dimanche 17 juin 2012

Abstention record, fête triste



Le taux d’abstention, selon le CSA, a atteint 44,4% ce dimanche, soit un record absolu sous la Vème république à des élections d’échelle nationale. A rapprocher de l’abstention croissante aux élections cantonales (56% en 2011), régionales (53,6% en 2010) et européennes (59,4% en 2009). L’abstention aux élections municipales, intéressant traditionnellement les électeurs-trices du fait de l’enjeu local et de leur impact directement ressenti sur le lieu de vie, n’est pas en reste : son taux est monté à 35,5% en 2008.
Si l’on tient compte du fait que 10% à 13,3% des gens potentiellement aptes à voter ne sont même pas inscrits, le constat est sans appel : hier, seuls 38,5% à 40% des gens en droit de voter en France ont jugé utile de désigner des élu-e-s pour les « représenter ».
Ainsi, les « élu-e-s à la majorité » sont propulsés « représentant-e-s des Français-es »… par des votant-e-s de plus en plus minoritaires au sein des populations.
C’est une véritable inquiétude pour les institutions politiques, économiques et médiatiques, ressassant leurs injonctions culpabilisatrices à accomplir le « devoir citoyen ». Leurs discours fébriles sur l’abstention et la perte du sens « civique » dissimulent mal le malaise de ces castes dominantes.
Celles-ci savent trop bien qu’elles ne nous dominent jamais par la seule force armée de leurs vigiles en uniformes, mais en imposant l’assentiment. Depuis la création des premiers Etats de l’antiquité, c’est-à-dire d’associations de bandes armées de racketeurs organisés, le meilleur arsenal du pouvoir autoritaire rassemble avant tout ce qui peut donner un semblant de légitimité à sa violence instituée. Avec l’avènement de la « démocratie », les balivernes religieuses ont peu à peu cédé la place à la mascarade électorale. Les élections sont redoutablement efficaces, sur des populations dont on  a brisé par la force toute possibilité collective réelle de décision et de révolte : les individus doivent être atomisés, isolés dans les rouages de la machine à obéir. Sans culture collective autre que celle du réflexe d’obéissance imposé par des années d’édu-castration, la grande majorité des individus soumis adoptent les présupposés du système dominant, en les croyant leur, en les faisant leurs.
On peut dès lors, lentement, passer du seul droit de vote des riches (suffrage censitaire), au suffrage dit « universel », avant d’y ajouter les femmes un siècle après… et peut-être les étrangers un jour, qui sait.
Ce qui compte, pour entretenir cette illusion que les dominants sont désormais « représentants » de leurs dominés : c’est que la « majorité » des exploité-e-s renouvelle, à intervalles réguliers, l’assentiment à ce que les puissants décident à la place de tous.
Peu importe aux détenteurs du capital qui sera élu-e préposé-e à la garde de leur coffre-fort, si le Capital privé (ou étatique) demeure le monopole absolu de la décision économique, c’est-à-dire de la décision politique réelle. Les élections reposent sur le socle institutionnel des démocraties modernes, consistant depuis plus de deux siècles à relayer la conception de la liberté par la propriété, écrite et célébrée dans le marbre des Droits de l’Homme Riche.
Ainsi donc cette croyance, cette projection hallucinatoire de nos prétendues volontés dans un corps national éthéré, incarné dans un « Elu », ce fantôme, se fissure en apparence. La bourgeoisie s’inquiète, à juste titre. De Grèce et d’ailleurs, la révolte gronde, malgré les larmes, les armes et la prison.
En France comme partout, la république est un cadavre, qui s’est construit sur des cadavres. La bourgeoisie s’acharne donc sur ce cadavre républicain, en rajoute dans un « pluralisme » bidon, ici rose ou bleu, là-bas salafiste ou bidasse, quitte à transformer le zombie en Frankenstein à grosses coutures maladroites. Le problème, c’est qu’il est tellement pourri qu’il fait la même bouillie indistincte, le même Flamby. On le met sous l’électrode « majorité », aujourd’hui rose, demain brune, peu importe… tant que la « majorité » croit qu’elle s’est exprimée. On bidouille des énièmes tours de passe-passe, pour que les pitoyables miettes de voix grapillées par un candidat au premier tour ressemble vaguement à une « majorité ». Le mensonge est énorme, peu importe. Les maîtres se moquent bien du bavardage des esclaves sur la gestion de leur servilité, au contraire ils l’encouragent, si cela peut aider les esclaves à oublier qu’ils ont des chaînes.
La société devient-elle anarchiste parce que l’abstention progresse aux législatives ? Quel doux rêve. On aimerait bien ! On aimerait que l’abstention se mue en abstention active, que les gens désobéissent, occupent leurs quartiers, leurs boîtes et leurs pôles emplois, investissent les logements vacants, se rencontrent, s’organisent, que leurs mandaté-e-s soient révocables et appliquent techniquement les résolutions adoptées en assemblées populaires… on l’aime cette révolution, et on se battra toujours pour elle, parce qu’on se bat pour nous.
Mais il faut remettre les pieds sur terre : l’abstention ne dit absolument rien sur la possibilité d’un basculement révolutionnaire dans l’anarchisme. Elle ne reflète qu’un désarroi de plus en plus lourd, pouvant tout aussi bien donner lieu à une révolution sociale et libertaire, qu’à la résignation la plus abjecte et à l’acquiescement au fascisme. On terminera cet article sur le chiffre obstinément bas depuis toujours, volontairement omis en introduction, de la faible abstention à l’élection précédente.
Ce sont les mêmes qui s’abstiennent aujourd’hui , qui ont voté hier en nombre à l’élection qui résume le principe même de l’aliénation au principe autoritaire représentativiste, poussé à son plus consternant paroxysme. La soumission au grand cadavre incarné, l’élection césariste par excellence inventée par Napoléon III : l’élection présidentielle. Peu importent les idées, peu importent le vernis des pinaillages politiciens : on sait trop bien qu’on ne décide de rien, que le vote aux élections législatives est au pire un réflexe d’animal de laboratoire, au mieux un pis-aller contre le candidat-épouvantail d’en face. Si la grande majorité ne vote plus, dans un summum de résignation et de soumission collective, que lorsqu’il s’agit d’élire un César, incarnant à lui tout seul le rôle grand-guignol de « représentant du peuple français » , c’est parce que la France glisse vers le fascisme, et qu’il y a tout lieu de s’inquiéter. Le blob rose triomphe, sur fond sonore de Valls d’expulsions d’étrangers, d’éructations Moranesques sur le vote des étrangers transformant la France en « Liban », de grognements lepénistes, de slurp d’écolos suçant de l’uranium.
Vu ce qui nous pend au nez comme dévastation sociale, il serait peut-être temps de sortir de l’incantatoire et de nous organiser sérieusement.

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