samedi 6 septembre 2014

Djemila Benhabib témoigne sur Meriem, cette femme que l’Algérie refuse de considérer


Il y a une année à peine, Meriem, une jeune algérienne de 28 ans, lançait une bouteille à la mer à travers un texte qu’elle avait envoyé au quotidien algérien francophone Liberté dans lequel elle racontait son mal de vivre et les raisons profondes de son désespoir.
On y lisait: « Au nom de la liberté, n’ignorez pas mon message, je veux témoigner, informer, péter un câble peut-être, mais cela reste mieux que de m’immoler par le feu…je veux que ma voix retentisse, je veux parler pour ces jeunes, qui se donnent la mort rongés par le désespoir de pouvoir voir un jour ce pays se relever, ce pays au grand corps malade, aux membres défectueux, qui ne cesse de sombrer, nous tombons un à un de Charybde en Scylla, entre les barques de la mort, l’illusion de l’eldorado à l’autre rive de la méditerranée et le chômage, la pauvreté, la misère, l’amertume dans un pays où nous sommes devenus étrangers. »
Les barques de la mort en avez-vous déjà entendu parler ?
Ce sont tout simplement de très modestes embarcations de pêche de 4 ou 5 mètres qu’utilisent ces jeunes Algériens appelés harraga (harrag en arabe signifie « qui brûle »…qui brûle les frontières) et partent par centaines vers les côtes européennes, à la recherche d’une autre vie.
On travaille fort. On s’endette. On emprunte. Le voyage, souvent un aller sans retour, coûte entre 1 500 à 2 000 $.
Ces jeunes aventuriers n’aspirent qu’à une chose : vivre dans un pays européen. Ils fuient, l’Algérie des « ti-amis », des injustices, de la corruption et du conservatisme social. Surtout, ils ne veulent pas mourir pour al-Qaida au Maghreb islamique qui leur promet le paradis avec et ses 72 vierges.
Ils veulent vivre…là, MAINTENANT dans la DIGNITÉ ; Embrasser leur amoureuse et la prendre par la main sans honte ni culpabilité, travailleur et fonder une famille comme tout un chacun
Combien sont partis ? Combien ont disparu ? Ces chiffres n’existent pas. Seule certitude, ils sont en augmentation constante depuis 2005, année à laquelle cette émigration clandestine a pris de l’ampleur en Algérie rapporte le quotidien français Le Monde .
Le chômage, la pauvreté, la misère, l’amertume
Certes, les mots de Meriem sont crus et tranchants. Surtout, ils décrivent sans flafla une réalité d’une tristesse infinie : le terrible malaise d’une jeunesse totalement désœuvrée. Malaise qui ne reste pas confiné aux seules frontières de l’Algérie mais qui est largement répandu dans l’ensemble des pays arabes.
Vous vous souvenez de ce jeune tunisien, Mohamed Bouazizi, âgé de 26 ans qui survivait en vendant des fruits et légumes, à Sidi Bouzid, qui s’est suicidé par immolation le 17 décembre 2010?
Son geste avait lancé le coup d’envoi du printemps arabe. C’est dire. Le chômage atteint des sommets inimaginables et le conservatisme social est de plus en plus pesant dans les sociétés arabes. Résultat ? On meurt à petit feu de mort lente …et de désespoir.
Algérie : ce pays au grand corps malade
Le cas de l’Algérie est tout de même assez unique. Vous connaissez l’expression : L’art de faire semblant de bouger pour finalement faire du surplace.  Eh bien, c’est un peu ça dont il est question. Et même pire…
Car sur le plan macroéconomique, les indicateurs sont au vert. Les caisses de l’État sont pleines. Si bien que le pays accumule des surplus depuis quelques années.
Cependant, cette réalité en cache une autre. Le pays est en panne. La situation politique y est totalement bloquée. La réélection contestée du président algérien Bouteflika au pouvoir depuis 15 ans en est une bonne illustration.
Et si jamais demain, pour une raison ou pour une autre, le prix des hydrocarbures venait à dégringoler, l’Algérie en entier piquerait du nez. Vous imaginez !
Des nouvelles de Meriem ?
Meriem n’appartient pas à cette Algérie des ti-amis, de la tricherie et de la magouille. Issue d’une famille conservatrice d’une ville de taille moyenne, elle a mis tous ses espoirs dans ses études.
Comme l’Algérie du mérite n’existe pas, elle trempe sa plume dans ses tripes pour crier sa rage.
« J’ai 6 ans d’expérience, je parle 4 langues…et je me retrouve au chômage, j’essaye de trouver du boulot dans ma petite ville (qui n’est pas la capitale) …vous dites l’Anem (Agence nationale de l’emploi, ndlr)? Personne ne vous reçoit ». A QUI APPARTIENT CE PAYS? Ma mère ne le comprend pas…elle ne cesse de me répéter que je suis une ratée, que je fais pitié…que j’ai raté ma vie, et pourtant j’ai tout fait pour réussir, votre Algérie m’a fait perdre l’espoir de vivre dans la dignité, je ne veux pas l’aumône, je veux mes droits. Je ne veux pas que mon seul espoir soit un homme… j’aurai aimé être née dans une époque où les femmes n’allaient pas à l’école ; j’aurai aimé être ignorante, me marier à 16 ans avoir 10 gosses…j’aurai aimé ne jamais avoir conscience de tout ce qui se passe, des manipulations du pouvoir, de l’hypocrisie …j’aurai aimé être simple d’esprit, illettrée…et être heureuse, j’aurai aimé ne pas être algérienne ».
J’ai contacté Meriem par twitter avec laquelle j’ai eu un échange très intéressant ce matin. Elle m’a écrit : @Marialmajdalia : «  @djemilabenDepuis, je vais mieux, non pas parce que ma situation a changé, mais parce que j’étais touchée par la réaction des lecteurs. Merci » « Entre un sommeil refuge et une réalité amère, je déprime. » « Seules l’écriture et les livres me maintiennent en vie. »
Sacrée Meriem ! Brave Meriem !
Et si vous écriviez vous aussi un petit quelque chose à Meriem…

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