dimanche 9 novembre 2014

Grèce: «600 euros pour trois, ça ne suffit pas!»

Fabien Perrier Le Temps 08/11/2014

Alors que la moitié des jeunes de 18 à 25 ans est sans emploi, la dette des ménages explose
Du haut de ses 10 mois, dans les bras de son père, Adriani regarde avec étonnement des dizaines d’habitants de Nea Ionia entrer dans la salle municipale. Comme elle et ses parents, Eleftheria, 22 ans, et Antonis, 23 ans, ils sont venus pour la distribution alimentaire organisée dans cette ville de la banlieue d’Athènes par le Secours populaire français et son partenaire grec, Solidarité populaire.
«Je travaille, vous savez! Jusqu’à 17 heures par jour, 20 jours par mois», précise Antonis. Il travaille mais il vient chercher les précieux sacs de nourriture. «Mon problème, ce sont les revenus: je gagne en moyenne 600 euros par mois.» Sa femme, Eleftheria, a dû arrêter ses études d’esthéticienne l’an passé lorsqu’elle était enceinte; elle n’a pas de salaire et ne perçoit aucune indemnité sociale. Son cas n’est pas isolé. En Grèce, 50,7% des 18-25 ans étaient au chômage en juillet 2014, selon Elstat, l’office grec des statistiques.
Comment ces jeunes s’en sortent-ils? «600 euros pour trois, ça ne suffit pas! Avant, nos parents pouvaient nous aider un peu mais eux aussi peinent maintenant à se nourrir», explique Eleftheria. Antonis, lui, a été second dans un grand restaurant, puis il a travaillé dans de grands hôtels. La crise dans laquelle la Grèce s’enfonce a balayé ses rêves. «Dans mon métier, il y a de la demande. Mais ce n’est pas la peine de solliciter une augmentation de salaire», affirme-t-il, conscient qu’il peut à tout moment être congédié.
Droit du travail assoupli
Dans le cadre des mémorandums signés, depuis 2010, entre les gouvernements grecs, le FMI et l’Union européenne, en échange de prêts pour éviter à la Grèce la faillite, le pays applique des mesures d’ajustement structurel. Le droit du travail a été considérablement assoupli. Les licenciements sont facilités. Le salaire minimum national a été réduit, passant de 751 euros brut à 580 euros brut, et à 510 euros pour les moins de 25 ans.
Dans ces conditions, Eleftheria s’inquiète: «Quel avenir attend ma fille?» Cette question trouve un écho dans la bouche de Louka ­Katseli. Professeure d’économie à l’Université d’Athènes, elle a été ministre de l’Economie, puis du Travail entre octobre 2009 et juin 2011. «Le premier ministre actuel, Antonis Samaras (Nouvelle Démocratie, droite), s’appuie sur un budget qui présente un léger excédent primaire pour prétendre que la politique menée est un succès, explique-t-elle. Or, le pays est en récession et la situation sociale est un drame.» Pour elle, «l’austérité a échoué». Elle craint le pire pour les mois à venir.
Tous âges confondus, 26,4% des actifs sont au chômage (9,6% en juillet 2009). Les revenus réels ont diminué de 30% depuis 2010. La demande s’est tarie. Les taxes et impôts, qui ont augmenté, ne rentrent pas dans les caisses de l’Etat. «Nous sommes propriétaires de notre petit appartement, témoigne Eleftheria. Mais avec 600 euros, comment voulez-vous que nous payions l’Enfia?» Dans un pays où 80% des foyers sont propriétaires de leur logement, mais où 23,1% de la population est en situation de pauvreté, ce nouvel impôt foncier introduit par le gouvernement est une source d’angoisse pour les Grecs.
Gabriela, qui distribue bénévolement les vivres à Nea Ionia, en sait quelque chose. «Les revenus de mes enfants ont diminué de 50% en quatre ans. Ils ne peuvent pas s’acquitter de l’impôt sur leur appartement. Si mon mari et moi ne les aidions pas, je ne sais pas comment ils feraient.» Elle vient de prendre sa retraite, avec «une pension confortable par rapport à beaucoup de gens ici», reconnaît-elle. Avant d’ajouter: «Elle est moitié moins que ce que j’escomptais avant les mémorandums. Mon mari, lui, ne touche plus que 500 euros par mois.»
Les crédits non remboursés menacent les banques
Sur fond de chômage, d’augmentation de la précarité et de la pauvreté, le nombre de familles qui ne peuvent pas rembourser leurs dettes augmente. «Les crédits hypothécaires non remboursés ne cessent de croître», prévient Chrystos Triantafillou. Louka Katseli affirme même que «du côté des banques, les dettes non payées s’élèvent à 70 milliards. Une nouvelle recapitalisation sera nécessaire». La crise de la dette externe de 2010 est devenue crise économique et sociale. Le pays risque désormais une autre crise: celle de la dette interne.
A Nea Ionia, Antonis et Eleftheria repartent avec leur fille, et deux sacs de nourriture. Antonis prend la parole: «Nous réfléchissons à quitter le pays. Tous nos amis sont au chômage. Qu’allons-nous devenir?»

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