Malgré les
tentatives des états majors de mettre au pas les soldats, ceux-ci
arborent des banderoles en français ou en russe.
19 septembre 1917 : Arrestation
d’Afanasie Globa, responsable du soviet des soldats russes mutinés
du camp de La Courtine
Fin 1915, les
armées sur le front ouest sont déjà exsangues, car les pertes ont
été effroyables : les offensives lancées face aux
mitrailleuses adverses sur un front figé ont été meurtrières. Les
forces s’équilibrent. Du côté des Alliés et en premier lieu en
France le gouvernement a déjà fait appel par anticipation aux
classes les plus jeunes. Les troupes coloniales ont également été
sollicitées.
L’idée
naît de « puiser » dans les « immenses réserves »
du « réservoir » humain russe. Les négociations
n’aboutirent qu’à l’envoi en avril 1916 en France de deux
brigades, environ 20 000 hommes, et deux autres vers Salonique en
Orient. Formées au camp de Mailly en Champagne, ces troupes vont
être versées au combat dès l’automne 1916.
Mais
au début de 1917 en Russie, après 3 jours de manifestations
massives des ouvrières à Pétrograd, la révolution éclate. Le 2
mars se constitue un gouvernement provisoire dirigé par le prince
Lvov. Des soviets d’ouvriers et de soldats se mettent immédiatement
en place renouant ainsi avec la première révolution de 1905, 2
jours plus tard le Tsar Nicolas II abdique.
Les
soldats russes s’emparèrent alors du Prikase n° 1 (l’Ordre n°1)
décrété par le soviet de Petrograd pour créer sur le front
français leurs propres comités de soldats. Ce Prikase indiquait
dans ses articles 6 et 7 que le garde à vous au passage d’un
supérieur et le salut militaire obligatoire étaient abolis hors du
service et qu’étaient supprimées les formules décernées aux
officiers du genre : « Votre
excellence, votre noblesse », ces
dernières étant remplacées par Monsieur le Général, Monsieur le
Colonel. Ce décret ordonnait que soit interdit désormais le
tutoiement et les mauvais traitements des gradés à l’égard des
soldats.
En
avril, les comités des brigades russes en France décidèrent que
l’offensive de printemps serait la dernière à laquelle les unités
russes participeraient. La révolte ouverte de ces unités a donc
commencé au lendemain de l’échec de l’offensive Nivelle du 16
avril 1917, qui fit rappelons-le, 271 000 morts dont 6 000
soldats russes.
Le
souffle de la révolution en cours en Russie, les milliers de morts
dans leurs unités, l’élection de leurs délégués de comités,
l’exigence de cesser les combats et de rentrer en Russie,
transformèrent soldats russes en des révoltés, que rien ne
pouvaient ramener à l’état antérieur.
Le
1er
mai 1917 fut le tournant majeur dans cette situation, voici ce
qu’écrivait un soldat de la première brigade Stéphane Gavrilenko
à propos des manifestations de son unité ce jour-là :
(…) Dans ces
conditions, nos délégués ouvriers et soldats ont décidé
d’organiser coûte que coûte la manifestation du 1er mai, bien
qu'il n'y ait pas d'autorisation.
Le premier orateur
des délégués ouvriers
et soldats à prendre la parole a été le camarade Kossouraïev, de
la 9ème compagnie, qui a fait un discours enflammé, expliquant
pourquoi nous étions
venus ici: "Pour
fêter la liberté de notre Russie, honorer la mémoire
de nos camarades tombés pour la liberté et pour ne pas oublier ceux
qui sont enfermés
dans les prisons dont les murs suintent de saleté." Son
discours a été prononcé avec une telle émotion que personne ne
pouvait retenir ses larmes.
Après lui, est
intervenu le deuxième orateur, Tsiglov, qui a exprimé nos besoins,
nos souffrances et a décrit les punitions venant de nos chefs qui se
comportaient de façon si révoltante. A entendre un discours si
beau, chaque soldat en avait l'âme retournée, tous avaient le
visage en larmes. On avait envie de dire: "Voilà
comment vous, scélérats que vous
êtes, vous vous comportiez avec nous les soldats. Maintenant,
regardez-nous les yeux
dans les yeux. Qui de nous avait raison, qui était coupable? Vous
buviez notre sang,
vous nous forciez à appeler blanc ce qui est noir et noir ce qui est
blanc, mais le noir
s'est levé devant les yeux des soldats, il s'est transformé en
blanc, puis en rouge et soudain
tout s'est obscurci comme dans l'épaisseur mortelle de la nuit!"
Lui a succédé le
député de notre 10ème compagnie, Polikarpov, qui a salué ses
camarades soldats et
messieurs les officiers. Il nous a ensuite fait un discours:
"Camarades,
quelle joie se manifeste chez nous, en Russie! Une joie qui est
parvenue jusqu'à
nous. Mais nous ne devons pas oublier les camarades morts pour rien,
ceux qu'on a
fusillés dans les camps de Mailly, pour des actions réelles ou
supposées. Nous
ne devons pas oublier que lorsqu'ils sont venus de Russie, ils
avaient avec eux un colonel,
un véritable Allemand, qu'ils avaient repéré et qui voulait même
les faire jeter à
la mer. Tremblants de tout leur corps, ils avaient enduré toutes les
punitions, tous les tourments qu'il leur avait infligés. Et
lorsqu'ils ont eu atteint le lieu de débarquement à
Marseille, là, après toutes les souffrances supportées pendant la
traversée, ils ont décidé
de le tuer. Tout
le régiment était dans
le coup, mais huit hommes ont été considérés comme coupables et
le colonel Ivanov
les a fait passer devant un tribunal.
Je dois dire une
chose: si le colonel Ivanov a conscience de sa faute, qu'il vienne à
ma place et que,
face à tout le régiment, il demande pardon à ceux qu'il a fait
fusiller."
Le colonel Ivanov a
alors demandé pardon, s'est incliné devant tout le monde et il est
descendu de la tribune.
Les discours des orateurs ont ensuite recommencé. Tout le monde
écoutait au pied de la tribune.(…)
Voici que le
général Palitsine et notre général de brigade Lokhvitski arrivent
à cheval vers notre
régiment. Le général Palitsine a mis pied à terre. Il est venu
près des soldats et a
demandé: "Permettez-moi
de venir parmi vous." On
a dit: "Qu'il
vienne!"
Il est arrivé, a
écouté nos discours et a dit: "Messieurs
les soldats, permettez-moi de vous
lire l'ordre que j'ai apporté." Nous
l'avons autorisé: il en a fait la lecture. Les orateurs
lui ont dit: "Nous
connaissons cet ordre depuis longtemps et il est inutile de nous
le lire, il y en a assez d'amuser la galerie!"
Ensuite, après ces
paroles, il y a eu une succession d'orateurs qui ont fait des
interventions contre lui et ont entrepris de lui rappeler les
sanctions auxquelles il en avait tant rajouté. Et, à la fin, tous
lui ont dit d'une seule voix: "A
bas le vieux bureaucrate,
à bas!"
II a alors demandé:
« Petits frères
permettez-moi de partir!"
On lui a accordé le passage et,
derrière lui, tout le monde criait: "A
bas!" Et il est
reparti à cheval.
Les délégués ont
dit ensuite:
"Retournez à vos locaux de cantonnement et n'oubliez pas
de chanter et que l'orchestre joue le nouvel hymne: Peuple
debout, soulève-toi! et
la marche funèbre: Vous
êtes tombés pour la patrie. » (…)
« Le journal
de Stéphane Ivanovitch Gavrilenko » Editions Privat.(pages 142
à 147, extraits)
Ainsi,
après avoir publiquement conspué le commandant des troupes russes
en France et manifesté le 1er
mai 1917, devant la crainte de l’onde de choc des mutineries russes
et de la contagion aux unités françaises, les unités furent
déplacées au centre de la France, à la Courtine en Creuse où la
1ère
Brigade arriva dans ce camp militaire le 26 juin 1917.
Pendant
trois mois, les 10 300 soldats de cette 1ère
brigade, refusèrent de se rendre et de se soumettre aux ordres du
gouvernement provisoire et de leurs officiers. Bien mieux, ils
renvoyèrent ces derniers et s’organisèrent autour de leur soviet.
Les
soldats organisèrent leur casernement, ils défilèrent aux ordres
de simples soldats. Et surtout, ils discutèrent de toutes les
questions de l’heure : la guerre, le partage des terres en
Russie, le pouvoir des soviets, la trahison du gouvernement
provisoire qui les abandonnait et voulait qu’ils obéissent de
nouveau aux officiers.
C’est
le Général Comby dirigeant la XIIème région militaire qui assura
la préparation et la mise en œuvre de la répression des 10 300
soldats mutinés. L’assaut fut donné le 16 septembre, le combat
cessa le 19 septembre au matin. En 3 jours, 800 obus avaient été
tirés sur les mutins.
Malgré
la répression, la déportation de 5000 de ces mutins en Algérie, la
dispersion de milliers d’autres dans compagnies de travail en
France, les anciens soldats du corps expéditionnaire russe étaient
devenus des défenseurs déterminés de la révolution d’octobre
1917. Ils regagnèrent leur pays devenu l’URSS à partir de 1919, à
part quelques centaines qui s’installèrent en France.
La
mutinerie et le soviet des soldats russes sur le sol français en
1917 ont ainsi écrit une de plus belles pages de l’histoire du
pacifisme, de l’antimilitarisme et de l’internationalisme des
peuples..
Jean-Paul
Gady,
Adhérent
de la LP87 et de « La Courtine 1917 »
Stèle
dans le cimetière de La Courtine (Creuse) à la mémoire des 10 300
soldats russes mutinés en 1917
Retour
sur une belle aventure.....
Le
15 septembre 2012 fût pour les militants de la fédération de la
Creuse de la Libre Pensée, une journée riche en émotion et pour
tout dire inoubliable. Ce fut là le point d'orgue de plusieurs
années d'activité autour des événements survenus à La Courtine
durant l'été 1917. Cette page d'histoire fut écrite par plus de
10000 soldats Russes de la première brigade, internés dans le camp
militaire de cette bourgade suite à leur mutinerie sur le front. Ils
ne plièrent pas devant les exigences des officiers et, malgré la
sauvage répression qui s'abattit sur eux en septembre ils refusèrent
de reprendre le chemin des champs de batailles. C'est cette histoire
que nous raconte le monument de granit et de bronze que nous avons
inauguré ce jour là au cimetière de la Courtine, sous la
présidence du regretté Marc BLONDEL qui nous avait fait l'honneur
de se joindre à nous, en présence du maire , du conseiller général
et d'Éric MOLODTZOFF, descendant de mutin qui a su, pour la
circonstance, nous parler avec son cœur. A ce moment, où étaient
rassemblées plus de deux cent personnes, nous pensions tous à la
belle mobilisation qui s'était organisée autour de ce projet.
Nous
pensions aux deux cent trente six souscripteurs qui nous ont
rejoints, à ceux qui assistèrent aux deux conférences que nous
avons organisées, l'une à Guéret, l'autre à la Courtine. Nous
pensions aussi aux professeurs de la section taille de pierre du
lycée des métiers du bâtiment de Felletin et à leurs élèves,
qui découvrirent cette histoire grâce à nous et s'investirent avec
enthousiasme dans la réalisation de ce projet, nous pensions aussi à
l'artiste Clermontoise pleine de sensibilité, qui a su si bien
traduire dans le bronze cette magnifique épopée.
La
fédération de la Creuse de la libre Pensée est fière d'avoir su
rendre hommage aux hommes de la première brigade du contingent russe
en France si longtemps ignorés.
Depuis,
l'association « La Courtine 1917 » poursuit et amplifie
le travail accompli par la Libre Pensée avec comme objectif celui
d'approfondir la connaissance que nous avons de cet événement
historique et de le faire connaître au plus grand nombre tant ses
enseignements restent d'actualité.
Longue
vie à cette association.
Régis
PARAYRE, Président de la Libre Pensée de la Creuse
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