dimanche 26 mai 2013

On achève bien les médecins du travail

Depuis quelques années, à la suite de suicides sur le lieu de travail de plusieurs salariés (à France Télécom, Renault ou La Poste, pour les plus médiatisés), la notion de psychopathologie liée au travail, qu’on appelle aussi risques psychosociaux, est largement connue du grand public. C’est même une question sensible, tant les conséquences humaines sont dramatiques. Dans de nombreuses entreprises, des commissions ad hoc ont été mises en place pour tenter de prévenir les suicides et de repérer les salariés en souffrance.

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Fort, permanent, efficace
Avec des résultats plutôt mitigés, il faut le souligner. Car c’est dans l’organisation même de l’entreprise, ses nouveaux modes de « management », qu’il faut aller chercher la cause de cette souffrance, qui fait qu’un nombre élevé de travailleurs craquent et se trouvent dans des situations de stress, de dépression et de danger. Or ces conditions modernes de l’exploitation, basées sur la recherche du profit maximal et sur l’individualisation des tâches, n’ont pas été remises en cause.
On pointe la fragilité du travailleur, qu’on doit repérer et accompagner, pour lui permettre de mieux résister au rouleau compresseur. S’il ne va pas bien, c’est parce qu’il n’a pas les armes qu’il lui faudrait pour faire face, qu’il ne communique pas et qu’il est fragilisé par sa vie familiale et personnelle. Il doit être fort, performant, efficace ! On va lui apprendre à gérer son stress, on va le « coacher » (le coaching, une mine d’or !), lui donner des cours de yoga ou de méditation, voire lui permettre de rencontrer un professionnel de la psychologie et de discuter avec lui…

La médecine du travail…
Bien sûr, ces pathologies ne prennent pas toujours un tour aussi dramatique ou spectaculaire. Le stress au quotidien ne se voit pas toujours et parfois le salarié qui en souffre n’en a pas réellement conscience, se mettant de la sorte en danger. C’est le rôle du médecin du travail d’en détecter les signes avant-coureurs et de faire prendre les dispositions adéquates pour mettre le salarié à l’abri des éventuelles conséquences néfastes pour sa santé. Ce qui peut placer le médecin du travail dans une situation inconfortable vis-à-vis de l’employeur. C’est pour cela que, théoriquement, l’indépendance des médecins du travail est garantie par le Code du travail. Théoriquement, car les pressions des patrons et de leurs organisations sur les médecins du travail existent depuis qu’existe la médecine du travail.

… remise en cause
Ces pressions viennent de prendre un tour nouveau, avec la plainte devant l’Ordre des médecins d’un employeur contre le docteur Huez, médecin du travail à la centrale nucléaire de Chinon. L’employeur, la société Orys, sous-traitant pour le compte d’EDF, reproche au docteur Huez d’avoir remis à l’un de ses salariés un certificat médical attestant du lien entre son état psychique et ses conditions de travail. Le salarié en question avait usé de ce certificat devant la justice prud’homale pour appuyer son recours contre l’employeur. L’affaire est pour l’heure en suspens : le docteur Huez a refusé de se rendre à la convocation de l’Ordre des médecins, à laquelle devait aussi assister l’employeur. Notons au passage que ce médecin est syndiqué à la CGT. Ce cas serait isolé, il n’aurait peut-être pas fait autant parler de lui (sic !) si de manière quasi simultanée deux autres médecins du travail n’avaient pas aussi fait l’objet des mêmes poursuites devant l’Ordre des médecins. L’un d’eux à même reçu un blâme de la part de l’Ordre des médecins, ce qui peut l’empêcher d’exercer son métier : il s’est pourvu en appel. Ce qui est d’abord choquant, c’est le moyen utilisé : ne peuvent porter plainte devant l’Ordre des médecins que des médecins ou des patients : hors, les employeurs ne sont pas des patients ! S’il existe un contentieux entre médecins du travail et employeurs, celui-ci doit se régler devant la justice. Il est manifeste que la voie utilisée vise avant tout à intimider et dissuader les médecins du travail. Tant qu’il s’agit de protéger les salariés des dangers d’une machine ou d’un produit toxique, passe encore : mais mettre en cause l’organisation de l’entreprise, son mode de direction du personnel (pardon, « ressources humaines »), cela les patrons ne le veulent pas.

Santé et médecine au travail
Les organisations professionnelles de la santé au travail ne s’y sont pas trompées, et ont lancé une campagne de soutien en faveur de leurs collègues poursuivis. Voilà ce qu’ont peut lire sur le site de l’association Santé et médecine au travail 1 : « L’apparition des nouvelles formes de travail, le renouveau des stratégies managériales de mobilisation des salariés, de valorisation du “savoir-être”, de l’initiative et de la responsabilité mobilisent une implication subjective dans le travail. Juridiquement, le durcissement et l’élargissement du droit du travail concernant l’obligation générale de prévention de l’employeur impliquent une meilleure prise en compte de la santé mentale au sein des conditions de travail. La loi de modernisation sociale a introduit dans le Code du travail l’obligation pour l’employeur de prendre les mesures nécessaires “pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.” […] La mise en jeu de la responsabilité de l’employeur suppose qu’il soit possible d’identifier les causes des souffrances mentales constatées dans le travail, son environnement et son organisation. Les atteintes à la santé mentale présentent en apparence une causalité souvent plus diffuse associant des causes liées à l’exécution même du travail ou à l’organisation du travail et des causes en rapport avec ce que le droit appelle “la vie personnelle”.
» Dans cette forte dépendance entre situation de travail et vie personnelle, toutes les combinaisons sont possibles et peuvent rendre difficiles l’identification du risque vécu par les salariés et c’est bien le travail clinique des médecins [du travail] qui peut rendre possible cette identification […]. »
Il faut rester attentif et bien comprendre les enjeux : soutenir l’indépendance des médecins du travail, c’est maintenir la possibilité d’améliorer la santé au travail et de prévenir les risques psychosociaux.



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