Entre
10 heures du matin et 21 heures, 10 000 grenades ont été
tirées dans Paris ce samedi 1er décembre. 900 à l’heure, 15
à la minute, une grenade toutes les 4 secondes contre les mauvais
Gilets jaunes.
Les
Gilets jaunes, il y a les bons et il y a les mauvais. Les mauvais, on
les appelle des casseurs.
Mais
qui sont ces casseurs ?
Nous
en connaissons un.
Pas de masque, pas de cagoule, le casseur le plus violent, c’est
lui, lui et le petit monde dont il est le fondé de pouvoir.
La
France est choquée par cette explosion de violence et de vandalisme.
Mais ce n’est rien à côté de la
violence des riches,
à côte de la violence du président des riches.
Pas
de capuche, pas de lunette de piscine, pas de gilet jaune, pas besoin
de courir, ni de hurler, leur violence ne date pas d’hier. Leur
violence est admise, elle est si naturelle qu’on ne la remarque
même plus, mais elle détruit beaucoup plus, depuis beaucoup plus
longtemps. C’est d’abord cette violence-là que la lutte des
Gilets jaunes a mise en évidence. Ce samedi 1er décembre, la
canaille s’en est pris aux beaux quartiers, banques, arc de
triomphe, prestige, grand luxe, belles autos, grands parfums, hôtels
particuliers. Ca change un peu de la Bastille et de Clichy-sous-Bois,
non ?
À
la Chambre des députés, en 1906, Jean JAURÈS parlait de la
violence des riches et de la violence des pauvres :
« Le
patronat n’a pas besoin, lui, pour exercer une action violente, de
gestes désordonnés et de paroles tumultueuses ! Quelques
hommes se rassemblent, à huis clos, dans la sécurité, dans
l’intimité d’un conseil d’administration, et à quelques-uns,
sans violence, sans gestes désordonnés, sans éclats de voix, comme
des diplomates causant autour du tapis vert, ils décident que le
salaire raisonnable sera refusé aux ouvriers ; ils décident
que les ouvriers qui continuent la lutte seront exclus, seront
chassés, seront désignés par des marques imperceptibles, mais
connues des autres patrons, à l’universelle vindicte
patronale. [...] Ainsi,
tandis que l’acte de violence de l’ouvrier apparaît toujours,
est toujours défini, toujours aisément frappé, la responsabilité
profonde et meurtrière des grands patrons, des grands capitalistes,
elle se dérobe, elle s’évanouit dans une sorte d’obscurité. [1] »
Voilà
la violence de Macron, voilà à quoi nous nous sommes habitués
jusqu’à trouver ça normal, jusqu’à trouver ça inéluctable et
naturel.
Et
c’est cette violente inégalité qui soudain est dénoncée,
condamnée, combattue, non par des penseurs éclairés, non par des
commentateurs de plateaux télé ni par des Youtubeurs en trottinette
engagés, non, mais
par le peuple.
Oui,
ils s’appellent comme ça, les Gilets jaunes, nous
sommes le peuple.
C’est
l’inconscient de la Révolution française qui parle ?
Allez savoir. Ça leur permet surtout d’échapper aux étiquettes
politiques. Gauche, droite, Marine, Mélenchon, Macron, vote blanc,
abstention, peu importe. On ne s’arrête plus à ça. Les
Gilets jaunes, c’est le retour de la politique,
la seule, l’essentielle : ce qu’il faut pour vivre. Ce qu’il
faut pour vivre, chacun le sait, chacun y a droit. Et quand il ne l’a
pas, quand il ne l’a plus, quand il craint de ne plus l’avoir, il
pourrit. Ça s’entasse, ça ronge, ça fermente, longtemps, des
années.
Et
soudain, on ne sait pas pourquoi, d’un seul coup ça pète.
Tandis
que les médias récupèrent et formatent l’événement,
dramatisent jusqu’à la nausée, nous voilà avec eux, avec cette
frange de France à l’origine de ce qu’il faut bien appeler donc
une révolution. Une révolution qui, c’est sûr, va changer le
monde, mais qui les a déjà changés eux, chacun personnellement
dans leur vie et dans la solidarité
avec les autres grâce à la lutte qui s’invente à chaque instant,
chemin faisant, sans grand leader, sans grande organisation, ce qui
ne les empêche nullement de rédiger un très judicieux cahier de
revendications. Comme disait Mark Twain, « ils
ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ».
Daniel
Mermet
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