lundi 14 mai 2018

Les armes non létales : une nouvelle course aux armements pour les besoins militaires et civils

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« Les armes non létales sont des armes discriminantes qui sont explicitement mises au point et utilisées pour frapper d'incapacité le personnel et le matériel, avec un minimum de risque mortel, de lésions permanentes au personnel et de dommages indésirables aux biens et à l'environnement » (Directive 3000.3, policy for Non-Lethal Weapons – juillet1996) (1)
Cette arme conçue pour que la cible ne soit pas tuée ou blessée lourdement a une origine civile et est principalement utilisée pour le maintien de l'ordre dans la dispersion d'émeutes et l'autodéfense. Ainsi le Flash-ball LSBD apparu dans les années 1990 et Le Taser X26, pistolet à impulsion électrique testé en 2004 font partie de la panoplie des armes non létales (ANL).
Il faut savoir que le Taser est classé par le règlement européen n° 1236/2005 parmi les armes susceptibles d’être utilisées pour infliger la torture. D'après Amnesty International et d’autres organismes, son utilisation peut avoir des conséquences mortelles. Quant au Flash-ball, en janvier 2017, 6 ans après les faits était jugé à Marseille la première affaire de bavure policière mortelle par tir de flash-ball.
Bien que cela ne soit qu'un des nombreux témoignages ayant démontré la dangerosité de ces nouveaux jouets offerts aux forces de l'ordre, leur utilisation n'est non seulement pas remise en cause mais d'autres ANL plus sophistiquées sont actuellement à l'étude ou expérimentées dans divers lieux du globe.
Le bâton du policier, même s'il a toujours des adeptes, va progressivement être relégué au musée aux côtés du gourdin de l'homme de Cro-Magnon !
Petit tour rapide de la panoplie des « armes propres » :
  • Le T-rad est un système vidéo couplé à un scanner chargé de surveiller une zone. Si un intrus est repéré, et après sommation, l'appareil enverra une décharge Taser.
  • La Quadri, invention française (cocorico), est un mini hélicoptère pouvant tirer des cartouches incapacitantes. Il permet au policier de surveiller une zone depuis un poste de commandement sans avoir à être sur le terrain.
  • Le V-MADS est un canon à micro-ondes (95GHz) monté sur un véhicule dont le faisceau, portant jusqu'à 500 mètres, entraîne des effets comparables à ceux d'un steak décongelé au four à micro-ondes en pénétrant la peau jusqu'à 1mm de profondeur avec une chaleur de 55 degrés.
  • I-Robot est un petit robot monté sur chenilles pour surveiller une zone. Dans sa version française (re-cocorico) l'engin est doté d'un I-Pistol utilisant des munitions de calibre 12 appelée TAD.
  • Et que dire des armes psychotroniques, étudiées et expérimentées depuis les années 1990. Prévues pour transmettre un champ d'énergie destructeur pour les équipements électroniques, elles peuvent également être utilisées en direction de personnes ; elles sont alors capables d'influencer le système nerveux avec des rayons non ionisants en provoquant des effets tant physiologiques que biologiques et neurologiques (nausées, vertiges, désorientation et autres séquelles plus graves etc.).
Vous aurez remarqué que l'utilisation de la majorité de ces armes ne nécessite pas la présence du policier sur le terrain. Flic ou militaire, voilà deux métiers en pleine mutation et qui vont s'avérer être de moins en moins dangereux, en tout cas comportant moins de risques que le travailleur lambda ou le civil manifestant dans la rue pour ses droits !
Les études et expérimentations tant civiles que militaires ne sont pas nouvelles : apparu aux Etats-Unis, le processus de légitimation des armes non létales (ANL) date des années 1960-1970 période marquée par l'émergence des masses contestataires et des mouvements de défense des droits civiques. La théorie de la non-létalité a pris également une place centrale dans la réflexion militaire sur les « conflits asymétriques » (cf guerres d'indépendance, guérilla) et la guerre urbaine ; pour exemple, 2006 a été la première expérience importante menée par les Etats-Unis en Irak dans le contexte de gestion post-conflit. La guerre des Balkans n'est pas en reste d'expériences quant à l'utilisation d'armes non létales.

Le concept de non-létalité postule pour finalité un armement spécifique évitant la mort. Nul doute que cet « évitement de la mort », cette « sauvegarde de la vie » a à voir avec la pensée judéo-chrétienne : il s'agit d'affirmer au nom de la morale chrétienne et de l'éthique libérale, pourquoi pas « verte et durable », une nouvelle logique du Pouvoir plus conforme à notre société moderne.
On est en droit de penser que face à la violence, militaire ou sociale, portée par le capitalisme, il s'agit de laisser croire à une sorte « d'humanisation de la violence », une « humanisation du Pouvoir capitaliste ». De la même manière que parler de guerre humanitaire permet de légitimer la guerre, le concept de non-létalité permet de légitimer le contrôle des masses au nom de la nécessaire défense de la société contre l'ennemi, de l'intérieur en particulier. En d'autres termes, le concept d'arme non létale s'inscrit dans le remplacement du « pouvoir lié à la mort » dans une société disciplinaire au profit d'un « pouvoir diffus et massifiant » dans une société de contrôle.
In fine, l'objectif est bien de contrôler les corps et les esprits, cela s'avérant plus rentable que donner la mort ! On accepte bien d'être video-surveillés et fliqués par nos portables et ordinateurs !

Il n'y a pas à propos des armes non létales de séparation conceptuelle entre développement civil et militaire, les programmes s'interpénètrent et se complètent.
Initialement les études émanant du monde civil mirent l'accent sur le potentiel d'extension du contrôle social, qu'offrait le non-létal. Mais, cette thématique civile du « contrôle des foules » va imprégner rapidement le monde militaire, répondant à ses besoins de « maintien de la paix », de gestion post-conflit, de situations conflictuelles mondiales nouvelles où combattants et civils sont de plus en plus entremêlés en particulier dans les combats en zones urbanisées.
Des recherches dans les domaines de « l'énergie dirigée » par exemple, laissent entrevoir pour la première fois des applications industrielles. Ainsi, sont en passe d'être développées des armes tous azymuts ayant pour objectif une paralysie globale de l'ennemi (militaire ou civil) grâce à toute la panoplie des lasers, ondes acoustiques, électromagnétiques, super-caustiques etc.
Il est intéressant de connaître les arguments militaires à propos des armes non létales : « Le contrôle des foules dans la conduite des missions de la paix et d'assistance humanitaire est devenu pour l'armée une tâche aussi courante que la destruction des blindés ou de l'artillerie ennemis en temps de guerre » (Concept for Non-Lethal – United States Army, décembre 1996).(1)
Encore plus clair : « Si les forces américaines sont capables, à travers l'électronique, l'électromagnétique, l'énergie dirigée, de neutraliser ou d'asphyxier les forces ennemies sans les détruire ou les tuer, la conduite des opérations militaires en serait révolutionnée. Le calcul global des coûts, des bénéfices et des risques changerait alors et pour les Etats-Unis et pour leurs adversaires » (The military Technical Revolution) (1)
Ceux qui pensaient que le non-létal avait avant tout une fonction humanitaire doivent revoir leur copie car, dans un système libéral il y a d'abord et surtout des impératifs économiques : si ne pas tuer tout en contrôlant le corps et l'esprit coûte moins cher, pourquoi se priver de faire des économies, donc plus de bénéfice  ?

Même l'OTAN dont la politique en matière d'ANL est calquée sur la politique américaine ne peut ignorer l'ambiguïté dans la distinction entre létal et non-létal : « les armes non létales n'offrent pas nécessairement une probabilité nulle de provoquer des pertes en vies humaines ou des lésions permanentes » (Politique de l'OTAN sur les armes non létales – octobre 1999)
Point de fausse naïveté, tout est affaire d'adaptation et de graduation dans l'utilisation des ANL, les militaires américains, européens n'ayant jamais nourri l'illusion d'une « guerre sans morts » ou d'une « létalité zéro ». In fine, l'innocuité du non-létal paraît quelque peu artificiel et conduit à la préférence du terme d' « armes à létalité réduite », terme moins contraignant sur le plan éthique, et qui permet de ménager une marge d'appréciation et d'erreur au plan juridique.
Pendant que des politiques, juristes réfléchissent aux meilleures définitions, les scientifiques dans les milieux militaires et civils sont à la pointe des recherches en matière d'armes à « Energie dirigée », lasers tactiques de haute puissance, canons à ondes millimétriques de basse puissance et autres mousses paralysantes armes hyper-caustiques, armes chimiques incapacitantes etc.

En liant maintien de l'ordre et maintien de la paix, le non-létal apparaît bien comme un nouveau concept stratégique chevauchant la frontière entre civil et militaire du niveau local aux niveaux national et international. Il y a là une stratégie globale consistant à optimiser les techniques de régulation et de contrôle, étatiques, paraétatiques et privées, destinées à gérer la vie dans sa dimension économique et sécuritaire.
Avec les armes non létales, nous sommes bien pleinement entrés dans l'ère de « Big brother » ! En tout cas il y a de quoi s'inquiéter de l'imaginaire politique et militaire de la « technologie du corps », de ses mythes stratégico-scientifique tels que « neutraliser sans détruire », « vaincre sans tuer » etc.

A la « destruction » de l'ennemi comme principe de la guerre, nos penseurs modernes substituent sa « paralysie » ; l'impératif de « contrôle du milieu » qui supplante celui de la « conquête de territoire » conduit inévitablement à une policiarisation de l'action militaire, et inversement, à une militarisation de l'action policière. Cette réalité est déjà à l'oeuvre depuis une quinzaine d'années sur divers lieux de conflits urbains : Palestine, Liban, Somalie, Côte d'Ivoire, Irak, Afghanistan etc., autant de terrains qui sont des lieux où sont dilués les distinctions entre militaire et civil, combattants et non-combattants, militaires et paramilitaires de sociétés privées.
Létal et continuum de force ont un point commun, la notion de guerre donnée comme système de contrôle global adaptant les réponses au contexte. A partir de là il est évident que l'idéologie du « zéro mort » à laquelle est lié le non-létal, relève de hypocrisie judéo-chrétienne face à la guerre, et de l'illusion biopolitique consistant à faire croire en la « guerre propre ».
Dans le même temps où, au nom du choix de la non-létalité, les politiques prétendent faire croire en la « guerre juste » discriminant combattants et non-combattants, ils développent la notion juridique de « légitime défense », légitiment l'extension policière du champ de la coercition militaire aux populations non directement combattantes. L'Irak est l'exemple type d'une région où la frontière conceptuelle entre combattants et non-combattants tend à disparaître.
Du létal au non-létal il s'agit de graduer la réponse selon le contexte, d'où la création d'un système combinant et modulant fonctions létale et non-létale, désigné sous le terme d'armement « rhéostatique ».
Létal ou non-létal, il s'agit toujours et encore de guerre, guerres menées par le capitalisme, guerres militaires ou guerres sociales ! La distinction symbolique entre « Sécurité extérieure » et « sécurité intérieure » est de fait abolie. Parce qu'il fusionne en une seule pratique sécuritaire les deux aspects, policier et militaire, du contrôle du corps et des populations, le concept d'ANL, cherche à légitimer « contrôle des foules » et « maintien de l'ordre » dans une « maîtrise de la violence ». On est bien sûr en droit de se poser la question de quel ordre il s'agit de maintenir, ou plus simplement on est en droit de s'inquiéter de l'appropriation et de la légitimation de la violence par l'Etat, serviteur zélé du capital.
Face aux volontés d'émancipation de millions de femmes et d'hommes qui refusent la barbarie capitaliste, face à la criminalisation du mouvement social et à la répression des luttes sociales, le marché des armes non-létales est colossal. L'utilsation de gaz, de produits chimiques, d'ondes électriques et autres jouets incapacitants ne vont pas tarder à tempérer l'ardeur des travailleurs !
Jean Jaurès disait que « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage » ; cette affirmation est plus que jamais d'actualité. Létale ou non-létale, le capitalisme a toujours besoin de la guerre pour survivre à ses propres crises. Derrière les apparences trompeuses du concept de non-létalité se cachent les pratiques de la recherche techno-militaire avec, placée au centre, la bio-ingénierie du corps humain, le règne d'une biostratégie, tecnno-stratégie du vivant.

De la même manière que tous les pacifistes doivent refuser la course aux armements
traditionnels, il s'agit aussi aujourd'hui de dénoncer une énorme imposture politique. Le retour du religieux et l'affirmation d'une éthique libérale tendent à nous faire croire en une possible « humanisation de la violence » alors qu'il s'agit à terme de contrôler le vivant dans toute sa globalité sur la planète.
Grâce aux concept des armes non-létales, nos démocraties modernes gagnent sur deux tableaux :
  • à l'intérieur, elles vont pouvoir éliminer toute velléité de contestation avec toute l'éthique et jurisprudence nécessaires,
  • à l'extérieur le seuil du « politiquement acceptable » dans l'intervention dans un pays tiers va s'abaisser considérablement.
Pour conclure :
« Dans la discrétion des laboratoires, la recherche militaire continue et progresse, souvent dans des directions qui laissent présager pour les générations futures des défis autrement plus complexes que ceux posés par les armements actuels » Luc Mampaey (2)
La science fiction c'était hier, Welcome Big brother au pays de Globalia !

Source principale  : L'arme non létale dans la stratégie militaire des Etats-Unis – Georges-Henri Bricet des Vallons
  1. Cité par G-H Bricet des Vallons
autres sources :
  1. - Les armes non létales : une nouvelle course aux armements/Luc Mampaey (les rapports du Groupe de Recherche et d'Informations sur la Paix et la Sécurité - GRIP-janvier 1999)
- Armes psychotroniques – Le Monde – juillet 2008
- Les nouvelles armes non létales de la police...Une réalité d'un futur proche - Site Rebellyon.Info – juin 2009

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