Affaire Kerviel
Depuis quelques temps, une opération médiatique a pris l’ampleur habituelle pour ce genre d’affaire : on nous submerge de pseudo informations pour nous dicter ce que nous devons penser.
Un bref rappel des épisodes précédents :
Jérôme Kerviel était « trader » (spéculateur en bourse) à la Société Générale. En janvier 2008, il a été, accusé d’avoir pris des positions spéculatives de dizaines de milliards d’euros sur des marchés à risque.
A la suite de manœuvres diverses et hasardeuses, couvertes par environ 900 faux en écriture nous dit-on, aux environs de 5 milliards d’euros sont partis en fumée. La Société Générale a bénéficié d’une déduction d’impôt de 1,7 milliard d’euros. [1]
En première instance (2010) comme en appel (2012), Kerviel a été condamné à cinq ans de prison dont trois fermes. [2]
Le poétique de la chose réside en ceci : les dirigeants de la banque affirment n’avoir pas été au courant des prises de positions risquées, à hauteur de 50 milliards d’euros, tout de même.
Randonnée et eau bénite.
Le 5 mars 2014, Kerviel a entamé « un pèlerinage entre Rome et Paris », une « marche contre la tyrannie des marchés ». Ceci après avoir rencontré le pape François, le 19 février au Vatican. [3]
Il arrive à Menton le 19 mai, où il est appréhendé. Le périple aura été ponctué d’une série de coups médiatiques : « je reste en Italie », « je rentre en France », « je ne rentre plus », « je rentre quand même ». Le tout à grand renfort de caméras, de conférences de presse, d’envoyés spéciaux.
A chaque fois, sur la photo, aux côtés de Kerviel il y a le père Gourrier qui joue le rôle du pèlerin inspiré. Ce matin, les caméras le filment dans la pose du prêtre en prière, seul mais rempli d’espérance, debout au milieu de la route. Face caméra.
Patrice Gourrier, prêtre à Poitiers, est cofondateur de l’association Talitha Koum : « une association loi 1901, louée et recommandée selon le code de droit canon » [4]. Il fait partie également des animateurs réguliers de l’émission « Les grandes gueules » sur RMC.
A quoi joue l’Église catholique ?
De Rome à Menton, le curé des Grandes Gueules se fait filmer à côté d’un panneau dénonçant « la dictature de l’économie sans visage et sans but véritablement humain ».
C’est un des aspects de la campagne d’enfumage qui présente le pape actuel comme « le pape des pauvres ».
L’église, devenu minoritaire dans bien des pays considérés comme ses bastions traditionnels, cherche à reconquérir des parts de marché. Tout l’art de la manœuvre consistant à dénoncer les pratiques les plus criantes, critiquer le manque d’humanité (tout à fait réel par ailleurs) des spéculateurs et des banquiers ; Mais sans remettre en cause la chose elle-même : l’insupportable désordre économique et social que crée le système capitaliste en crise de déliquescence.
Se donner l’air d’être ce que l’on n’est pas, implique de recourir à un vocabulaire ambigu. Il s’agit de dévoyer le sens des mots, d’agiter des chimères : économie sociale de marché, libéralisme humaniste ...
Ainsi dans le Journal La Croix du 2 mai 2104, le Cardinal Marx, un des hommes de confiance du Pape :
« Question : L’Europe défend un modèle économique, l’économie sociale de marché. A-t-il encore un avenir ?
Cardinal Marx : Il faut le défendre contre l’économie casino. On ne peut accepter un système où le capital est au centre de la société. Ce sont les hommes qui doivent être au centre. Pour garantir un tel système, il faut des institutions (...)
Question : Existe-t-il un bien commun européen ?
Cardinal Marx : Le bien commun, dans la doctrine sociale de l’Église, a deux aspects : des institutions qui garantissent que tout le monde, tous les groupes, peut trouver le chemin pour son épanouissement ; et puis un contenu, les droits de l’homme, la dignité humaine, la famille. Il faut bien comprendre que notre bien commun est inséparablement lié à celui de l’Europe. »
Traduction : pour que les hommes et non plus le Capital soit au centre, il faudrait s’en remettre aux institutions de l’Union européenne.
Mgr Rey, évêque de Toulon-Fréjus, est encore plus direct : « Alors qu’on décèle dans l’opinion publique, à la fois une vraie déception et une certaine défiance vis-à-vis de l’action politique, comme chrétiens et citoyens, nous avons l’obligation morale de réhabiliter la politique au sens noble du terme, et nous avons le devoir de participer aux élections. » [5]
Pour conclure sur la vraie nature de l’opération, citons des extraits (déjà publiés en leur temps par La Raison) d’un article de Mgr Lacrampe : « L’Église ne peut demeurer à l’écart quand l’homme souffre et doute. Ce contexte nous conduit à poursuivre une réflexion sur ce que l’Église peut et doit apporter à celui qui souffre dans sa vie personnelle, au sein de sa famille, dans son milieu professionnel, (…) »
La question se pose de savoir comment le faire.
1. Rejoindre celles et ceux qui ont en charge le Bien Commun et les soutenir spirituellement dans leur charge (…) L’Église doit manifester sa présence auprès de ceux qui combattent pour le Bien Commun ...
2. Au niveau de nos communautés chrétiennes, de nos mouvements d’Église, favoriser des rencontres qui permettent d’éclairer les choix des entreprises …
3. Tendre la main à ceux qui souffrent en les accompagnant et en les aidant à garder l’espérance : l’Église se doit d’apporter le soutien spirituel mais aussi concret aux organisations caritatives, confessionnelles ou non, qui créent des actions innovantes, assistent et accompagnent les personnes qui pâtissent le plus de la crise. » [6]
En clair et en résumé :
Soutenir les patrons, les banquiers, les gouvernants car ils ont en charge le bien commun,
participer à organiser le prétendu « dialogue social » pour faire admettre aux salariés et leurs syndicats les décisions des patrons, des banquiers et des gouvernements,
Faire l’aumône aux plus pauvres,
Tel est le contenu réel du battage médiatique orchestré depuis le Vatican sur « les buts véritablement humains de l’économie » afin, espèrent-ils, que dure le système et en son sein la place de l’Eglise.
Henri Huille
19/05/2104
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