Le
1er décembre, au Costa Rica, c'est jour de fête nationale, mais
sans défilé militaire car cette nation d'Amérique centrale, située
entre le Panama et le Nicaragua, peuplée de 5 millions d'habitants a
aboli son armée en 1948.
A
l'heure des hausses de budgets militaires, de la propagation des
guerres sur toute la planète, le Costa Rica, rejoint en 1990 par le
Panama (1), demeure la preuve qu'une nation peut exister sans armée.
« Certains
pensent que nous sommes vulnérables parce que nous n'avons pas
d'armée. C'est parce que nous n'avons pas d'armée que nous sommes
forts ».
Ces
mots d'Oscar Arias Sanchez, ancien président costaricain et Prix
Nobel de la Paix en 1987, s'inscrivent dans une tradition pacifiste
vieille de plus de soixante dix ans.
Tout
débute lors de l'élection présidentielle du 8 février 1948.
Celle-ci, entachée de fraude électorale et de faits de corruption
donne vainqueur le candidat de l'opposition Otilio Ulate Blanco mais
le Congrès proche du gouvernement en place, déclare vainqueur le
candidat du parti au pouvoir, le Dr Rafael Angel Calderon Guardia.
Une grande majorité des bulletins de vote ayant disparu dans un
mystérieux incendie, aucune vérification officielle n'est possible.
C'en
est trop pour l'opposition qui rentre en conflit ouvert avec le
gouvernement.
La
principale figure de ce conflit est un simple fermier, José Figueres
Ferrer surnommé « Don Pepe ». Celui-ci, n'est pas un
inconnu ; il est très populaire depuis le 8 juillet 1942 date
où il a dénoncé à la radio la corruption et l'intimidation
orchestrées par le gouvernement. Arrêté en plein émission,
emprisonné quelques jours il est alors contraint à l'exil et se
réfugie au Mexique.
De
retour dans sa ferme rebaptisée « La lucha » (la lutte),
il va mettre sur pied une armée, la « Legion del Caribe» (la
Légion des Caraïbes), forte de quelques 600 hommes qui vient à
bout de l'armée du gouvernement, aidé par le Nicaragua, dans une
guerre civile de deux mois à peine, mais qui fera néanmoins entre
un et deux milliers de morts.
Don
Pepe prend la tête d'un gouvernement provisoire, le temps
d'instaurer la démocratie puis rend le pouvoir à Ulate Blanco le
vainqueur légitime de l'élection de février. Durant les 18 mois de
son gouvernement provisoire, Don Pepe va nationaliser les banques et,
mesure phare entre toutes, abolir purement et simplement l'armée.
Ce
jour là, Don Pepe se rend à la caserne de Bellavista dans la
capitale San José, grimpe sur une échelle et porte des coups de
masse aux murs : ce geste symbolique orne aujourd'hui les
billets de banque de 10 000 colones. Quant à la caserne il en fait
cadeau à l'université qui la transformera en musée national !
Le
décret-loi du 1er décembre 1948 sera entériné par la Constitution
adoptée en 1949 : « L'armée
est abolie en tant qu'institution permanente »
Une
première dans un pays indépendant !
Pour
se protéger, le Costa Rica va signer des pactes de non-agression et
des accords de protection. En cas de conflit il peut faire appel à
« l'Organisation des Etats d'Amérique » créée pour
assurer entre ses membres « un
ordre de paix et de justice ».
Ce sera d'ailleurs le cas lors d'une tentative d'agression du
Nicaragua voisin en 1959.
C'est
un contingent de 14 000 policiers (1 pour 360 habitants) qui remplace
l'armée, en étant chargée de la sécurité publique, du maintien
de l'ordre, de la surveillance des frontières et de la lutte contre
le trafic de drogue particulièrement actif depuis quelques années
dans cette région du globe.
Dans
une région historiquement marquée par les guerres civiles et les
coups d'Etat militaire (cf. Nicaragua, Salvador, Guatemala) quel défi
lancé par Don Pepe qui s'exclamait en avril 1948 : « No
quiero un ejercito de soldados, sino uno de educatores »
(Je ne veux pas une armée de soldats mais d'éducateurs) !
Alors
que le Guatemala, le Salvador et le Nicaragua sombraient dans la
guerre civile, 90 % de la population répondait « NON »
lors d'un sondage sur le retour de l'armée ! A croire que les
costaricains se passent de la présence des militaires, ce que semble
d'ailleurs confirmer Daniel Matul, professeur de sciences
politiques :
« Supprimer
l'institution militaire répondait à une nécessité politique.
L'armée était divisée, l'éliminer permettait d'éviter tout
risque de renversement du pouvoir. Cela dit, ce n'était pas la
raison principale et abolir l'armée était avant tout une décision
visionnaire. En à peine dix ans, l'espérance de vie a décollé, le
taux de mortalité due aux maladies bénignes a chuté et l'éducation
a fait un bond incroyable. Il y a eu une vraie cohérence à dire :
nous allons arrêter d'acheter des armes pour payer plus de
professeurs et de médecins ».
Et
en effet, selon la « Fondation
Arias pour la Paix et le progrès humain »
(2),
la suppression de l'armée a permis le financement des universités
et des trois plus grands hôpitaux du pays. Les budgets de la santé,
de l'éducation ont été augmenté de près de 30 % en 10 ans. Le
pays a connu pendant dès les premières décennies une croissance
bien supérieure à l'ensemble de ses voisins et aujourd'hui le Costa
Rica peut s'enorgueillir d'avoir un taux d'alphabétisation de plus
de 97 %, une espérance de vie de 80 ans ! Le Costa Rica, le
plus riche d'Amérique centrale, se trouve placé en terme de
développement économique au 48ème rang mondial quant le Nicaragua
est au 110ème, le Guatemala au 118ème.
Le
Costa Rica s'est fait le chantre de la paix avec l'installation à
San José, en 1979 de la Cour Interaméricaine des droits de l'homme.
Profitant de ce prestige international, après le prix Nobel de la
Paix octroyé en 1987 au président costaricain Arias Sanchez, le
pays lance en 1996 un appel pour « réclamer
un code de conduite sur les transferts internationaux d'armes ».
Cet appel débouchera sur le traité relatif au commerce des armes
adopté par l'ONU en 2013. Quant au respect des traités l'ONU, c'est
une autre histoire !
Le
Costa Rica milite aujourd'hui pour l'élimination totale des armes
nucléaires.
L'historienne
Clotilde Obregon rappelle que l'idée d'abolir l'armée n'est pas
survenue du jour au lendemain :
« En
1825, partant de l'idée que la justice devait être la même pour
tous, les tribunaux militaires furent supprimés. Les soldats, ainsi
que des ecclésiastiques furent alors jugés devant des tribunaux
civils. Le Costa Rica choisissait d'être un Etat « civiliste ».
Dès
lors, le budget militaire ne cessait de s'amenuiser et en 1948 lors
de la brève guerre civile l'armée ne comptait que 800 hommes, à
peine plus que l'armée populaire levée par « Don Pepe » !
Comme
l'explique Luis Guillermo Solis l'actuel président costaricain,
cette culture politique fait du Costa Rica le pays le plus sûr
d'Amérique centrale :
« Ne
pas avoir d'armée est une source de paix et de tranquillité.
Contrairement à l'Europe,où l'armée est associée à la défense
de l'Etat, à l'essence même de la Nation. Mais dans beaucoup de
pays d'Amérique latine, l'armée est associée au terrorisme d'Etat,
à la destruction de la démocratie, à la perversion des
institutions ».
Un
autre ancien président costaricain, Miguel Angel Rodriguez,
s'exclamait en 2001 : « Comme
président d'un pays sans armée, la recommandation que je fais à
tous les pays d'Amérique est que nous éliminions les armées. A
quoi bon les réduire, éliminons-les ! ».
Face
aux politiques de surarmement partout dans le monde, en Europe et en
particulier dans la France belliciste d'Emmanuel Macron, le Costa
Rica fait figure de modèle politique et social en ayant préféré
les médecins et les éducateurs aux militaires.
Face
aux milliers de suppressions de postes d'enseignants, face aux
fermetures de classes, d'écoles, Rosibel Salas Herrera, directrice
d'un lycée professionnel rural livre un autre ordre des choses
possibles :
« Dans
(mon) pays, il y a une couverture à 100 %, l'école est partout...La
plupart des écoles ont des bibliothèques, salles informatique.. »
Et
face aux attaques contre notre système de santé, Elvira, étudiante
infirmière livre une autre vérité :
« Côté santé, les costaricains bénéficient d'une
couverture sociale et d'une médecine performante... »
Tout
n'est bien sûr pas idyllique : des peuples indigènes vivant
dans des zones reculées manquent de moyens dans les écoles, les
hôpitaux ont du mal à répondre aux urgences de la population et la
police qui a remplacé l'armée peut se montrer répressive...comme
partout du reste !
Il
n'en reste pas moins que le Costa Rica, ce pays sans caserne nous
montre qu'il est possible de vivre sans armée, qu'il est possible de
résoudre les conflits sans violence.
En
effet, en 70 ans ce pays « civiliste » n'a jamais été
sérieusement inquiété.
Mettre
fin aux dépenses militaires afin d'augmenter les budgets alloués à
l'éducation, à la santé, voilà ce qui serait une vraie politique
garante de la Paix universelle...
Qui
a dit que l'armée était seule la garante de la Paix ?
- On compte une trentaine d'Etats souverains de très petite taille et de moins de 500 000 habitants qui ne possèdent pas d'armée et disposent d'un accord de défense avec un autre pays cf. l'Islande)
- Du nom d'Oscar Arias Sanchez, président costaricain, Prix Nobel de la Paix en 1987, initiateur des accords de Paix pour la pacification de l'Amérique centrale. Il fut le fondateur de la Fondation Arias pour la Paix et le Progrès.
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