qatar à Paris, Mohamed Jaham Al Kuwari, a pris la peine de téléphoner à Michèle Alliot-Marie, alors place Beauvau, pour avertir du don. Et les conseillers de MAM ne virent aucun motif à s’opposer à cette soudaine générosité. Seule surprise le versement des fonds, confie un fonctionnaire du Bureau des Cultes, avait précédé le coup de fil de l’ambassadeur. Pas grave, en France l’excellence est chez lui.
Le retour de la gauche au pouvoir, en 2012, n’a rien changé à ce libre arbitre du Qatar : Doha supplée toujours le ministère de l’Intérieur avec la bénédiction de l’Elysée. Manuel Valls, le nouveau ministre de l’Intérieur est dans les petits papiers des qataris. Et inversement. Guidé par cette méfiance propre aux natifs des Mauges, le Premier ministre Jean Marc Ayrault, a un jour prononcé une phrase qui devrait être clouée au fronton de Matignon « avant de me rendre à Doha, j’y réfléchirai à deux fois ». Est-ce l’influence du Beurre Lu, dans sa belle ville de Nantes ses proches n’ont pas montré la même prudence.
Ainsi, toujours par le canal de la Qatar Charity Fondation, un homme d’affaires qatari a aidé, début 2012, l'association islamique de l'Ouest de la France, proche là encore de l'UOIF, à financer, la construction de la mosquée As-Salam de Nantes. Du bel ouvrage avec un minaret de 17 mètres de haut et un dôme qui change de couleur au gré de la lumière. Le 17 Novembre 2012, le maire de la ville, celui qui remplace Jean-Marc Ayrault, est présent pour l’inauguration de ce temple qatari. Le président de l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), Ahmed Jaballah, était bien sûr présent, ainsi que le consul du Qatar, l’ambassadeur étant sans doute enrhumé.
Même si c’est son obsession philosophale, le Qatar n’investit pas que dans la pierre, il investit aussi dans les hommes. Depuis la tour de contrôle de l’islam wahhabite, versus Doha, de pieux experts ciblent les prédicateurs charismatiques. Dont, en premier chef Tarik Ramadan, qu’il s’agit d’enrôler comme on le fait d’un footballeur brésilien pour le compte du PSG. Ainsi « Tarik » était l'invité vedette du dernier rassemblement de l'UOIF, au Bourget en juin 2012. Populaire en Angleterre et en France, ce BHL des banlieues connaît à nouveau un certain engouement, un retour d’affection, grâce à son dernier ouvrage, « L’islam et le réveil arabe ». Ces trois dernières années, cet habile prédicateur disposait d’une chaire d’enseignement à Oxford, financée par le Qatar. Comme Doha n’est pas en faillite, les responsables d’Oxford se sont donc lassés de frère Tarik ?
Loin des brumes Tarik Ramadan enseigne désormais à la Faculté des études islamiques du Qatar. Et préside, à Doha, le Centre de recherches pour la législation et l’éthique (CILE), c’est dire si le chantier est vaste. Au jour sacré de son intronisation, le 15 janvier 2012, des stars musulmanes étaient présentes : le fameux Qaradawi, bien sûr, puisque Ramadan pourrait être son héritier, mais aussi l’inoxydable chanteur Cat Stevens, converti à l’Islam, Mustafa Ceric, le mufti de Bosnie-Herzégovine, qui vient lui-même d’inaugurer le lancement du premier département de théologie islamique d’Allemagne.
Un sacré Tartuffe, Tarik ? En tout cas un virtuose du double, voire du triple discours. Sur un plateau il prône l’ouverture et la tolérance, dans le confessionnal c’est tout autre chose et décrète : « Un bon musulman, de sexe mâle, ne peut fréquenter une piscine ouverte aux femmes ». Cette histoire de piscines priées de se plier aux saints préceptes est récurrente. Des histoires d’eau qui opposent des radicaux, aussi bien musulmans que juifs, aux maires et qui deviennent une scie de l’actualité sur les antennes des télés de l’immédiat. On voit à l’écran ces pauvres hommes, en général des patrons de communes du Nord de la France, pris d’assaut par des associations pour imposer un « jour des femmes » à la piscine municipale.
Il est vraiment cocasse, de voir Frère Tarik, lui-même peu hostile, et c’est tant mieux, à enseigner de jeunes étudiantes, se faire le maître nageur de ces piscines mâles ou femelles. Dans une conférence – dont le titre fait froid dans le dos, « Les grands péchés » – délivrée dans une mosquée de la Réunion, frère Tarik nous confirme que se baigner avec des sirènes est le meilleur moyen de les entendre et de paver son chemin vers l’enfer. Frère Tarik a bien le droit de préférer la nage avec des archevêques plutôt que des naïades. Le problème survient quand il tente d’imposer aux autres sa façon de nager, et de culpabiliser un musulman tout aussi bon fidèle que lui, de se tremper en unisexe.
L’argumentaire de Tarik Ramadan révèle du double langage. Une pratique qui n’a rien d’original puisque c’est un art aussi vieux que tous les clergés de l’histoire. Il y a les propos que l’on tient à la télé. Il y a ceux qu’on lâche à la mosquée, à l’église, au temple ou à la synagogue. Dans son sermon sur « Les Grands péchés », on voit bien où notre imam itinérant veut en venir. Le premier « Grand péché », c’est de « penser, de croire en autre chose qu’en Dieu ». Ici, le discours est clair : « libérez-vous de tout pouvoir humain ». Seul Dieu est Dieu et son seul amour mérite obéissance. Ce dogme de l’obéissance à Dieu, et à rien d’autre, entraîne forcément un coup de frein à l’intégration quand on vit dans un monde profane, pas forcément halal.
Le tordu de Tarik on le mesure, comme en laboratoire, en observant qu’après être tombé sur son sermon sur les « Grands péchés », on l’écoute dans l’émission de Frédéric Taddeï sur FR3 « Ce soir ou Jamais ». La Charia, prétend-il, pourrait subir un moratoire, un rabotage, sans que cela ne fasse de révolution… Subitement tout devient chez lui doux, œcuménique, consensuel. Son islam est fait de tolérance. Avec les « Grands péchés », c’est une toute autre musique. Ramadan devient inquisiteur, met des culottes aux statues et des burqas de bain à nos compagnes. Constatons que, très souvent opposé à Caroline Fourest, l’islamophobe officielle des télévisions, Ramadan et sa casaque Qatar, joue alors sur du velours. L’obsédée d’Allah le rend alors rationnel et sympathique.
Dans le sillage des grandes organisations islamiques, d’obscures associations organisent des Salons musulmans où se mêlent Frères Musulmans et salafistes. Un exemple au Salon musulman du Val d’Oise, qui s’est tenu en octobre 2012. Se croisent alors un des imams les plus fondamentalistes de France, celui de la Mosquée de Pontoise et, encore lui, Tarik Ramadan prêcheur alternatif entre Coran et Lumières ou encore le président de l’UOIF, Ahmed Jaballah. Quant au Salon international du monde musulman, toujours sous la discrète onction de Doha, il s’est tenu pour la deuxième fois au début de Novembre 2012. Il était initié par une petite structure associative, l’Union des musulmans de France (UMF). Les ouvrages offerts à la sagacité du public brillaient par leur modernité. Exemple puisé dans l’un de ces livres : « Au milieu du XIXe siècle, lorsque Charles Darwin publia son livre « Les origines des espèces », certains milieux matérialistes et athées, poussés par le zèle pour l'évolution biologique ou aveuglés au nom de ce courant philosophique, croyaient pouvoir tout expliquer par la théorie de l'évolution. Or, au début du XXe siècle, de nouvelles recherches ont établi les nombreuses failles de cette théorie. La théorie de l’évolution en est réduite à ne plus évoluer. » On peut, comme les auteurs de ce livre, militer pour la libre expression tout en constatant que le penseur qui a écrit cette phrase est à mettre dans la même case -vide- que les Évangélistes si chers au regretté George Bush…
Tareq Ramadhan n’est pas le seul Islamologue sur lequel les Qataris peuvent compter. Mathieu Guidère, nouveau venu sur la scène médiatique, de son vrai nom Moaz Kouider, par ailleurs, fut longtemps précepteur du propre fils du souverain à l’École Saint-Cyr, l’académie chargée de former les officiers. Dans son dernier livre, cet intellectuel et universitaire écrit en effet : "Ceux qui ont prévu la fin de l'islamisme en pensant seulement à l'Iran se sont trompés (...) Car l'islamisme ne fait que renaître de ses cendres à chaque crise de pouvoir dans les pays musulmans, et cela depuis plus de quatorze siècles. Comme un retour cyclique à la source de la civilisation islamique". L'islamisme "qui ne fait que commencer" ne peut être, selon lui, que bénéfique. " Les islamistes ont toujours été tenus soigneusement à l'écart du pouvoir par les forces de l'intérieur comme par celles de l'extérieur, faisant fi d'une histoire millénaire des pays concernés et d'une revendication identitaire sans cesse grandissante".
Le président du collectif des Musulmans de France, Nabil Ennasri, est une autre illustration de ces relais d'opinion que le Qatar possède désormais chez les intellectuels musulmans. Et qui sont comme ces pylônes qui permettent à nos téléphones mobiles de fonctionner. Un pied dans les organisations islamiques, un autre dans les réseaux sociaux ou sur les sites Internet, ce proche de Tarik Ramadan polémique aussi sur tweeter. Ennasri est un religieux global, moderne, qui se qualifie de « quatarologue » sur son blog du Monde. Un tweet et il vous redresse la pensée faussée, quand un jeune de banlieue doute de l’infaillibilité du pape de Doha. Un échantillon, ce dialogue entre un internaute anonyme, "Pierre 1er", et notre propagandiste, qui n’hésite pas à mouiller le maillot pour dénoncer « les franchouillards » qui montrent une certaine tiédeur face au Qatar.
- Ennasri : "Tournoi ATP de Doha et stage du PSG. Le Qatar lorgne sur les JO et la F1. Le but : devenir capitale mondiale du sport. Ils mettront les moyens.
- Pierre 1er : « Z' auraient pu créer une université, avec leur pognon, ou un centre de recherche scientifique, ces brêles »!
- Ennasri . « Moins brêles que les franchouillards. Renseignez-vous un peu c'est le pays arabe qui dépense presque le plus dans le recherche et le développement ».
À mi-chemin entre le Maghreb et la France et au croisement de l'islam, de la politique et des médias, des réseaux se créent. Le Collectif des Musulmans de France est une de ces passerelles entre la Tunisie et les communautés musulmanes françaises. Ainsi le consul général de Tunisie à Paris, Karim Azouz, nommé par le gouvernement islamiste, fréquente assidûment l'association présidée par Nabil Ennasri. Allo, Doha ?
Naturellement, l'apparition des frères ennemis qataris sur leur historique terrain de jeu ne plaît guère au royaume saoudien. Panique à Ryad ! Que peut donc chercher Doha dans les banlieues françaises ? Pourquoi cet activisme ? Début janvier 2012, le Roi Fahd dépêche à Paris Salah Bin Abdelaziz Al Cheikh, un théologien respecté qui est aussi le ministre des Affaires religieuses. La mission de cet OSS, évaluer la force de persuasion du Qatar auprès des imams français. Le 9 janvier, il est reçu à la Grande Mosquée de Paris, en fief algérien, mais sous perfusion financière saoudienne. En présence d’une centaine d’invités, un repas est donné en son honneur, agapes où l’on devine la présence de représentants du DRS (services spéciaux algériens). Le lendemain de sa visite chez le recteur de la mosquée de Paris, le ministre saoudien donne une réception très hallal au Pavillon Dauphine. Objectif, rameuter le ban et l'arrière ban de ses affidés dans les mosquées françaises. Attention, Ryad se réveille.
Au lecteur qui s’étonne que nous fassions peu de cas du tapageur plan d’aide aux banlieues lancé par l’ambassadeur du Qatar à Paris, nous devons des explications. L’enquête démontre que ce plan, lancé en l’air comme une assiette de tir aux pigeons, n’a jamais eu de consistance autre que verbale. Elle reste, et restera hélas, un rêve pour quelques malheureux gosses convaincus que Doha va leur offrir assez d’euros pour ouvrir une pizzeria à Saint Denis.
En novembre 2011, un groupe d’élus de la diversité est invité par l’Émir en personne. Depuis plusieurs années, ce genre de voyages est organisé depuis plusieurs années par les États-Unis. Bien avant le Qatar, l’Oncle Sam s’est intéressé de près aux communautés musulmanes en France. Après le choc de l’attentat contre les tours de Manhattan le 11 septembre 2001, les États Unis, véritable tuteur du petit Émirat, cherche à comprendre les raisons profondes de l'hostilité des musulmans à leur égard. Leurs diplomates se penchent sur le sort des banlieues françaises. La stratégie qu’ils ont alors mise à l’œuvre est parfaitement décrite dans les câbles diplomatiques américains révélés par Wikileaks. Dès 2003, apprend-on, « l’ambassade à Paris ainsi que ses sept missions consulaires ont commencé à nouer depuis plusieurs années, dès 2003, des relations systématiques avec les populations arabes et musulmanes françaises en ciblant des quartiers et des institutions connus pour abriter d’importantes populations étrangères ». Depuis, l’ambassade a constitué une large banque de données sur les musulmans français. Pourquoi un tel intérêt ? La France, cela n’a pas échappé au département d’État, possède la population musulmane la plus importante d’Europe. Hélas, l’approche des banlieues par la classe politique française, résument ces experts venus d’Outre-Atlantique, est porteuse d’un « aveuglement officiel » à l’égard de toutes les différences raciales ou ethniques. Le constat est sévère. D’où les craintes des Américains : « Les jeunes des minorités désavantagées restent une cible évidente pour le recrutement extrémiste ».
Ces élus de banlieue vont faire l'objet de toutes les attentions. Un des participants, Mohamed Hakkou, conseiller municipal à Gonesse, en fait un récit émerveillé. À lire ce carnet de voyage qu’il publie sur Internet le 3 décembre 2011, l'éblouissement est total et le mirage parfait.
« Samedi 12 novembre.
À notre arrivée à Doha, nous avons été reçus avec les honneurs. La chaleur se mesurait non pas uniquement dans le thermomètre et le gigantisme des buildings, mais davantage à l’humilité et à la qualité de nos hôtes.
Dimanche 13 novembre.
Visite du musée des Arts islamiques édifié à l’aide de pierres importées de Bourgogne. Ensuite, visite du musée d’Histoire militaire, présentation du projet « Katara », ville culturelle au bord de l’eau.
Lundi 14 novembre.
Conférence et rencontre avec le secrétaire général du Comité olympique qatarien au centre Aspire sports, édifié dans le cadre de la Coupe du monde de football pour laquelle le Qatar s’apprête à investir 200 milliards de dollars.
Mardi 15 Novembre.
Rencontre avec le Premier ministre au Diwan (palais royal), échanges sur l’apport des personnes issues de l’immigration en France ainsi que discussion autour de la création de la maison du Qatar à Paris. La couverture médiatique de notre voyage a été impressionnante : articles et photos avec le Premier ministre, analyses quotidiennes de notre venue par la presse et passage en boucle sur la chaîne nationale(…).
Mercredi 16 Novembre
Déjeuner avec l’Émir au Diwan. Lorsque nous sommes sortis du palais, la route nous a été ouverte comme pour des chefs d’État (…) ! »
Plus lascars qu'élus, beaucoup parmi les représentants de la banlieue donnent leur CV, cherchent à se placer auprès de l’Émir, comme l'a raconté le journaliste et réalisateur Mohamed Nemmiche, aujourd’hui décédé, qui accompagnait le groupe. Le dialogue qui s'engagea à l’heure du déjeuner autour d’un faisan des sables et d’une mousse au maïs eut le mérite de la franchise. « Vous êtes mes invités, lance l'Émir, quelle est votre problématique ? ». Réponse « On cherche du travail, c’est la crise, venez nous aider ». Un élu du Nord lui propose un projet : « Mais évidemment, regrette-t-il, Lille, c’est une ville que vous ne connaissez pas ». « Mais si bien sûr, répond l'Émir, je connais, les moules frites et le reste… Pour le projet, voyez ma fille ».
Avant de se retirer et tout en leur promettant des invitations pour la Coupe du monde de foot en 2022 ( !), l’Émir évoque la création de madrasas en France pour apprendre l’arabe littéraire et l’histoire du monde arabe. Tout le monde approuve un tel projet. Le reste du séjour sera consacré à une chasse aux faucons avec le fils de l'Émir, qui a fait ses études à Saint-Cyr, une balade en dromadaire, une course en 4-4 dans les dunes, une partie de football dans les dunes, une visite au centre équestre "le plus huppé du monde". La semaine se termine par un déjeuner à l’ambassade de France, où on a appris la présence des élus par les qataris. Tout le monde est là : le conseiller commercial, le conseiller politique, l’attaché militaire…On boira du pastis en parlant… de la vente de rafales au Qatar. Cette semaine là en effet, une présentation de l’avion militaire avait lieu à Doha.
Ce qui surprend dans le récit de cette escapade, c'est la débauche de moyens déployée pour la réussite de ce voyage. Les plus hautes personnalités du Qatar mouillent leur maillot. L'Émir, sa fille, un de ses fils, le Premier ministre, l'ambassadeur de France sont mis à contribution. L'organisation du voyage des élus de banlieue a été minutieusement étudiée. Il s'agit d'un message, en forme de trompe l'œil, envoyé à l'ensemble des jeunes des banlieues en France. Et cela prend. "Nous avons quitté la terre des fausses promesses pour celle des actions réelles", conclut l'élu de Gonesse dans son journal de bord.
De retour à Paris, le groupe est invité au Fouquet’s, le lieu désormais célèbre où Nicolas Sarkozy accueillait ses plus proches donateurs et amis le soir des sa victoire aux élections présidentielles. Le diplomate joue les big boss. « Il faut que les entreprises créées rapportent de l’argent, que le Qatar en gagne ». Les élus de la diversité sont médusés.
L’annonce est très vite médiatisée, trop vite. Résultat, l’ambassade et la chaîne El Djajira sont submergées de demandes. En offrant un tel trésor de guerre à quelques élus de la diversité, le Qatar s’est tiré une balle dans le pied. Des contacts ont eu lieu avec l’incontournable Jacques Attali, spécialiste entre autres talents, de micro crédit. « C’est monsieur Attali, précise l’ambassadeur du Qatar, qui nous a proposé ses services ». Ce que l’intéressé reconnaît.
Le président de l’association des élus de la diversité, Kamel Hamza, qui a initié l’escapade vers Doha en novembre 2011 n’est autre que le plus proche collaborateur d’Éric Raoult, ancien député UMP de Seine-Saint-Denis, qui est un habitué des forums à Doha. Ce qui est surprenant, c’est de découvrir les passerelles que cet élu de droite a jeté vers les associations les plus fondamentalistes de Seine-Saint-Denis. Des liens forts existent entre le maire UMP de Raincy et ancien ministre Éric Raoult et l’Union des associations musulmanes du 93 (UAM 93), regroupées, à la fin de 2002, par l’algérien M’ Hammed Henniche. Les cibles préférées de ce dernier ? Ce sont la loi sur le niqab, l’interdiction faite aux mères accompagnatrices de groupes scolaires de porter le voile et les caricatures du Prophète. « Nous avons des liens républicains de respect mutuel avec monsieur Raoult qui est le patron de la droite dans le département de Seine-SaInt-Denis », admet le secrétaire général d’UAM 93. Ainsi la page d’accueil du site de l’UAM 93 fait l’éloge de la proposition de loi déposée par Éric Raoult « visant à interdire la banalisation du blasphème religieux par voie de caricature ». Du donnant donnant. Une référence est explicitement faite dans ce projet parlementaire à l’UAM 93 et à son combat « pour le respect des religions».
Pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, la collaboration de l’UAM 93 et de la majorité de droite ira assez loin, avec la bénédiction du Qatar. Lorsque Jean Sarkozy, fils de Nicolas et président du groupe UMP des Hauts-de-Seine, participe à une soirée de rupture de jeûne (ou Iftar) à Suresnes, M’Hammed Hemmiche organise les agapes. L’idée de cette manifestation est née d’une rencontre, lors de la réception donnée à l’Élysée pour le 14 juillet précédent, entre l’ambassadeur du Qatar et le député maire de Suresnes. Le diplomate sera présent pendant cette soirée. C’est même lui qui règle le traiteur. « L’UMP et le Qatar nous ont demandé de faire venir du monde pour cette soirée, quatre cents personnes ont répondu à notre appel ». Plus tard, l’ambassadeur du Qatar a rencontré les responsables de l’UAM 93, pour évoquer la possibilité de construction d’une mosquée. Il a même été question d’un voyage à Doha. « Hélas, constate M’Hammed Hammiche, tout cela n’a pas abouti. »
En Seine-Saint-Denis, le département le plus musulman de France, les voix musulmanes pèsent lourd. Éric Raoult l’a compris ! Et ses amis qataris également !
À travers leurs réseaux dans les banlieues, les colloques à Doha, les « prix diversité » qui entretiennent l’amitié et les dîners au Fouquet’s, les Qataris ont déjà commencé à créer un véritable vivier d’obligés dans la communauté musulmane française. Mais là n’est pas l’essentiel. Le véritable « plan banlieue » reste celui de l’islam, son organisation en France selon les préceptes wahhabites. À notre lecteur, toujours interrogatif, nous donnons une image de la stratégie en cours. Pourrait-on envisager, avec sérénité, un Vatican riche comme le Qatar qui, pris en main par les idéologues de Monseigneur Lefebvre, financerait toutes les églises et l’enseignement catholique en France ? Le coran n’est nullement en cause. Rien que sa lecture, par des lunettes made in Qatar.
Pour franchir un obstacle, on a parfois besoin d’une courte échelle. C’est ce rôle que joue la Tunisie nouvelle, gouvernée par les islamistes, entre l’émirat bien aimé et la France : un axe Paris-Doha-Tunis est en train de se constituer. Durant l'hiver 2011, Rachid Ghannouchi, le leader des islamistes tunisiens, assiste au rassemblement de l'UOIF au Bourget. Sa dépendance au Qatar est connue. Dans une interview au journal qatari "Al Arab", le 31 décembre 2012, Rached Ghannouchi ne manque pas sa figure imposée, celle de faire l'éloge de la petite monarchie du Golfe qu’il qualifie de "partenaire principal", tant aux révolutions du "printemps arabe" que dans le processus de développement qui l'a suivi. Il a affirmé "le Qatar propose des projets de développement et de construction qui poussent les économies des révolutions à davantage de progrès". Le leader d’Ennhadha ne manque pas de vanter le mérite d’Al-Jazeera qui, selon lui, "a joué un rôle primordial dans les révolutions, en dévoilant les systèmes répressifs du monde arabe et en donnant la parole aux opposants de ces régimes pour s'exprimer et critiquer… J'ai toujours cru que le combat d'Al Jazeera, contre les détenteurs du pouvoir, finirait avec la chute d'une des deux parties, et cela s'est effectivement soldé par la victoire d'Al Jazeera. Ce qui signifie une victoire des médias libres contre le "pôle noir". »
Avec un missionnaire de cette envergure, si bien écouté par les tunisiens de France, Doha dispose d’un pipeline capable de faire couler sur cette communauté, la plus pure des fois
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