La fin de la gauche est proche
Après la déroute du PS, chercher une issue
Le scrutin uninominal à deux tours amplifie les victoires et les défaites électorales. Le plus important, ce n'est pas le nombre de départements gagnés par la droite - même si c'est important pour la suite. Le plus important est le résultat catastrophique en voix obtenues par la « gauche » au premier tour et la non-mobilisation de son électorat traditionnel au second tour. Les plus militants, les plus prêts à y aller en dépit de tout, n’ont eu besoin que d’écouter Macron dire à la BBC que Thatcher avait été une chance pour le Royaume-Uni : ils savaient qu’on votant « socialiste », c’est en fait le soutien au thatchérisme à la française, incarné par Macron, Pellerin, Rebsamen et tutti quanti, qu’ils apporteraient. Le vieux coup « tous unis contre la droite et l’extrême droite » ne marche plus.
Mais il n’y a rien, pas d’alternative, rien qui ressemble à l’émergence d’une nouvelle force politique. Il y a bien quelque chose qui s'est affaissé dans notre pays. Sous les coups de l'austérité européenne, de la trahison des élites dirigeantes inféodées à l'UE (et ça vaut évidemment autant pour la droite que pour la gauche), le désespoir a saisi le peuple des ouvriers, des employés, de tous ceux qui tirent le diable par la queue. Le désespoir engendre le repli sur soi, l'égoïsme social, l'espoir fou qu'on va passer entre les gouttes de l'orage qui s'abat. Voire pire: plutôt une fin effroyable qu'un effroi sans fin, voilà un des ressorts du vote FN. Notre pays s'est déjà effondré sur lui-même: c'était en 1940. Cette « étrange défaite », comme le titre l'excellent livre de Marc Bloch, n'était pas due à la puissance de l'armée allemande, mais bien à des causes internes qu'il a tenté d'analyser.
Il faudrait pour tous ceux qui ont partagé les espoirs et les illusions sous le drapeau incertain de la « gauche », que les leçons de cette défaite soient tirées dans toute leur ampleur. Et il faut commencer par cette question que posait déjà Orwell et qui s'adresse à la « gauche radicale », à la « gauche de gauche » : alors que les mauvais coups portés par le tout-puissant capital financier sont clairement perçus par la grande masse de nos concitoyens, pourquoi désertent-ils les partis de gauche, tous les partis de gauche et laissent-ils à la droite le soin de gouverner? Pourquoi finalement ont-ils plus peur du « socialisme » que du capitalisme ? Un socialisme pourtant inexistant. Il suffit de voir le programme rose tiède de la gauche de gauche pour s’en rendre compte. Les causes de cette situation ne sont pas à chercher dans la « droitisation des esprits » voire leur « lepénisation » comme l’expliquent les beaux parleurs des beaux quartiers. Qu’on interroge les Français sur la sécurité sociale, l’enseignement ou tous les thèmes classiques de la « gauche », on trouvera souvent une large approbation. Que Mme Le Pen ait cru bon de prendre la défense des retraites, des salaires ou de la laïcité, cela prouve simplement qu’elle ne peut gagner qu’en reprenant pour les pervertir d’abord et les piétiner ensuite les revendications du programme minimum des partis ouvriers ... du temps où de tels partis existaient encore ! Non, cet affaissement de notre pays, qui semble se laisse prendre par la droite et l’extrême droite vient tout simplement de que « l’on y croit plus ». On ne croit à la parole de ces pitres qui battent les estrades sous le slogan « mon ennemi, c’est la finance » et qui ensuite installe les banquiers à tous les postes de commandement. On ne croit ces professeurs de morale qui piquent dans la caisse, qui fraudent le fisc, qui magouillent avec leurs copains et coquins de la spéculation, ces « défenseurs de la patrie » devenus les caniches de Mme Merkel et de M. Obama. On a trop sous-estimé les ravages qu’a faits la profonde immoralité de cette caste dirigeante. On a également trop sous-estimé le mépris populaire à l’encontre de l’idéologie semi-libertaire des partisans des « réformes sociétales » à tout crin. L’électorat CSP++ du PS s’est retrouvé dedans, mais pas les travailleurs pauvres, pas les employés, pas la vieille base électorale du PS et du PCF. Il y a aussi les particularités de personnalités les plus en vue. Un président « à la dérive » comme le titre Marianne et un premier secrétaire du PS qui n’a jamais été qu’un roi de la manœuvre de basse-cour. De Harlem Désir à Cambadélis : le PS est tombé de Charybde en Scylla. Sans parler de ces branches entièrement mafieuses du PS qui parfois finissent par vivre leur propre vie comme le clan Guérini à Marseille ou pourrissent complètement le parti de l’intérieur, comme dans le Pas-de-Calais.
Face au désastre, Jean-Luc Mélenchon appelle à une « nouvelle alliance populaire » pour les régionales. Pourquoi pas? Mais il réserve la primeur de ses projets aux partis auxquels il va s'adresser dans la semaine. En fait, la tambouille continue, avec des partis en plein déclin, des groupuscules qui peuvent tenir leur congrès dans une cabine téléphonique ... et encore avec le portable, il n'y a presque plus de cabines téléphoniques! Une nouvelle alliance populaire, il faudrait tout simplement en dessiner les grandes lignes au moins, et pas essayer de rafistoler « la gauche ». Et les grandes lignes s'appellent souveraineté de la nation (article III de la déclaration de 1789), rupture avec l'UE et l'ordo-libéralisme allemand, renationalisation des services publics privatisés au cours des dernières décennies, augmentation des salaires et défense de la protection sociale et des retraites, taxation impitoyable des dividendes et des « salaires » de nabab dans le genre de celui de Carlos Gohn, retour à une école qui instruit et arrêt immédiat des expérimentations des Docteurs Folamour de la « pédagogie », bref un programme capable d'amalgamer les ouvriers, les employés, et une large partie des petites classes moyennes désespérées qui se sont tournées vers le FN. Un programme qui dit clairement que nous voulons conserver nos acquis, un programme qui fait de la protection du citoyen dans tous les domaines sa priorité, un programme conservateur et révolutionnaire à la fois. Un programme donc pour un nouveau bloc de classes. Un programme national et populaire au sens où Gramsci employait cette expression.
Que faire ? Répéter inlassablement les leçons de l’expérience, en refusant les idées toutes faites et les schémas classiques et faussement rassurants de l’extrême gauche. Bref faire un travail d’instruction. Mais aucune régénération politique n’aura lieu sans un puissant mouvement social. Derrière la passivité apparente, il y a une colère sourde qui bouillonne ici et là. Des préfets redoutent de nouvelles jacqueries comme celle des « Bonnets Rouges ». À la base, dans les entreprises, il y a des mouvements sociaux, des grèves qui gagnent en dépit du contexte difficile. L’appel à la grève interprofessionnelle du 9 avril, à l’initiative du congrès de la CGT-FO pourrait marquer une étape dans la construction d’un mouvement d’ensemble. Ceux qui vivent sont ceux qui luttent, disait Victor Hugo.
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