dimanche 10 mars 2013

Antisexisme un jour, patriarcat toujours

Comment prétendre combattre l’esclavage capitaliste et étatique et la société de classes, si nous reléguons au second plan la question de la division entre genres, âges, émotions, si nous continuons à faire nôtre l’idée absurde que femmes ou enfants seraient des êtres inférieurs qu’il conviendrait de discipliner ou de guider avec paternalisme ?

  
La misère frappe majoritairement les femmes, victimes expiatoires des souffrances de ce monde. Moins bien payées, toujours aussi sollicitées pour accomplir les tâches les plus ingrates et les plus répétitives. Et servir de défouloir émotionnel et sexuel à la violence masculine. Dans le monde, une femme sur cinq sera victime de viol ou de tentative de viol, au cours de son existence.
La division sociale se nourrit du sexisme ou, pour employer un terme plus pertinent, de la domination masculine. Le système patriarcal attribue aux individus désignés comme « femmes » ou « hommes », selon la configuration du sexe biologique, des caractéristiques particulières sur lesquels il faudrait se mouler. En particulier les femmes, qui auraient le goût pour la dépense et les choses légères, peu de compétences en géométrie, auraient une propension à l’« l’hystérie » et autres fadaises comme l’incompétence à la lecture des cartes routières. Ayant pour contrepartie d’autres « qualités » décrétées, telles que l’écoute, la disponibilité, la douceur, et tant d’autres choses qu’on exige en général d’un-e esclave bien soumis-e.
Les femmes sont affublées par le capitalisme des tâches de reproduction et d’entretien de la main-d’œuvre, tâches bien évidemment non rémunérées, et donc non valorisées socialement. Les femmes peuvent ainsi demeurer le réceptacle de la violence subie par les hommes au travail : viols, coups, et meurtres. Une femme meurt tous les trois jours en France sous les coups de son « compagnon ».
Il est là aussi intéressant de noter combien l’Etat, à travers ses lois, a pu jouer un rôle actif dans la production de ces normes inégalitaires et atrophiantes. La notion même de famille mononucléaire, du couple hétérosexuel avec enfants, où femme et enfants obéissant au pouvoir patriarcal du « chef de famille », a été largement construite par la bourgeoisie industrielle, et codifiée dans la régression terrible que constitua le code civil de Napoléon Bonaparte en matière de droits sociaux.
Face à ces injustices insupportables, face à la violence masculine, les féministes se sont organisées en ne comptant que sur elles-mêmes, en constituant elles-mêmes des réseaux d’entraide et de lutte, obtenant ainsi de significatives avancées comme le droit à l’avortement.
Une grande partie du mouvement féministe a hélas été digérée par le pouvoir. L’Etat a mis en place des lois de parité qui non seulement maintiennent pour discriminant social la distinction des individus en sexes biologiques, mais conduisent des révoltées à commuer leurs révoltes en revendications, sous les fourches caudines de la médiation de l’Etat, où à reléguer les questions de classes, faisant ainsi la même erreur que nombre de militants masculins reléguant les luttes féministes au second plan.
Nous sommes contraint-e-s de reconnaître notre oppression pour la subvertir. De nous reconnaître « prolétaires », « femmes », « arabes », « homos », de partir de la situation concrète d’une catégorisation du pouvoir qui nous enferme, sur les bases d’une situation commune. Sans nous laisser pour autant « représenter ». Nous devons par ailleurs garder en tête que notre but est l’abolition de ces catégories mêmes de la discriminations, qui sont celles de la domination.
Ce n’est pas parce que je suis catégorisée “femme” qu’on achètera mes désirs d’en finir avec la sclérose des normes genrées et la domination masculine, pas parce qu’on me dit femme que je vais me satisfaire de l’aliénation d’un bulletin de vote, d’une place paritaire sur une liste électorale, d’un salaire d’esclave féminin tendant à devenir égal à celui d’un esclave masculin, de l’extension aux mecs de la torture de l’épilation à la cire. Ce n’est pas parce que je suis prolétaire que je suis heureuse d’être l’esclave salarial d’un patron ou d’un « Etat social », que je jubile de me voir représentée sur les affiches caricaturales de gauche en bleu de travail à casquette, une clé à molette à la main. Ce n’est pas parce qu’on me catégorise comme noire de peau, que je me réjouis d’une « discrimination positive » hissant des vedettes « issues de la diversité » à l’écran pour y exhiber leur opportunisme et leur lâcheté, ou des salauds à des postes de pouvoir qui vont m’exploiter, me fliquer ou me virer. Ce n’est pas parce que je suis catégorisé-e « homo » qu’on va acheter mon adhésion au système hétéroflic par la bague au doigt pour tou-te-s, ou un événement gay-pride où je vais jouer la lesbienne folklorique pour les badauds citoyennistes. Marre des journées exutoires d’un jour.
Dès que la lutte radicale pour l’abolition de ces outils du pouvoir, qui permet de rogner du terrain (sous forme de réformes ou de « droits » concédés par l’adversaire), cède le terrain à un identification positive et sclérosante aux catégories étanches qui nous enferment, la puissance subversive de la lutte est étouffée, puis récupérée, digérée. Au final, les réformes et les droits se retournent contre nous, lorsque nous nous en contentons.
Nous ne voulons pas d’une cage plus grande et aux barreaux repeints en couleur dorée. Nous voulons faire un beau feu de joie de toutes les cages qui nous enferment, de toutes les étiquettes qui nous cantonnent à des rôles. Des droits, des droits… les libertés se prennent, elles ne se demandent pas. Les ténors du barreau parlotent ? Mettons ce temps à profit pour limer tous les barreaux.
à bas les étiquettes
Terminons sur l’un des prétextes les plus grossiers donnés par les Etats « démocratiques » à leurs interventions militaires : la fameuse « défense des droits des femmes ». L’Occident a beau jeu de vilipender le voile islamique sous toutes ses formes, alors qu’il véhicule un discours genré, masculiniste et sexiste à longueur de discours politiciens, médiatiques et publicitaires !
Les clichés sexistes surabondent dans la sphère d’influence des Etats d’Occident, des plateaux télés aux publicités, avec des modèles féminins affligeants, amaigries par des régimes délirants, bimboïsées, aussi érotisées que dénuées de tout véritable érotisme. Les femmes sont violemment incitées par la publicité, vomie par toutes les pores du système marchand, à dépenser leurs maigres salaires en fringues, en régimes dangereux ou en maquillages chimiques, dans l’injonction permanente de rester sexy, bref soumises et disponibles à la domination masculine. Tant pis pour les innombrables jeunes femmes tombant dans la spirale destructrice de l’anorexie, pour les « garçons manqués », pour les « camionneuses », pour les « moches », pour les « vieilles » passée la quarantaine. Tant pis pour toutes celles qui, faute d’argent, de temps ou d’envie, sont considérées comme des boudins parce qu’elles commettent la faute impardonnable de « ne pas assez prendre soin d’elles ».
Le spectacle médiatique contraint les femmes à se soumettre au salariat ou au cirque citoyenniste. Les rares femmes parvenant à des postes de domination, au sein d’entreprises ou d’appareils étatiques, sont contraintes d’afficher encore plus de froideur émotionnelle, de volontarisme ou d’autoritarisme que les hommes pour s’intégrer au système patriarcal, car les médias ne manqueront pas de leur tailler un short au moindre faux pas. Les juges, les autorités religieuses et autres « spécialistes » de l’éducastration continuent d’imposer aux femmes l’éducation exclusive des enfants, véhiculant le mythe de « l’instinct maternel ». Les femmes qui n’auront pas d’enfants, passés trente-cinq balais, seront les victimes de remarques incessantes. L’avortement continue d’être attaqué dans la sphère politique par une réduction des budgets des plannings familiaux, et sur la place publique par des associations religieuses obscurantistes et fascisantes, protégées par des cordons de police et auxquelles les médias ouvrent leur tribunes au nom du « débat public ».
Pour le capitalisme, qui veut que la force de travail se reproduise à ses propres frais dans la sphère dite « privée », le fait est qu’en Occident, la tâche de reproduction du prolétariat reste autoritairement dévolue aux femmes. Voter pour des chefs (par ailleurs largement masculins), bosser comme une esclave à temps partiel et mal payée, veiller à se montrer performante sexuellement tout en continuant à torcher les lardons, à faire les courses et à repriser les chaussettes, voilà la conception de la liberté féminine à la mode occidentale. Et l’on reprochera encore aux femmes, placées sous une pression sociale insupportable, d’avoir une propension à « l’hystérie »…
Si le voile est une discrimination sexiste révoltante parmi d’autres, dans les régions du globe sous le joug de machos islamistes prétextant de lois religieuses pour maintenir leur domination abjecte sur les femmes, l’islamisme n’a hélas pas le monopole du patriarcat. Voir les Etats occidentaux intervenir au nom des « droits des femmes » a de quoi donner l’envie de bons grands coups de pieds dans les couilles.

Revendiquer un jour un seul sur les 365 que compte une révolution planétaire, voilà qui en dit long sur l’institutionnalisation des luttes féministes. Il y a pourtant, ici et maintenant, matière à faire la révolution au quotidien.
J., groupe Pavillon Noir, 8 mars 2013

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