lundi 29 mai 2017

La Commune a 146 ans...

La mémoire de la Commune ou l’histoire écrite par les vainqueursLa mémoire de la Commune ou l’histoire
                        écrite par les vainqueurs

Programmes scolaires et publications grand public : persistance de la mémoire négative de la Commune
Cette mémoire décline progressivement après 1945. Dans le panthéon communiste, la Commune est peu à peu remplacée par la mémoire de l’engagement dans la Résistance du « parti des 75 000 fusillés. » Le nombre de participants à la montée au Mur décroit rapidement : 60 000 en 1945, 16 000 en 1949, 3000 en 1959. La Commune semble perdre de l’importance dans l’appareil de références de la gauche, au profit de l’antifascisme du Front populaire et de la Résistance.
La mémoire hostile à la Commune, elle, perdure bel et bien. L’événement occupe une place très réduite dans les programmes scolaires, à tel point que nombre de gens n’entendent réellement parler de 1871 qu’après le baccalauréat, au cours des études supérieures ou au détour de lectures personnelles. Du côté des publications grand public, le bilan est pire encore. Si les travaux universitaires (notamment ceux de Jacques Rougerie et de Robert Tombs, qui se sont efforcés de faire paraître des synthèses accessibles à tous) sont généralement plutôt bienveillants à l’égard de la Commune, il n’en va pas de même pour les ouvrages de vulgarisation historique souvent rédigés par des éditorialistes en mal de notoriété et cherchant à se prévaloir d’un certain verni culturel. Evoquons quelques exemples (relevés par Eric Fournier, dans La Commune n’est pas morte, 2013). Dans son best-seller Métronome, qui propose une promenade historique à travers Paris, le comédien Lorànt Deutsch nous livre une illustration saisissante de la permanence de la mémoire versaillaise, réduisant la Commune à acte de vandalisme, se scandalisant de la destruction de la colonne de la Bastille par les communards. Un discours qui fait écho au mythe des pétroleuses. Répandu à la fin du XIXe siècle, il met en scène des femmes accusées d’avoir allumé des incendies partout dans Paris, et mêle ainsi crainte et haine du peuple et plus particulièrement des femmes. Dans Historiquement correct (2003, vendu à 120 000 exemplaires), Jean Sévilla décrit la Commune comme « soixante-douze jours d’anarchie au cours desquels un pouvoir insurrectionnel a régné par la terreur sur la capitale. » Et Sévilla d’évoquer à plusieurs reprises l’alcoolisme supposé des communards : « L’absinthe dont la consommation a augmenté de 500% fait des ravages. C’est dans une atmosphère enivrée et enfumée que les adhérents des clubs discutent jusqu’à l’aube de la révolution sociale. » Le propos n’est pas neuf. Paul de Saint Victor écrit ainsi, en 1871, que « l’ivrognerie était l’élément de cette révolution crapuleuse. Une vapeur d’alcool flottait sur l’effervescence de la plèbe. La bouteille fut l’un des instruments du règne de la Commune. »
Le discours de Sévilla, comme celui tenu il y a quelques jours par Yann Moix dans les colonnes de Marianne, pourrait avoir été écrit presque mot pour mot par quelque écrivain réactionnaire au lendemain de la Commune. Il illustre une étonnante permanence du discours hostile à l’événement. Un discours qui fait fi de toute réalité historique. Un discours que, malheureusement, il faut encore combattre sans relâche. Un discours qui témoigne d’une peur presque panique du peuple et de son intrusion sur la scène politique. Peur qui continue de hanter, depuis plus d’un siècle, les élites oligarchiques.
Il ne s’agit pas ici d’idéaliser la Commune, expérience faite d’hésitations, de tâtonnements, d’erreurs parfois. La Commune fut motivée par le rejet du monarchisme et de la capitulation face à la Prusse. Elle tenta, en l’espace de deux mois, de poursuivre et d’achever la Révolution française : moratoire sur les dettes, réquisition des ateliers abandonnés au profit des coopératives ouvrières, interdiction du travail de nuit dans les boulangeries, élection des fonctionnaires… La Commune fut, en définitive, une tentative de réalisation de la république sociale que Jaurès, quelques années plus tard, appela de ses voeux.
Crédits photos  :
  • Ernest Pichio, Le Triomphe de l’ordre, lithographie, 1875, Wikimedia Commons.
  • L’Humanité, 30 mai 1926, Gallica.

Pour aller plus loin :
Synthèses sur la Commune :
ROUGERIE Jacques, La Commune de 1871, PUF, 1988.
TOMBS Robert, Paris, bivouac des révolutions. La Commune de 1871, Libertalia, 2014.
Mémoire de la Commune :
FOURNIER Eric, La Commune n’est pas morte. Les usages politiques du passé de 1871 à nos jours, Paris, Libertalia, 2014.
REBERIOUX Madeleine, « Le mur des Fédérés », dans NORA Pierre (dir.), Les Lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1984, vol. I
TARTAKOWSKY Danielle, Nous irons chanter sur vos tombes. Le Père-Lachaise, XIXe et XXe siècles, Paris, Aubier, 1999.

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